Déjà plusieurs années qu'il était terré dans les sous-sols, vivant en reclus, fatigué des êtres qui peuplaient cette ville et trop conscient de ce qu'ils en avaient fait.

Il avait connu l'ancienne ville à ses prémices et découvert ce qui se tramait derrière ses belles façades. Il ne savait que trop qu'elle n'était qu'un incubateur où les pires expériences avaient vu le jour. Ramené à la vie après le grand cataclysme il avait vu les bâtisseurs à l'œuvre, reconstruisant sans répit. Il les avait observés longtemps avant de se réfugier dans les catacombes. Son esprit était clair, il se savait traqué et sa vie ne tenait qu'à un fil s'il était découvert. Il dû se résoudre à vivre loin de leurs yeux. 

Petit à petit, ne remontant que pour fouiller les décombres et trouver ce dont il avait besoin, il aménagea une pièce et installa du matériel qu'il relia à l'énergie de la ville en détournant une infime partie de l'alimentation des Services Techniques dont le câblage rongeait les sous-sols.

Sa paranoïa grandissante l'incita à installer des caméras reliées à la surface, lui permettant d'observer à loisir ce qu'il s'y passait. Il vécut ainsi à distance les événements qui secouèrent la ville, le départ des rebelles et leur réclusion dans un secteur en ruine. Les différentes assemblées, les discours qui tombaient et la ville qui peu à peu tentait de respirer à nouveau. 

Puis avec le temps l'évidence se fit jour, ils devaient savoir, ils devaient connaitre la vérité... impérialistes ou rebelles qu'importe.

Au fil du temps, ses signaux s’affaiblissaient alors que des IAs agressives étendaient leurs tentacules dans les réseaux, rodant à l’affut des émissions incontrôlées. Il devenait plus difficile de communiquer et se faufiler entre les paquets de données sécurisées qui circulaient de part et d’autre de la matrice. 

Pourtant certains suivirent le fil ténu menant à la source alors qu’à leur tour ils se réfugiaient dans les catacombes. Ils trouvèrent la pièce encombrée de détritus et d’enchevêtrement de câbles. L’être immatériel nourrit de la circulation d’énergie qui continuait d’émettre et créer des passages. Ils virent là un moyen de garder un contact avec le monde extérieur et veiller. 

Une très longue veillée pour ces êtres auxquels seul le temps avait pu donner la sagesse et le don du silence. Leurs rares remontées à la surface se faisaient furtivement et à seule fin de collecter les données qu’ils n’auraient pu tracer dans la matrice. Données aussitôt analysées dans les profondeurs des souterrains nauséabonds, entre les relents de champignons rances et les cadavres des rongeurs. Une nourriture en quantité malgré le profond dégoût qu’elle leur inspirait. 

L’androïde s’en sortait bien, elle qui ne vivait que d’énergie et pouvait à loisir observer les effets néfastes et parfois hallucinogènes de ces matières sur ses compagnons. Elle scannait chaque réaction et mouvement, emmagasinant l’information dans un recoin de son cerveau compartimenté avant de retranscrire et développer dans les laboratoires. L'autre s’usait les yeux sur ses plans sans cesse renouvelés, ses calculs et ses recherches. Rarement il les relevait dans la pénombre qui les entourait.  Le gobelin quant à lui attendait son heure, s'activant parmi les déchets collectés dans son atelier.

Eux n’avaient pu se résoudre à cette attente, leurs talents d’orateurs réduits à prêcher au mieux des convaincus et au pire dans le vide. Ils avaient fini par choisir le repos dans les cuves, humaine et vautour cotoyant les orcs dans un long sommeil, abandonnant à leur sort les veilleurs. Sort dont tout compte fait ceux-ci s’accommodèrent bien, tout aussi las de les entendre refaire l’Empire et la Rébellion à chaque sursaut de la matrice. 

Le petit groupe traversa des décennies d’attente ou d’observation, avant que des perturbations plus inquiétantes ne viennent troubler leur veille.