EDC de 39093

Un air entêtant.
Des nuages de fumée donnant une coloration voilée, teintée, bleue, à tout ce qui m’entoure.
Le rythme bat dans mes oreilles, et ce son m’enivre.
Je regarde la cité s’étendre sous mes pieds fouettant le vide, retenus par une simple rambarde.
On pourrait appeler ça le bonheur.
Une seringue dans le pli du coude, une pastille rose elfette sur la langue. De la vod’, du skiwi.
Je sais que c’est mal. Mais jusqu’à ce que ça n’engage que moi, je m’en tape.
Moi... Moi j’peux crever.
Moi, j’peux m’sacrifier.
Parce t’façon, rien n’vaut plus la peine.
Quoi?
C’pas moi qui l’dit.
C’ma clope qui vient d’me le souffler.
Bah ouais, quand j’suis défoncée, mes clopes, mon canapé et mon jukebox me parlent.
Ma clope me dit d’la fumer.
Mon canapé me dit de m’asseoir.
Et mon juke me dit d’me faire retourner dessus sauvagement.

*

Il était tard. Très tard. Lorsque sur un MP express, je pars, matos sous le bras, dans un vieux bâtiment, ayant probablement été luxueux, complètement désaffecté.

"Rendez-vous sur le toit."
Là, je retrouve mon rendez-vous, la gueule éclatée, les pieds balançant dans le vide, entre les barreaux de la rambarde.
Je ne me gène pas pour lui faire remarquer qu’il a une putain de sale gueule. Il esquisse un sourire.
Je sors mon garrot, mes seringues, mes pastilles magiques.

- J’vous laisse faire ?
- Non, faites-le moi.

Je saisis donc sa main et la pose sur mon genou. Cette main gigantesque, calleuse, chaude. J’ai brièvement apprécié son contact. Mais je me gardais bien de le faire remarquer.
J’ai enserré le biceps dans le garrot trop petit. Mwé, dur de me l’avouer, mais je n’avais pas les plus gros bras du SI. J’ai attendu que les veines apparaissent tandis qu’il serrait et déserrait le poing. Puis j’ai piqué. La daube, lorsqu’elle passe dans les veines, brûle un peu. Il a grimacé, j’ai retiré la seringue, piocher une pastille que je lui ai tendu. Il l’a prise et se l’ait mise sur la langue.

- Normalement, 30min pour que le tout fasse effet. La première fois, ça va un peu plus vite. Bon, j’vous préviens, z’allez certainement faire tout un tas d’conneries.
- Raison d’plus pour que vous soyez là pour m’en empêcher.

J’ai pris ma dose à mon tour.

Mais... Je n’aurais jamais prévu que ça allait se passer comme ça...
Une gorge sous mes doigts, tendre, rugueuse, mais offerte sans retenue. Ses mains pressant mes hanches, leur imprimant un lent mouvement. Puis des lèvres sur les miennes, avides, furieuses, colériques.
Quelque chose de bon, de sauvage, de brutal.
Galvanisée... Enivrée... Emerveillée. Puis... La réalité nous rattrape.

Merde, qu’est-ce que j’ai fait ?

C’était mal. C’était contre mes principes.
« Je ne m’intéresse pas à ce qui appartient aux autres. »

Mais c’était bon... Tellement bon. Je ne savais pas, entre les seringues et ça, ce qui me faisait vraiment passer pour une droguée.
Tous les jours, je devais le faire. Avec lui. Parfois, ma raison revenait à la surface. J’essayais de lui dire qu’on ne pouvait continuer. J’essayai de faire cheminer dans son esprit le raisonnement qui l’empêcherait de revenir me voir. Mais il arrivait à éclipser toute pensée raisonnable.

« Fais-moi hurler, Cat’... »

J’sais pas c’que j’fais. Ou j’vais. Qui je suis. J’ai perdu la seule personne qui m’aurait foutue une baffe et remise dans le droit chemin. J’sais que ça sert à rien de le mater dans sa cuve pendant des CH et des CH. Mais quelque part, j’espère qu’il va se réveiller brusquement, avec un sourire, et que mon grand frère me serrera dans ses bras.
J’ai tellement envie de lui dire que j’arrive plus à vivre, que j’enchaine les mauvaises choses, que je me perds. Je perds mon identité au fur et à mesure des seringues, et chaque fois que je plonge mon regard gris dans ce regard sombre, brûlant et fiévreux.

Ion... S’te plait. Sors de là. Ou ta p’tite sœur ne s’ra plus qu’un souvenir.