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EDC de Siouka~35641

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Steak barbare

« Quand qu’on est une Siouka, au final on n’est pô grand chose. Ça, j’le sais bien d’puis toutes ces années que j’trottine dans les recoins du secteur. »
Cette pensée était un invariant des constructions mentales de la gobeline, la base aride sur laquelle tentait d’éclore sa personnalité. Ce leitmotiv ne l’empêchait cependant pas de s’affairer derrière le comptoir comme à l’accoutumée.
Siouka versait l’œuf battu dans la poêle brûlante et le regardait se figer instantanément. Elle tenait fermement le manche de son ustensile pour que le rond de l’omelette soit parfait, oubliant un instant la présence dérangeante des indésirables.
« Comment que j’peux aider l’rébellion ? J’sais pô m’battre, j’suis pô riche, j’suis transparente, moche et j’sais pô parler comme eux. Mais mô, j’sens bien qu’est-ce qu’y s’passe cause que j’les entends les clients et j’vois comme que ça change dans leurs crânes. »
La gob versa dans l’assiette de granit noir le disque solaire de son omelette. Elle écoutait d’une oreille distraite les conversations de ces immigrants qui se gaussaient de leurs hauts faits dans l’Empire. Oubliant qu’ils n’avaient été que des larves à la botte des alte nobilis, ils se prenaient aujourd’hui pour de vrais rebelles tout en critiquant ouvertement le secteur qui les accueillait bon gré mal gré.
« Y’a pu d’rebz, ou si peu. Y nous reste quoi ? Une poignée d’zimpés refoulés qui puent encore le latin et rêvent de s’voir comme les nombrilistes du SR en adaptant juste le nom d’leur étiquette. »
Siouka découpa un champignon en lamelles et le jeta en pluie à même la plaque de cuisson. Elle regardait les lamelles suinter, se rétracter, foncer et lorsqu’elle furent presque noires elle les retira d’un coup de spatule. Elle déposa cette sombre garniture en un cercle plus petit au centre de l’omelette.
« Y nous reste aussi c’te nouvelle race des mots crades. Les « des mots crades » sont encore plus dang’reux, plus sournois. Y z’ont l’impression d’savoir l’vérité absolue sur l’bonheur des gens, grâce au pouvoir « des mots » mais au final y pensent qu’à tout salir par la loi, sous prétesque que c’est la loi du peuple. Mon cul, ouais ! C’est une bande d’intellos qui veut l’pouvoir pour eux, qui d’viendriaient les nombrilistes élus du peuple cause qu’y sont plus malins, plus friqués, ou qu’y possèdent les zizines où que les gens travaillent. »
La tête en ébullition, Siouka hachait un beau steak bien saignant. Cet exorcisme permettait aux pensées impures de fuir ses synapses. Elle pressa ensuite la viande dans un moule qu’elle avait elle-même fabriqué – il n’est pas toujours inutile d’être gobelin. Sur le lit de champignons à peine refroidit, elle démoula le steak cru et regarda le résultat avec un petit sourire en coin. Dernière touche à son œuvre, elle entrecroisa deux belles lanières de champignon sur la viande.
Malicieusement, elle déposa l’assiette devant l’immigrant fraîchement exclus de son paradis perdu.
« T’en veux des rebz ? Étouffe-toi avec ! »
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