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Créé par Inconnu le 14 Juillet 2013 à 20:51

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Inconnu Posté le 14 Juillet 2013 à 20:51 #1
I. Et au début de toutes choses, ils furent dispersés.



Aujourd'hui, Judith est née. Ou bien c’était hier, elle ne sait plus. D’ailleurs, « naître », c’est peut-être un peu fort. On aurait plutôt dit qu’elle se réveillait. De quoi, par contre…

Elle réclame de l’eau. Au bout d’un moment, il devint évident que personne ne lui en apporterait, pas sans qu’elle paye le prix avant. Bon. Il allait falloir s’y faire ; la solitude, Judith a ça dans le sang, c’est une affaire d’orc. Ce n’est pas vraiment comme si le code génétique inclinait à la sociabilité. Avoir une gueule couleur moisissure et pouvoir donner un sens nouveau au verbe « verdir », ce n’étaient pas des qualités qui faisaient de vous un joyeux luron aux fêtes communales.

Au bord du lit dans lequel elle s’est éveillée, une besace, une casquette, une carte. On a même prévu un couteau à son intention. Si elle appuie assez fort, elle pourrait peut-être couper un tissu en papier. Peut-être. Au début, Judith refuse tout net de ne serait-ce que jeter un œil à l’ensemble.

« Qu’est-ce que je suis censée faire avec ça ? Enfiler mon sac à dos et partir à l’exploration ?! Et puis quoi encore, vendre des biscuits aux vieilles dames ? J’suis pas dans un putain d’scénar de mauves, » est, précisément, sa réaction. Il n’est peut-être pas trop tard pour se trancher les veines avec le couteau. Avec espoir, elle se retourne, tête dans l’oreiller, et invoque toutes les images possibles pour se rendormir. Mais comme cela ne fait que quelques heures qu’elle est vivante, et que durant cette brève existence elle n’est pas sortie de cette chambre, elle ne fait que revoir en boucle les murs de la salle et les promesses délictueuses de la besace au bord du lit. Les dits murs sont assez ennuyeux sans qu’il soit nécessaire de les repasser dans le cadre de sa mémoire.

Judith finit par craquer. Elle visse l’horrible casquette noire autour de son crâne, un peu surprise de la trouver à sa taille, puis passe la lanière de sa besace sur l’épaule. Il est lourd. C’est normal, il y a « Six mille putain de crédits ! » à l’intérieur (Mais comment sait-elle qu’il s’agit là de « crédits » ? Elle n’a aucun souvenir et pourtant, elle est persuadée, du fond de son âme ou plutôt de ce qui en tient lieu, qu’il s’agit là de crédits.) Le couteau, pour sa part, connaît un sort particulier puisqu’il finit bloqué dans le soutien-gorge de l’orc, où elle est à peu près sûre que personne n’ira fouiller dans l’immédiat.

Au fond de la salle, une porte.

Il y en a toujours une.

Judith examine celle-ci, critique. En termes de portes, on aura déjà vu mieux, mais c’est sa première porte, et puis bon, les premières fois, c’est important. Elle excuse donc le manque total de maintien et de classe du chambranle électronique. Elle ne sait rien mais pourtant encore une fois elle pressent que la bonne chose à faire dans sa situation, ce serait de sortir de la salle en titubant. Une personne ne devrait pas se réveiller amnésique dans une pièce et en sortir avec allégresse. A-t-on déjà vu beaucoup de gens qui, se réveillant façon ‘tabula rasa, hey mec, elle est où ma caisse’, partent néanmoins tout heureux chercher du travail et un domicile dans une ville qu’ils ne connaissent pas ? Non. Cela n’arrive pas. Jamais. Il y a certains codes à respecter. Elle devrait peut-être avoir l’air bizarre, un peu constipée et regarder autour d’elle-même d’un air perdu. Ce serait le minimum narratif à respecter. Peut-être même qu’elle devrait se prendre la tête entre les mains et…ben…ce genre de trucs, là.

« D’la merde », marmonne l’orc en enfonçant la porte d’un coup de botte énergique. Puis, époussetant les vêtements mal taillés qu’elle portait à son éveil, et qui seront ses haillons pour les jours à venir, Judith avance énergiquement et sans marquer une hésitation vers la sortie. Et, quand elle aperçoit la ville, c’est à peine un sourcil qu’elle hausse au son d’un pincé : « Mézigue, quelle benne à ordures. »

Vers où elle va, elle n’en sait rien. Ce qu’elle risque de croiser, elle ne le sait pas plus.
Mais elle a beaucoup d’espoir pour l’avenir. Oh, oui.

Elle se dit qu’il pourrait peut-être lui réserver un paquet de cigarettes.
Des meurtres se sont commis pour moins que ça.
Inconnu Posté le 17 Juillet 2013 à 23:29 #2
Et pendant ce temps-là, dans la basse-ville…

Elle erre dans des temps qui ne sont pas le siens. Ni les murs, ni les allées, ni les néons ne lui disent quelque chose. Elle vit dans une ville de silence, parce qu’elle ne lui parle pas. A chaque jour qui passe, Judith constate un peu plus l’absurdité de sa situation.

Elle est vivante. Et, puisqu’on peut la cloner à l’infini, immortelle. Et elle est en train de passer une partie de son immortalité à s’enfoncer dans la mendicité.
L’idée la tient éveillée la nuit.

Elle ne peut pas mourir. Ou plutôt : elle peut se faire crever dans une ruelle du sud et partir taper un jogging le lendemain matin. Et, si elle doit en croire ce qu’elle apprend au cours de ces jours d’errance et de squats, son…autre corps…s’en souviendra. Ce ne sera pas grave. Judith se demande si on peut se remettre de telles étreintes. Et, parce que Judith n’est pas la plus fine ni la plus intelligente des personnes, elle se demande aussi si on peut vraiment rester un même individu en connaissance de cause. Qui sera-t-on demain ? L’orc, qui ne comprend rien à ces histoires de matrice et de virtualité et de tout ce que vous voulez, s’accroche à cette question comme à sa bouteille de vodkast, c’est-à-dire avec un désespoir mêlé d’amour.

En parlant d’être quelqu’un, il serait de bon ton de noter que, cette dernière semaine, la jeune orc s’est parfaitement affairée à n’être personne. C’est avec grand brio qu’elle s’est faite ignorée, méprisée, insultée, rejetée, et qu’elle a soigneusement planifié sa ruine financière. Judith en est très fière. Elle est persuadée qu’il faut un grand talent pour se torpiller ainsi soi-même. Sans travail, sans domicile, et sans honneur ni vertu, l’orc se sent monstrueusement libre. Si, au départ, elle arpentait les rues sans distinction de genre, elle se fait désormais un point d’orgue à préférer les ruelles sud pour lesquelles elle éprouve un petit faible. Là-bas, les gens ont au moins la gueule de leurs petites vérités, et elle peut commencer à reconnaître la rue de la Propagande rien que par le contact du sol écaillé sous ce qui reste de ses semelles.

C’est dans une de ces heures creuses de la nuit que Judith, qui traînait sous un vantail lumineux en tirant sur sa roulée, à l’abri de la pluie drue et dense qui transformait la ville en brouillard, repère le prochain taudis dans lequel elle compte s’installer. Elle a une affection particulière pour le 80, rue d’Hoblet, mais celui-ci contient une chaise avec des liens qui retiendraient un troll et curieusement, très curieusement, ça n’inspire pas trop la Judith, quand bien même s’est-elle offerte quelques heures de sieste bien méritées sur le susnommé siège. Néanmoins, et quand bien même elle n’est rien dans cette cité, l’orc ne peut se résoudre à passer plus de quelques nuits au même endroit. C’est que la pauvre est paranoïaque…

Elle repère la brèche sous le loquet de la vitre, signe infaillible que quelqu’un a déjà eu la même malheureuse idée que l’orc. Elle introduit le couteau à beurre offert par l’Empereur et soulève la vitre. On est loin des verres blindés à digicode des quartiers nord. La barre rouillée grince même un petit peu, pour satisfaire aux attentes de la mendiante. Elle fait d’abord passer sa besace puis pénètre à l’intérieur du bâtiment qui offre à peu près autant de sécurité et de confort que les caniveaux qui bordent la Moule qui Saoûle (qu’après inspection, Judith qualifie de très correctement entretenus.)
Elle entreprend d’abord une toilette sommaire en tordant un bout de tissu plein d’eau puis se couche, la tête sur sa besace et sa maigre arme en-dessous. Ses yeux whiskys parcourent le plafond plongé dans la pénombre. La pluie cogne sur la ferraille du toit. Si elle avait été plus naïve, Judith aurait entrepris de se fabriquer un récipient pour récupérer de l’eau. Mais elle a déjà essayé et, après avoir vomi à peu près tout ce qu’il était possible de vomir, elle a perdu toute sa naïveté. Depuis, elle est convaincue que plus jamais rien ne lui fera vraiment peur.

Elle repense à cette bagarre à laquelle elle a assisté, par erreur, sans doute – mais Judith semble avoir un truc pour être au mauvais endroit, au mauvais moment. Et un truc pour s’en foutre royalement. Elle pense à la gnoll qui, surgie de l’ombre au milieu du bar, a proprement dézingué la moitié des consommateurs. Elle y a repensé souvent depuis. Pour quel motif, déjà ? Une histoire avec un type qui s’appelait…Val quelque chose…Valstick, voilà. Des gens qui travaillaient avec lui et qui n’auraient pas dû. Judith n’est pas très sûre d’avoir encore compris, mais elle se souvient avec fascination de l’exactitude meurtrière de la gnoll. Ce soir-là, elle avait acquis la certitude qu’il y avait des gens, en haut de l’échelle sociale. Et, à bien y réfléchir, qu’elle préférerait être à leur place plutôt qu’à la sienne. Elle se demande aussi vaguement comment s’en fort la fille, là, la vautour.

Judith ferme les yeux et, contre toute attente, s’endort, et rêve.