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L'attrape-rêves

L'attrape-rêves



Les gardes traînaient l'humain plus mort que vif au travers des couloirs du septième sous-sol. C'était une règle d'or, tacite mais respectée à la lettre, qui concernait les prisonniers assez abîmés pour ne pas se souvenir avec clarté des événements. Pour ceux-ci, l'exécution sommaire était commuée en transfert vers la Chambre Basse.

Il n'y avait pas besoin d'un descriptif de mauvais traitements pour comprendre que cet humain correspondait au profil. Il suffisait de regarder ce corps qui se laissait emmener en glissant à même le sol, cette nuque sans la moindre tension. Et ces yeux, surtout ces yeux. Un regard clair, hâve, un regard qui ne voyait rien. Absent. Déjà parti.

Ouverture du sas renforcé. Dépôt du détenu sans douceur. Fermeture presque immédiate du sas. Du sol au plafond, la salle entière est couverte de métal dans des états divers de dégradation. La lumière est tamisée. L'homme reste immobile, gisant sur le ventre. C'est un bras d'acier aux proportions massives qui s'en saisit, le ramenant avec prudence vers sa propriétaire.


Les forces impériales l'avaient trouvée lors de l'invasion finale du Secteur Orion. Sous l'impulsion de l'Ordre Noir, toute créature non-humaine dont l'utilité et la soumission n'était pas flagrante s'était vue 'purifiée', un systématisme flirtant avec l'obsessionnel. Mais pas celle-là, qui, dissimulée dans un cercle privé, semblait avoir une faculté presque illimitée d'absorption des matériaux alentours.

Après de nombreuses tentatives – infructueuses - de destruction, la créature avait été murée dans la Chambre Basse de la prison 3. Opération sanglante, du moins, pour les troupes impériales, mais, par un miracle quelconque, son attitude changea radicalement après la fermeture des portes. Comme si son agressivité avait été murée en même temps que son corps, laissant place à une indifférence presque sereine.

Les scientifiques du Nexus lui envoyaient quelques détenus de temps à autre. Ils ne désespéraient pas d'ainsi entrevoir de nouvelles réactions, avec, en filigrane, le regard et les senseurs aux aguets d'indices sur sa formidable longévité. La seule chose qu'elle ne pouvait réparer était probablement son identité disloquée.


Le chercheur observait, de derrière son écran, cet être qui prenait l'humain inconscient comme pour lui murmurer un secret. C'était un laïus, pourtant, tellement monocorde qu'il ressemblait à un bruit de fond qui aurait perdu tout sens à force d'être trop répété. Cela parlait d'un avant oublié, de pièces tant remplacées que plus aucune n'était d'origine, et d'un avenir qui avait perdu tout sens dans les tréfonds de la véritable immortalité.

"Donne-moi de quoi encore rêver..."

Cette phrase aurait pu paraître une supplique, mais avait hérité de la même indifférence inhumaine que le reste du discours. Reflet flagrant du regard vide de l'humain, absent, présent, mourant, mort, bientôt, l'entité mécanique, lasse de son silence, ayant fini par le broyer contre le mur. Une fraction de seconde, et la miséricorde de la cuve. Enfin. Rajustement songeur de lunettes par le chercheur. C'était une forme de raffinement dans la cruauté, de n'envoyer à la chose que des êtres déjà brisés.

Un 0 ajouté en bas d'un fichier de noms. C'était un long fichier, un fichier constellé de matricules et de zéros. L'unique 1 datait de bien avant que le chercheur ne sorte du maturateur, une époque lointaine, peu après la conquête du Secteur Orion, tout en bas des geôles, tout en haut de la liste. La détenue avait ce même regard absent, mais il était sombre, celui-là, des yeux noirs, rêveurs, qui semblaient se moquer du monde entier. Ces mêmes yeux qui à présent pleuraient au travers de l'écran.



L'elfette s'éveille en sursaut. Plongés dans la pénombre, les lieux exhalent le doux et le chaud, et le ronflement prononcé à ses côtés achève de la calmer. Elle reprend son souffle, se dirige vers la salle de bain la plus proche pour passer de l'eau sur son visage usé. Cachée dans sa crinière hirsute, elle évite de croiser le regard des miroirs ; elle a trop peur, à la place de ses yeux, d'y voir des implants.

Au lieu de cela, elle contemple le sablier qu'elle porte en pendentif. Par un ingénieux mécanisme de retournement perpétuel, les cristaux farins qui s'y agitent lui offrent une valse lumineuse. Elle se laisse hypnotiser avec plaisir. Plus qu'un objet, c'est un espace de stockage, un lieu où elle déverse les suppléments d'âme qu'elle a collectés ici et là. Syiane, Milla, Enylwën, Aurore, d'autres encore... Un jour, ça servira. Elle en est persuadée. Milla...

Mille attrape-rêves.


Comment aurait-il pu comprendre, ce scientifique baigné dans la rigueur impériale, que ces yeux pleuraient de rire pour l'ironie qu'il n'appréhendait pas ? A la confluence des sciences et du mystique, elle savait, elle, la créature. Elle savait qu'elle était là bien avant lui, et qu'elle serait là bien après encore, et que peu importe ce qu'elle devenait, il resterait toujours un petit peu d'elle-même.

Elle assimile peu à peu les matériaux et les composants, insidieuse comme une peste, omniprésente comme les pluies acides. Elle est au plus bas, dans les fondations, au plus profond du Secteur et des mémoires, là où tout commence et où tout se termine. La Ville est construite sur une faille, et elle construit le jour où tout s'effondrera.

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