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Septembre

Ce couchant d'automne --
on dirait
le Pays des Ombres

(Matsuo Bashô)

J'éprouve une véritable passion pour le haïku, le poème court japonais. L'ensemble de règles qui le régissent permet la quintessence du génie de l'auteur qui peut alors exprimer pleinement son art et fabriquer ces petites perles que sont les haïkus. D'ailleurs, comme le disait Malarmé, "Poésie : un aboli bibelot d'inanité sonore, hésitation prolongée entre le son et le sens".
Je ne peux dire tout les auteurs de haïkus que j'aime (Yosa Buson, Matsuo Bashô, Masaoka Shiki, Kobayashi Issa pour ne citer que ceux-là), mais il est un petit poème que j'aime beaucoup, voire plus que les autres :
Couchant d'automne --
la solitude aussi
est une joie
Cette merveille est signée Yosa Buson, mon auteur préféré.
Dans ce haïku, il y a tout ce qu'il y a à savoir sur la solitude; et moi qui en fait l'expérience de manière continue, je ne peux trouver une description au moins aussi fidèle de ce statut que celle proposée par Buson.
la solitude aussi
Car la solitude n'est pas la seule joie, certes, mais surtout car la solitude n'est pas toujours une joie.
En fait, beaucoup vont me demander : en quoi la solitude est une joie ? C'est tout à fait légitime. Être seul, sans personne, c'est triste, voire angoissant. De manière générale, la solitude permanente est une chose qui a rendu fou beaucoup d'hommes. Par solitude permanente, j'entends le fait de ne pas avoir quelqu'un à qui parler car il n'y a personne.
Robinson Crusoé faillit devenir fou, seul sur son île, avant que Vendredi n'arrive (j'aime beaucoup cette phrase, on dirait que Robinson attend le vendredi pour ne plus être seul).
La solitude sociale n'est pas propice à garder l'esprit sain. Je parle ici de ne pas avoir de connaissance par un refus psychologique (conscient ou pas) d'en avoir : la sociopathie.
En fait, il est presque forcément nécessaire d'avoir quelqu'un à qui se confier, pour ne pas retenir en soi tout ce que l'on voudrait exprimer, et ainsi risquer de corrompre son âme et de le faire littéralement exploser.
Pour beaucoup de personnes, être seul ne serait-ce qu'une petite seconde est un supplice; ce sont ces personnes qui ont besoin de chaleur affective car en manque d'affect de la part d'autres proches, ou alors parce que leur âme est constamment saturée d'idées noires qu'ils veulent chasser (parfois même sans en parler).
est une joie
Il peut paraître étrange de considérer la solitude comme une joie (surtout après ce que j'ai dit dans les paragraphes précédents). Pourtant, il est des moments où être seul est un pur plaisir.
N'avez-vous jamais vu une personne triste vous demander "j'ai besoin d'être seul quelques instants" ? Si. Et peut-être même est-ce vous qui l'avez demandé.
Pourquoi ? Pourquoi vouloir être seul dans un moment pareil alors même que, manifestement, vous auriez besoin de la chaleur émotionnelle de vos proches ? Parce que ces quelques instants, ces quelques petites minutes que vous passerez tout seul vous aideront d'une part à ressasser votre réflexion pour comprendre ce qu'il se passe, et d'autre part parce que ce sont quelques minutes d'intense lucidité, d'accrochage au réel aussi dur soit il, quelques secondes pendant lesquels vous vous dites : personne ne peut comprendre ce que je ressens.
Certes, en quoi ce sentiment est une joie ? On peut voir ça comme l'orgueil inhérent au genre humain (un truc du type "Ahah ! Je sais quelque chose que vous pourrez jamais savoir !"). Personnellement, je vois ça autrement.
La solitude en soi n'est pas une joie. Quitter la société pour devenir seul, là oui, c'est effectivement un plaisir très agréable : quitter le bruit de l'activité humaine, quitter les soucis de la vie des hommes, quitter cette réalité un peu trop abrupte pour s'adonner à un retournement de l'esprit sur lui-même.
On comprend donc que certaines personnes aiment être seules, car ces personnes sont simplement horripilées des autres humains (de manière plus ou moins épisodique, dirais-je). Ces personnes sont-elles malheureuses ? À cette question je répondrai simplement : les autres sont-ils heureux ?
Couchant d'automne
Je termine par le début, car je ne peux passer sous silence cette très belle phrase qui paraît... banale. Les plus aguerris littéraires auront reconnu une belle métonymie qui associe le "couchant d'automne" au crépuscule de cette saison.
En fait, si je trouve cette phrase belle, c'est sans doute à cause de l'image qu'elle transpose chez moi : un crépuscule automnale sur une forêt de bois nu, un tapis de feuilles mortes aux couleurs pourtant flamboyantes, mais qui semble si vide.
'Nagatsuki1'' signifie le "Long Mois" littéralement. Un long mois de solitude à marcher dans les forêts endormies qui se préparent à affronter le froid. Si, au printemps, Dame Nature enjolive le paysage; si, en été, Sieur Soleil échauffe les coteaux; si, en hiver, la Reine du Givre dépose sa fourrure blanche sur les terres asséchées; il ne se passe rien en automne, si ce n'est la chute inévitable des feuilles.
Peut-être suis-je le seul à trouver ça beau.
Les chrysanthèmes ornent toujours la tombe des défunts.
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  • 1 "septembre" en japonais

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Réflexion
18 Mai 2012
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