Aider les autres peut parfois nous amener tout droit à notre propre perte.
Quand une amie lui avait demandé de rejoindre le Cercle de l’Orient, organe de sécurité interne du secteur, Plax avait accepté, sans trop réfléchir, en souvenir de leurs moments de complicités partagés. Déjà peu apprécié par la criminalité du Quartier, le port de ce nouvel insigne en avait fait une cible.

Ensuite tout s’était effondré.

Le vautour sur la défensive marchait d’un pas pressé dans les artères de la ville. Régulièrement il tournait la tête au-dessus d’épaule pour tenter de détecter un assassin dans l’ombre, ou juste le regard trop insistant d’un physionomiste braqué sur lui.

Trahison, nom féminin en huit lettres.

C’est lors de l’une de ses sorties qu’il fut un jour pris de panique en apercevant une silhouette anonyme qu’il identifia comme hostile, et c’était mis à courir.

La pluie lui giflait le visage, dans l’air, un orage violent saturait l’atmosphère. Le Vautour changea à plusieurs occasions de direction pour se perdre dans les méandres des ruelles, en jouant parfois des épaules, pour se frayer un chemin. À bout de souffle il se faufila sous l’ombre d’un porche à l’abri de l’éclairage coloré des luminaires.

Il se plaqua le dos au mur. Le regard scrutateur braqué sur la foule qui continuait à circuler en combinaison étanche, les rendant pareil à des automates qui s’agglutinaient pour avancer, vers un idéal virtuel aussi éphémère qu’une simple ligne de code.

Son souffle produisait d’épais nuages de condensation, sa respiration se calma peu à peu, quand une voix s’adressa à lui.

— Il est inutile de fuir, le destin finit toujours par nous rattraper.

Il tressaillit, se tourna brusquement pour apercevoir le bout rougeoyant d’un tube eupho’ qui éclaira de manière fugitive un visage féminin.

— Détendez-vous, je ne suis pas à vos trousses, je partage juste le même abri.

Le ton se voulait bienveillant. La vision du Vautour s’adapta à la pénombre et il put distinguer le mouvement d’une caudale derrière la silhouette qui lui révéla sa nature Outrilienne.

Il tenta de se reprendre.

— Désolé, je ne vous ai pas vu dans l’obscurité, j’espère ne pas vous avoir effrayé, en arrivant de manière si abrupte.

Elle afficha un léger sourire, balança son tube eupho' avant d’enfoncer les mains au fond des poches de son blouson.

— Un peu je l’avoue, mais se faire surprendre devient un luxe très prisé, quand on est condamné à l’éternité.

Un silence s’écoula, durant lequel elle le dévisagea, pour finir par conclure.

– Surtout, quand la surprise est agréable, un Vautour aux abois laisse à songer qu’un sort mystérieux le tenaille.

Ses cheveux d’un noir de jais contrastaient avec la blancheur de sa peau, dans ses yeux gris il dénota une immense lassitude.

Il se décida à se présenter.

– Je crains que vous ne soyez déçu, mes tournants sont d’une banalité récurrente, je me nomme Plax.

Le plus grand mal qui régnait au sein du secteur provenait des habitants eux-mêmes, l’immortalité leur laissait à penser qu’ils pouvaient s’affranchir de tout.

Elle s’avança d’un pas, et déploya son parapluie.

– Ne briser pas le charme, je vous préfère en Vautour entouré d’un halo de mystère.

Il n’eut pas le temps de rajouter un mot qu’elle se fondit dans la foule pour aussitôt se transformer à son tour en silhouette anonyme avant de disparaître complètement de son champ de vision.

Ne pas respecter les autres peut vous valoir des ennuis, mais ne pas se respecter soit même est souvent fatale. La commissaire du CDO, son amie, n’avait pas supporté le poids de ce double jeu, celui de sa propre trahison. Sa culpabilité l’avait emporté, elle avait fini par se tirer une balle dans la tête après avoir désactivé sa puce.

Lui, autant affecté par sa perte que par cette révélation, avait quitté le Cercle.

Il se retrouva tout seul sous le porche un peu désappointé, quand il se rendit compte qu’elle ne lui avait pas donné son nom.

De son passage au Cercle, il en avait gardé des contacts. C’est avec une ancienne collègue qu’il se lia d’amitié. Elle avait rejoint les forces du Militarium, lui continuait ses errances, dépourvu de toute volonté à s’intégrer. Quoi qu’il advienne, on ne change pas la nature de son génome. Les Vautours sont liés à la matrice. Cela peut amener des surprises agréables, comme des déconvenues qui vous plonge le plus profond des chaos.

C’est grâce à elle qu’il retrouva la trace de son inconnue sous le porche.

Il ne l’avait jamais oublié. La charge émotionnelle qu’elle portait dans son regard en faisait pour lui une personne exceptionnelle, sans même la connaître. L’empathie fini par se dissoudre chez la majorité des personnes qui traversent les siècles.

Pas chez elle.

Branché sur un système de vidéo surveillance d’un magasin, elle lui était apparue sur l’objectif, aussitôt un listing s’afficha sur sa rétine matricielle, lui donnant toutes les informations liées au système de reconnaissance.
Au bluff, il lança un appel audio.

- Agent du CDO, contrôle de routine, veuillez présenter votre CI à l’objectif le plus proche.

Elle s’immobilisa un court instant, avant de se tourner vers la caméra qui l’observait, et bien loin de la réaction auquel il s’attendait, lui afficha un simple sourire, amusée par son intervention.

- Monsieur le Vautour aux abois, je préfère vous croiser sous les porches plutôt que derrière un objectif, dois-je vous rappeler que vous n’êtes plus agent ?

Avant de se remettre à regarder les habits exposés devant elle, sans plus lui prêter la moindre attention. Son aptitude le troubla, comment pouvait elle savoir que c’était lui ?

Il fit basculer l’appel en vision.

- J’ignorais que les Outriliens possédaient aussi un don de voyance, pardonnez ma petite mise en scène, comment allez-vous depuis notre dernière…

Il hésita, elle s’en rendit compte et termina sa phrase.

- Rencontre, bien merci, vous avez pu noter que j’ai eu le temps de me renseigner sur vous, en complète légalité pour ma part.

Elle se saisit d’un chemisier de soies noir à jabot, l’appliqua sur elle le lui demanda.

- Ça vous plait ?

Il finit par lui sourire, cela faisait deux fois qu’elle le surprenait, elle poursuivit.

- C’est très simple, aucun Vautour ne s’intéresse à moi en temps ordinaire, elle laissa échapper un silence tinté de solitude, mes écailles trop lisse et trop blanche les dérange je crois, et vu que je n’ai rien à me reprocher, les agents du CDO font de même, en dehors de vous, bien entendu, ex-agent Plax.

Il du bien admettre, que cette fois ci, il échappait au critère de sa race, car lui, la trouvé très séduisante.

Ainsi était né, cette relation étrange, entre l’Outrilienne et le Vautour.

Peu de temps après, son ex-collègue l’invita un soir, pour lui faire part de l’affection qu’elle lui portait. Ému par son témoignage, son ego flatté, mais aussi séduit, il ne vit pas la trame se tissait, et accepta cette liaison qui devait rester secrète aux yeux de tous.

Trop sûr de lui pour y voir là un sombre présage, il s’en contenta. Une heptade s’écoula, persuadé que le lien qui les unissait se renforcer.

En parallèle, sa correspondance avec l’Outrilienne, devint plus espacée. Il se fit sans le vouloir négligeant à son égard, ne discernant pas cette lassitude qui continuait de la gagner, ce mal être qui la poursuivait sans repos ni répit.

Ce que la matrice donne, elle peut tout aussi bien le reprendre, quand il lui plaît, en faisant payer aux prix fort les intérêts.

Assis derrière ses consoles, il avait gardé le goût de la traque appris au CDO, et mis au point des algorithmes visant un tas de suspects pour trianguler les infos afin d’en extraire la quintessence.

Au même moment il discutait en audio avec sa compagne secrète et en prononçant son nom dans une phrase, ses programmes l’inclurent dans la recherche et tous passèrent instantanément au vert, pour valider le profile.

…Taux de concordance des données 89%...

Clignement de paupières, il coupa aussitôt la communication.

Il se tut, ses doigts cessèrent de pianoter sur les claviers et son univers s’effondra. Le mensonge et la trahison une nouvelle fois s’invitaient. Il ne savait comment réagir, groggy tel un boxeur chancelant qui vient de se prendre un uppercut et réalise dans sa dernière étincelle de lucidité que le match est perdu.

Sa rétine matricielle se mit à frémir, il ouvrit l’appel sans trop s’en rendre compte.

— Comment va le Vautour mystérieux ?

C’était l’outrilienne à la peau si blanche. L’esprit dans le brouillard, il lui répondit d’une voix éteinte.

— Je sais pas… pas du tout…

Elle perçut aussitôt qu’il se déroulait quelque chose, essaya de l’aider.

— Je suis là pour vous écouter, si vous avez des problèmes, vous pouvez vous confier… parlez-moi, je vous en prie.

Il ne réussit qu’à balbutier des paroles incompréhensibles et ferma la communication, sans la moindre attention à son égard.

Après avoir éteint toutes ses consoles, il sortit pour se diriger vers le centre de cryogénisation.

À son réveil, son ex-collègue c’était envolée, elle avait fui le secteur pour Orion, et lui toujours troublé restait prostré dans son appartement.

Ce n’est qu’au bout d’une heptade, qu’il se souvint de la belle Outrilienne à la peau si blanche, croisé sous un porche. Il tenta de la contacter sans succès, sentit un mauvais présage qui planait comme une ombre sur son souvenir.

Dans son dernier appel, elle lui avait proposé son aide, mais le ton à présent qu’il y songeait lui disait surtout que c’était elle qui se trouvait en détresse. C’est elle pour une fois qui réclamait un peu de son attention, et lui, trop aveugle, trop préoccupé par sa vanité à penser que le monde ne tournait qu’autour de lui, ne l’avait pas compris.

Habitait d’une culpabilité implacable, il se rendit au centre de cryogénisation. Le cœur serré au fond de sa poitrine, il chercha dans la liste des noms, s’approcha d’un caisson et avec sa manche nettoya le hublot à hauteur du visage, pour découvrit avec horreur, ses deux yeux gris noyés dans l’oubli.