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Un parfum familier - 4 (Non référencé)

Pluie fine, ciel couvert, il remonta la rue des six commissaires jusqu’au Service technique de la ville. Première étape, videz son sac. L’intérieur du bâtiment, comme à son habitude, abritait une foule dense, composée en grande majorité des ramasse-merdes du secteur. Ils se regroupaient ici, pour échanger, vendre, grappiller, à l’abri des intempéries. Il lui fallut jouer des épaules pour s’approcher des cuves, l’odeur aigre, les voix grasses et les murmures emplissaient les couloirs.

Il renversa sa besace dans l’une d’entre elles, le regard fixé sur les objets qui se dissolvaient dans l’acide, comme des cachets effervescents dans un verre d’eau. Dernière escale pour eux après une éternité écoulée dans l’anonymat, dans des souterrains désaffectés. Abandonné par un propriétaire peu scrupuleux et sans cervelle qui avait depuis longtemps péri, lui aussi bouffé par toute la noirceur de cet îlot civilisationnel décadent.

Il ressortit des STV avec quelques crédits supplémentaires en poche. Exécuta un crochet sur le chemin, jeta un coup d’œil grisé devant la vitrine de Mira, et se dirigea d’un pas pressé en direction de l’hôpital, au 107 rue du Deanétique.

Sa main retomba sur le cube qu’il avait mis de côté, s’en saisit pour l’observer plus en détail toujours en marchant. Le métal, légèrement bleuté qui lui avait paru uniforme, était à présent revêtu d’une toile qui s’entremêlait. Dessin sans relief ni cavité, un veinage rouge écarlate le parcourait. Il pensa à une réaction à la chaleur ou à l’humidité, peut-être une sonde ou un appareil de mesure pour une machine-outil disparu dans la nuit des temps.

Ses pas le conduisirent, sans qu’il s’en rende compte à destination, et c’est en levant la tête devant ce qui aurait dû être un hôpital qu’il stoppa et fronça les sourcils. Il se tenait face à un bloc d’habitations, sans accueil ni pancarte indiquant qu’ici on soignait les gens.

Il jeta un rapide coup d’œil autour de lui, remarqua qu’il se situait pourtant bien dans la bonne rue, mais l’hôpital lui n’y était plus. La foule le contournait, pressée, certains râlaient pour l’éviter, tandis qu’il restait là, au pied de l’immeuble, pris au dépourvu. Fouillant dans sa mémoire pour se rappeler comment une telle information avait pu lui échapper, et se décida d’actionner sa rétine matricielle.

– COMMANDE — CARTE SECTEUR — HÔPITAL —

Un schéma virtuel lui apparut, lui signalant sa position ainsi que celle de sa destination. Une boule d’angoisse lui serra la gorge, comment pouvait-il oublier l’endroit où il se trouvait alors que son ami Etan y travaillait, et pourquoi ce dernier ne l’avait pas prévenu de ce changement d’adresse.

S’agissait-il des effets du cocktail ?

Non un produit hallucinogène altère la réalité, pas les souvenirs, essayait-il de se convaincre. Il repartit en suivant les indications de la carte et la ferma une fois en vue.

Etan était absent, mais il avait laissé des consignes. Prise de sang, dans un service, de salive dans un autre, puis d’urine, sans omettre la plume sur son crâne qui lui fut aussi retiré. Entre chaque étape, une plombe à patienter sur un siège en plastique dans un couloir ou une pièce froide. Le tout éclairé par des néons, qui donnait à tous ceux qui s’en approchaient, un teint maladif et anémique.
Il souffla d’abord irriter, gigotait une jambe avec nervosité, avant de s’assombrir, les épaules voûtées en attendant qu’on veille bien l’appeler.

Quand il demanda depuis combien de temps, l’hôpital avait changé de place, on l’avait regardé d’un air étrange. Une infirmière finit par le lui indiquer que ce n’était pas arrivé depuis des centaines d’années. Il comprit alors qu’il lui valait mieux se taire, et patienter pour en discuter avec Etan. Lui saurait expliquer son problème de plasticité mental qui refusait d’admettre qu’il se trompait.

Après un temps infini, il en sortit sans avoir croisé une tête connue. Une solitude pesante s’empara de son être, son estomac lui rappela qu’il avait faim. Il ouvrit ses céréales et se décida à rentrer chez lui, avec une peur sourde de découvrir d’autres altérations urbaines dans le secteur. Le mieux, se dit-il, était d’attendre les résultats, et tout finirait par s’expliquer.

Le paquet à peine entamé, les flocons prirent l’humidité pour se transformer en éponge au goût de moisi qu’il balança écœurer au coin d’une artère avant d’arriver chez lui.

C’est là, à l’entrée de sa rue, qu’il se figea. La pluie s’abattait plus fort, et résonnait sur le macadam, l’éclairage venait de se déclencher, signe que la luminosité diminuait même si la nuit n’était pas encore tombée.

Un frisson glacial lui remonta l’échine. Son appartement se trouvait dans un bloc sans cachet particulier, bordé de tout un tas d’habitations plus ou moins confortable. Mais à présent son immeuble côté impair était le seul à s’ériger. Tous les autres bâtiments qui d’ordinaire l’entouraient avaient, tout simplement, disparu. Aucune trace d’engin de chantier, pas un gravats sur le sol, rien.

Comme s’ils n’avaient jamais existé.

Son immeuble, isolé au milieu, paraissait craintif comme s’il redoutait que son tour n’allât plus tarder. Plax hésita, puis se décida à s’en approcher. Un nœud lui saisit l’estomac, il se souvint des hallucinations dans le tunnel, ou plutôt de l’instant qui les avait précédés. Sa main se posa sur la crosse de son pulseur toujours dans une poche, en restant le plus calme possible et surtout, surtout, il prenait soin de ne pas fermer ses paupières.

Il s’arrêta devant l’ouverture, jeta un regard perdu des deux côtés, eut l’impression que l’artère s’étirait sur des kilomètres à présent qu’elle n’abritait plus aucune habitation. Il avala avec difficulté et entra pour gagner au plus vite son palier.

– Identification vocale, Plax 79 96 47 93.

Une fois pénétré dans l’appartement silencieux, il modifia le code d’accès, et abaissa tous les stores. Sa respiration devint plus rapide, comme pour chasser l’angoisse qui lui comprimait le torse. Il devait conserver son calme, et attendre le résultat de ses analyses. La rue était ordinaire, c’était juste lui qui ne voyait plus les maisons c’est tout, se disait-il pour se rassurer.

Il posa son sac, vida ses poches et se rendit à son armoire à pharmacie, pour se saisir d’anxiolytiques. C’était le mieux qu’il lui restait à faire, pensa-t-il, oublié tout cela et demain tout s’arrangerait. Il choisit deux pilules bleues, hésita, en rajouta une troisième dans le creux de sa main, puis les avala d’un trait, accompagné d’une rasade de skiwi.

– COMMANDE — CANAL ACTUALITÉ — MÛR SALON —

Il s’installa sur son canapé avec une autre boîte de céréales. Il espérait trouver des réponses à toutes ses questions en écoutant les dernières nouvelles du secteur. Il fustigea sa sédentarité, son mode de vie renfermé, s’il avait juste pris le temps de s’intéresser au monde qui l’entourait, il ne paniquerait pas de cette manière.

L’effet des drogues le détendit, il s'enfonça dans son siège.

Le flux d’actualités se déroula sans stimuler la moindre curiosité. Rien sur les travaux dans sa rue ni sur l’hôpital. Sa main plongea une énième fois dans l’emballage des céréales, quand ses paupières se fermèrent. Il sombra dans un sommeil profond.

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