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[Livre RP] Sociologie de la Confrontation

Ce livre peut être trouvé sur un espace matriciel oublié d'un jeu en ligne peu fréquenté. Il n'est ni anonymisé, ni particulièrement protégé ; que vos personnages tombent dessus ou non dépend de votre chance et de votre bonne volonté.

Je sais que c'est un pavé indigeste et j'assume. Je ne doute pas qu'il trouvera son public, auquel j'espère que ce mélange de rp et de méta-réflexion plaira.

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Sociologie de la Confrontation

Sneni


Table des matières :

a) Introduction
b) Imprécisions historiques et reconstitutions, méthodologie
c) Axiome premier : définition dialectique et binaire du conflit
d) Axiome second : pérennité par facteurs encourageants et limitants
e) Implication première : la cristallisation des oppositions, ponctuation discordante
f) Implication seconde : le conflit comme une situation de double-contrainte
g) Implication tierce : l'interdépendance sectorielle
h) Dernière implication : disparition de la temporalité
i) Conclusion : le purgatoire est pavé d'intentions noyées de smog

a) Introduction

Je ne pense pas m'avancer excessivement en disant que toute personne, assez rapidement, aura été marquée par la Confrontation, nom donné au conflit pérenne entre le Secteur Marran et le Secteur Orion. Ce conflit aura alterné entre les affrontements ouverts, les envahissements à sens unique sans lendemain, les guerres froides aux murailles ensommeillées, les courses idéologiques, technologiques, ou plus récemment énergétiques.

Si l'implication de chacun.e peut se montrer des plus variables, il n'en demeure pas moins que tou.te.s ou presque considèrent cet affrontement comme une donnée centrale de la vie quotidienne, du moins en Secteur Rebelle d'où je viens. Tou.te.s, ou presque, auront été exposé.e.s à la propagande, et parfois à la violence, du Secteur adverse comme du leur.

Je m'exprime ici en tant qu'habitante du Secteur Rebelle ; cela signifie que je n'ai qu'un accès limité ou biaisé à la politique interne du Secteur Marran, et que je ne peux prétendre aux diplômes et titres souvent ronflants de l'Université Impériale qui donnerait une tendance à croire 'a priori' à mes propos. En un sens, je considère cela comme positif : si cet ouvrage stimule l'esprit critique, que cela concerne son Secteur d'appartenance, le conflit ou moi-même, ces écrits auront en grande partie fait leur oeuvre.

Il n'en demeure pas moins que la bibliothèque Rebelle est un lieu très fourni en savoirs peu censurés. Quant à mes qualifications personnelles, elles comprennent une certaine capacité à la neutralité et au recul, à l'écoute active et non-jugeante, ainsi qu'à l'empathie. Il s'agit de caractéristiques difficiles à quantifier et à valoriser, je n'en doute pas, aussi leur prêterai-je une plume que j'essaierai de rendre fluide.

Un petit mot ici quant à mes affiliations. Bien qu'étant une prêtresse du Rat – culte considéré par d'aucun.e.s comme fantaisiste, et cela m'indiffère -, je vis et m'investis pour le Secteur Rebelle. Pourtant, j'en ferai ici la critique tout autant que celle du Secteur dit Impérial.

A cela, deux raisons : la première est que je ne considère pas qu'il faille 'convaincre' autrui d'être Rebelle. Il me semble préférable, et plus productif, de donner à chacun.e tous les outils nécessaires à réfléchir sur sa propre situation et celle de la Ville le plus librement possible, pour ensuite faire un choix éclairé et assumé. Une cause s'épouse, elle ne s'enchaîne pas, sous peine de produire un cycle circulaire de bourreaux comme nous le faisons si bien.

La seconde raison est que je pense qu'on peut à la fois s'impliquer, s'investir, choisir son camp, et faire cela tout en conservant une distance critique et auto-critique. Je pense même qu'il s'agit d'une dialectique salutaire : la certitude excessive – et je dis cela en elfette cléricale ! - est le berceau des tyrannies de tout acabit, auxquelles je m'oppose quelle que soit la couleur de leur masque.

Un dernier mot pour conclure cette introduction déjà bien trop longue. Ce livre va nous emmener sur les plates-bandes de la sociologie et de la (méta-)anthropologie. C'est par ailleurs la lecture du livre 'La Rébellion, un bienfait voué à disparaître', d'Alleria Windrunner, qui m'en a en partie inspiré l'écriture.

Je suis consciente qu'il paraîtra parfois complexe, obscur, jargonneux, et qu'il tombera dans l'écueil de l'élitisme que je déplore et que pourtant je peux contribuer à maintenir. Je n'ai pas d'excuses parfaites pour cela. J'ai tenté d'en rendre le contenu à la fois aussi accessible et nuancé que possible, mais c'est un jeu d'équilibriste difficile lorsqu'on veut rendre compte de la complexité même de la situation actuelle.

Second écueil, ce livre manque sans doute d'implications concrètes, ou du moins, paraîtra plus d'une fois en manquer. Il est vrai que ce n'est pas un ouvrage de solutions clef-sur-porte ; mais j'ai l'arrogance de penser que faire réfléchir, remettre en question, songer à des alternatives, est un premier par majeur pour toute (r)évolution. D'ici là, lectrice, lecteur, je te souhaite une agréable lecture. Que le Rat veille sur toi comme sur tout.e.s les vivant.e.s de la Ville.

Sneni

b) Imprécisions historiques et reconstitutions, méthodologie

En préambule pratique, cet ouvrage ne fera pas appel à des datations concrètes. Il y a plusieurs raisons à cela. La première – qui est sans doute la plus pertinente – est que je ne suis pas historienne. Par ailleurs, je ne peux prétendre à une durée de vie ou une érudition suffisante pour indiquer des points temporels précis. Les sources à ce sujet peuvent varier, elles aussi, tant au niveau de ce qu'elles indiquent que de leur fiabilité.

Lorsque, dans les adages, l'un dit que l'histoire n'a pas toujours été écrite par l'Impérium, l'autre que l'histoire est écrite par les vainqueurs, ils ont un point en commun. Ils indiquent que l'histoire, à la façon d'un roman ou d'une oeuvre, est une écriture. Je dirais même qu'elle est une réécriture à la lumière des personnes écrivants, des instants d'écriture, de la volonté se dissimulant derrière la mise en page. Ce que je vais dire ici est critiquable, mais la différence entre l'Histoire et une histoire ne tient parfois qu'à une majuscule qui a pour volonté de faire accepter la première comme une vérité objective.

Une 'Vérité' unique des faits historiques existe-t-elle ? C'est probable. Néanmoins, et c'est un postulat qui m'est personnel, nous manquons de sources de première main dont la fiabilité et l'absence d'arrières-pensées soient avérées. Du reste, je crois sincèrement que la recherche de la vérité sur le passé est moins importante que l'étude en détails de la situation présente. L'histoire se doit d'être fouillée et décortiquée, bien entendu, pour en apprendre, éviter d'en commettre de nouveau les erreurs. Mais cet apprentissage est bien plus capital que le fait d'avoir la ''Vérité'' sur ce passé.

Car le sens que l'on construit est parfois plus important que ce qui 'est'. Notre perception de la réalité passe toujours par un conditionnement, un ensemble de grilles de lecture, et personne ne se fourvoie davantage que celui ou celle qui pense avoir atteint une pleine lucidité.

Je vais en donner un exemple issu de la vie quotidienne : quand nous voyons un ou une vautourde plonger, nous ne voyons qu'un corps immobile, à peine vivant, connecté à un ensemble de machines. Une NA, débarquant, pourrait définir le phénomène ainsi. Un corps immobile et connecté. Une personne un peu plus avancée, externe, décrirait la scène comme un.e vaut en plongée, et ne nierait absolument pas que l'action dans cette réalité alternative puisse avoir un impact dans notre réalité à nous.

Un.e vaut ou un autre être dûment formé.e pourrait hasarder des hypothèses sur l'action précise de la plongeuse ou du plongeur suivant les informations du moniteur. Le ou la plongeuse saurait dans le détail le processus en cours et la résultante escomptée. Une IA pourrait, peut-être comprendre et décomposer l'action de la personne en plongée encore mieux que ne le ferait celle-ci.

Dans chaque cas, il y a une couche différente de perception de la réalité, mais aucune n'a le fin mot de l'histoire. Par ailleurs, il y a des actions aux résultats extrêmement concrets qui sont comme une matière tactile pour les plongeurs et plongeuses, mais qui aux autres sont parfaitement impalpables, une réalité dans la réalité avec ses mécanismes propres. Enfin, chacun.e pourrait mesurer le résultat émis différemment : échec ou non du hack, crédits perdus, temps passé, énergie émise, commandes par minutes, ainsi de suite. Chaque mesure serait concrète, mais aurait une marge d'incertitude, mais aucune ne représenterait la totalité de la vérité.

Où cela nous mène-t-il ? Cela nous mène à nous intéresser aux mécanismes, aux processus, à ce qui se fait plutôt qu'à ce que nous pensons être. Si nous comparons la vautourde en plongée à la Confrontation, nous allons plutôt tenter de voir l'action matricielle, soit les mécanismes du conflit. Ces choses qui nous sont impalpables, mais dont l'impact au quotidien nous est tellement concret.

Pour tenir la métaphore jusqu'au bout, cette autopsie des mécanismes ne nous donnera pas une vision lucide, ni le fin mot de l'histoire. Mais elle nous permettra une vision un peu plus informée, avec un peu plus d'acuité, de précision, pour ensuite adopter une ligne de conduite qui nous semble plus adaptée. Il s'agirait par exemple, renforcer le digicode ciblé, déployer des Glaces, ou résonner de façon alternative, par exemple en débranchant l'approvisionnement énergétique local ou en transférant les contenus du bâtiment ciblé ailleurs.

Dernier point au niveau méthodologique, qui est dans le même ordre d'idée, ce que nous allons étudier sera souvent de l'ordre des propriétés émergentes. Qu'est-ce qu'une propriété émergente ? C'est une propriété qui naît de la somme de plusieurs éléments, et vaut plus que leur somme individuelle.

Ainsi, lorsque deux individus se mettent en couple, cette idée de couple, et ce qu'elle implique, est une propriété émergente : le couple et ses propriétés naissent de l'interaction entre ces individus, et tenter de le localiser dans une personne spécifiquement n'aurait aucun sens. De la même façon, ce livre n'est ni dans les doigts, ni dans le papier : il naît de la rencontre de l'encre, des doigts, du papier et des pensées.

c) Axiome premier : définition dialectique et binaire du conflit

Avant tout, définissons un axiome : c'est une chose que l'on va considérer comme vraie jusqu'à preuve du contraire. Si il n'y a pas de vérité absolue, il n'en demeure pas moins qu'on a besoin de bases de travail en sciences humaines, sans quoi tout ouvrage serait assez stérile. Ces axiomes peuvent être remis en question. Si ils le sont de manière valide, ce livre sera sans doute à remettre sur l'établi, que ce soit pour changer son contenu ou pour l'archiver.

Notre premier axiome, ici présent, est la définition dialectique et binaire du conflit. Définition dialectique, tout d'abord : ce conflit est mené en duo, et non de façon unilatérale. Les protagonistes se renvoient toujours l'un vers l'autre, comme deux facettes d'un miroir. Par nature, une Rébellion ne peut exister sans instance dirigeante contre laquelle se révolter. Par nature, valider la Rébellion comme un pouvoir pertinent et équivalent enlèverait son monopole à l'instance dirigeante.

Le Secteur Orion va se définir comme 'un secteur arraché aux griffes Impériales par les Rebelles', et non comme 'le Secteur Orion en quête contre le Secteur Marran', tout comme les Impérialistes vont voir la confrontation comme une guerre de reconquête parfaitement légitime – de reconquête d'un acquis, et non de conquête d'un ennemi de même valeur.

Deuxième partie, la définition binaire du conflit : dans celui-ci, vous êtes soit Impérialiste, soit Rebelle. Les tierces parties sont, au mieux dénigrées, au pire condamnées, minoritaires dans tous les deux cas. Il est important de noter que la plupart des identités subalternes, comme 'Noble', 'Réserviste', 'Criminel', 'Horloger', 'Sin7', sont toutes inféodées à cette appartenance Rebelle ou Impériale, et ce malgré le fait que le comportement d'un 'Noble' et d'un 'Leader' puissent être plus proches que celui d'un 'Noble' et d'un 'Criminel'.

d) Axiome second : pérennité par facteurs encourageants et limitants

Le second axiome découle en partie du premier. C'est que chaque Secteur encourage le maintien du conflit plutôt que son extinction, par un mélange de facteurs internes et externes. Le conflit est maintenu, se doit d'être maintenu, et ce même lorsqu'il s'agit d'un jeu à somme nulle ou dont le peu d'enjeux frise l'absurde. Les seules pauses tolérées sont caractérisées comme des trèves, ce qui indique bien qu'elles se doivent d'être temporaires.

Par facteurs encourageants, j'entends ceux qui poussent à s'impliquer dans le conflit. Ainsi, lorsque la Réserve recrute, que des primes sont mises sur des têtes de personnes du Secteur adverse, que des avantages matériels sont offerts en cas d'entraînement massif, il s'agit de facteurs qui vont former les protagonistes à se donner corps et âme dans le conflit. Dans une logique circulaire – l'écureuil qui se mord la queue -, c'est parfois la récompense qui fait le conflit : mon Secteur m'a fourni mon équipement, je me dois de tuer avec.

Les facteurs limitants quant à eux sont ceux qui empêchent de se retirer du conflit. Lorsque le Secteur Impérial indique que toute personne non-agréée trouvée dans les Souterrains doit être traitée comme Rebelle avec les agressions et dépouillages correspondants, lorsqu'un groupe de Rebelle crache à répétition voire cuve ceux qu'ils ou elles considèrent comme ne participant pas assez, il s'agit de facteurs limitants, qui vont empêcher la formation de parties tierces ou de groupements pacifistes.

L'affrontement énergétique, qui a gagné en intensité récemment, est à la fois un facteur encourageant et limitant. Les ressources énergétiques entraînent des primes, les sabotages et blackouts permettent les saccages et les rapines. La sensation de manque d'énergie empêche de s'extraire du conflit – si ce n'est eux, ce sera nous.

Pour la quasi-totalité de ces facteurs, on peut se demander à quel point ils sont aussi inamovibles qu'on le croit. L'Extérieur n'est-il pas une menace plus importante que le voisin immédiat ? Le criminel interne n'est-il pas potentiellement plus dangereux que le criminel externe ? Une collaboration dans les champs énergétiques et technologiques ne mènerait-elle pas à des percées plus significatives que les actions isolées ?

Pour tout cela, je n'ai pas réellement de réponses. Je ne peux que répéter cependant qu'une logique circulaire se met souvent en place : les facteurs naissent à cause du conflit, puis deviennent la raison de celui-ci, et vice-versa. Ce qu'il manque est une volonté commune de briser ces cycles. Mais notre ère n'est pas celle du fer ou de la chair ; c'est celle du soupçon, où toute bonne volonté est l'immense majorité du temps interprétée au mieux comme un traquenard, au pire comme une opportunité d'abus.

e) Implication première : la cristallisation des oppositions, ponctuation discordante

Une première implication est la cristallisation des oppositions et la ponctuation discordante des faits. Ainsi, et avant tout, chaque camp en présence, par les processus évoqués précédemment, va contribuer à renforcer et à rendre plus extrêmes ses positions comme celles de l'opposant. Cette cristallisation est à la fois une conséquence et une cause de la binarité du conflit.

Combien de fois n'ai-je pas entendu dire de quelqu'un qu'il ou elle était 'trop impérialiste', 'pas assez Rebelle', pour des détails parfois aussi insignifiants que la façon d'apostropher son voisin, de saluer ou de s'exprimer. Toujours, cette logique de soupçon accompagne ceux et celles qui échappent à la binarité et à la cristallisation des positions.

Pour illustrer concrètement, dans un mouvement de balancier, ne reste plus qu'à la ou au NA ou transfuge qui aura eu le malheur de vouvoyer un.e Rebelle qu'à s'adapter au tutoiement, ou à se voir rappelé.e à l'ordre de façon de plus en plus virulente, allant parfois jusqu'à une mise au pilori publique ou des actes de violence. Il en va de même au Secteur Marran, bien que les choses se fassent là de façon à la fois plus brutale et plus visible : l'encadrement des dérives est promulgué par des lois avant d'être mis en place par la communauté.

Si vous n'appartenez pas à une sous-communauté validée pour certaines déviances dans certaines situations, il ne vous restera alors qu'à affronter la peine de prison et/ou les amendes, ainsi que l'officialisation enregistrée de votre déchéance. De façon intéressante, à la bordure des lois, l'encadrement de la criminalité permet au Secteur Impérial de se rabattre sur une régulation communautaire lorsque la régulation législative s'avère insuffisante, poussant de nouveau les déviants à ne pas se constituer partie tierce.

Cette cristallisation inclut aussi, je pense, des formes de sacralisation de part et d'autre. En Secteur Marran, des noms et lignées familiales de nobles sont vus comme des parangons d'Impérialisme. Appartenir à l'une ou l'autre corporation semble caser dans un profil spécifique, et ouvrir ou fermer les portes correspondantes. Volontairement ou non, la méritocratie n'est que partielle : chacun va dépendre, en bonne partie, des actes antécédents de ses pairs.

Le Secteur Rebelle n'est pas davantage épargné ; appartenir à l'un ou l'autre clan peut favoriser une vision ou l'autre, et les NA sont une matière première très courrue, impliquée dans les intra-conflits pour que nous les modulions à notre guise pour la Confrontation.

On peut noter aussi que la Rébellion et l'Impérium, dans cette binarité et cette sacralisation, se réclament chacun d'une tendance majeure au Chaos ou à l'Ordre. En sortant de notre schème au quotidien, on aurait tendance à les croire complémentaires, et c'est possiblement exactement le cas. Il est étonnant alors qu'ils s'ingénient tant à se repousser l'un l'autre, en apparence du moins.

Dernière note personnelle : Cyrius Enclism, selon plus d'une source, était un expert majeur en sciences humaines en tous genres. Je me demande, pour ma part, si son 'Il convient de se faire dieu' n'était pas une anticipation un peu désabusée des mécanismes de sacralisation dont il faisait l'objet, mécanismes dont l'action serait encore plus forte en son absence.

La ponctuation discordante rejoint nos considérations historiques du début de cet ouvrage. Nous sommes dans un conflit pérenne depuis si longtemps qu'il transcende les générations, et qu'il n'a plus ni début clair, ni fin perceptible.

Cela implique que chacun.e va en marquer le début et les causes suivant sa propre perception des faits, selon son propre présent. Tel NA va dire vouloir se battre à cause des invasions Impérialistes répétées, et de l'atroce séjour en prison d'un proche. Telle NI va indiquer être en guerre contre les massacres répétés au sein de son Secteur.

Logique circulaire et ère du soupçon, de nouveau ; et gare à celle ou celui qui suggèrerait par bonne volonté de cesser les actions hostiles ou de trop les moduler. Soupçonné.e de faiblesse moral.e ou de pactiser, elle ou il sera vite recadré.e. Si l'idée se voit appliqué.e approximativement, le moindre dérapage sera perçu comme une volonté globale de l'ennemi de profiter de la situation. La bonne volonté se fera alors facteur encourageant, et facteur limitant – 'nous avons déjà essayé'.

On pourrait ici penser que revenir en arrière sur la véritable cause historique du conflit pourrait l'enrayer. Je suis cependant à peu près certaine que ce n'est pas le cas. Tout d'abord, il n'y a pas de facteur de départ unique, mais bien multiples. Deuxièmement, ces facteurs passés perdent en force face à un affrontement qui semble avoir toute sa pertinence au présent.

f) Implication seconde : le conflit comme une situation de double-contrainte

En sciences humaines, la double contrainte se définit comme une situation où l'on subit deux injonctions contradictoires, qui sont mutuellement exclusives, et auxquelles on ne peut échapper. Qu'elle soit présente dans la communauté, le groupe familial ou un groupement plus large, la double contrainte mène à des symptomatiques mentales négatives voire pathologiques.

La double contrainte dont je veux parler ici, et qui concerne tout.e NA et NI, est la nécessité de s'affilier au sein du conflit, et l'impossibilité de s'y soustraire totalement. J'ai parlé précédemment de la cristallisation des positions ; si il y a certes des acteurs et actrices activ.e.s à cette cristallisation, il y a aussi une immense majorité de participant.e.s passif.ve.s, qui contribuent pourtant amplement au maintien de cette situation de par leur simple nombre.

Bleu. Rouge. Ordre. Chaos. Loi. Liberté. Vouvoiement. Tutoiement. Il n'y a pas de tierce partie, pas d'échappatoire, pas de demie-mesure. Combien de fois n'ai-je pas entendu des NA et NI, a priori, et même après les premiers assauts qui ébranlent leur conviction, me souligner l'absurdité, les enjeux nuls et le manque à gagner de la Confrontation ?

En tant que Grise, je pense que chacun.e a un violet plus ou moins bleu, plus ou moins rouge en elle ou lui. Mais voilà, le conflit dévorant exige qu'il y ait deux camps, car si le monde ne différait que par son Secteur de naissance, comment le maintenir ? La désapprobation communautaire répétée est une arme de contrainte plus redoutable que toute amende, que toute peine de prison. Se conformer à un camp devient dès lors une nécessité sans échappatoire, vu que chacun se voit comme excluant totalement l'autre.

Combien finissent par se murer totalement dans leur retraite ? Combien partent en cryo sous la pression, se font sauter la puce ? Combien courent d'un transfuge à l'autre, rejeté.e.s de toute part, ne pouvant rassembler leurs proches et finissant par se scinder elleux-mêmes ? On peut se demander, à terme, si ce sont ces personnes qui sont inadaptées, ou si c'est le monde dans lequel elles vivent qui est absurde.

Celles qui ne se conforment pas deviennent les figures de la réprobation ; celles qui se conforment tardivement le font à l'aune du soupçon, devant prouver leur soumission en permanence, ou le faisant à l'excès, comme ces transfuges 'plus vrais que les natifs' ; celles qui se conforment d'office, enfin, laissent une partie d'elles et d'eux en arrière, et se font, bon gré mal gré, les gardes-fous du bon goût pour la génération suivante. De Secteur à Sectaire, le pas est vite franchi.

g) Implication tierce : l'interdépendance sectorielle

Dans son ouvrage, Alleria Windrunner émet l'hypothèse que la Rébellion est un bienfait voué à disparaître. Son livre date, et les faits tendent à lui donner tort. Je me permets d'émettre une hypothèse inverse : ni la Rébellion, ni l'Imperium ne sont voués à disparaître, car, en l'absence d'annihilation possible, c'est la Confrontation qui les renforce.

Cette hypothèse aurait pu au point de départ paraître paradoxale ou absurde, mais elle me semble prendre tout son sens à la lumière des chapitres précédents. Nous en sommes arrivés au stade où, littéralement, chaque Secteur a besoin de l'autre pour survivre tel qu'il est. Au sens strictement linguistique, une Rébellion réussie n'en est plus une mais il semble nécessaire de poursuivre le raisonnement un peu plus loin.

De par leur fonctionnement interne cristallisé à cause et grâce à la Confrontation, chaque Secteur est devenu un ensemble non-nuancé, monolithique, se raccrochant à des principes incomplets et dès lors non-autosuffisant. Si chacun.e a un peu de rouge et de bleu en elle et en lui, alors, personne ne se retrouverait si un seul Secteur existait.

Petit apparté : ce que j'exprime ici est cohérent avec l'hypothèse de certains Rebelles comme quoi les IA poussent à la polarisation du conflit, et ce même quand elle est absurde et qu'il ne peut trouver de fin, afin de pousser chaque Secteur au développement dans ses domaines spécifiques, un peu comme un vivarium. Je n'ai pas d'avis personnel sur ce sujet, mais cela me semble intéressant de le mentionner ici.

Nous en sommes arrivés à un stade, donc, où chaque Secteur a besoin de l'autre, de par leur fonctionnement même. Dans le Secteur de l'ordre, il apparaîtra toujours des éléments d'anomie. Dans le Secteur chaotique, il apparaîtra toujours une nécessité d'organisation. Comment concilier ces discordances tout en maintenant son unité, ses principes sacrés ?

La réponse est de rejeter l'élément discordant à l'extérieur, transformant l'ennemi en un bouc émissaire nécessaire. Il n'y a pas de désordre non-régulé au Secteur Marran : ce sont des pro-Rebelles et des gens en collusion, des déviants (les criminels n'appartiennent pas à cette catégorie, acceptant une régulation). Il n'y a pas d'ordre fixe en Secteur Rebelle : ce sont des z'impettes, des rejetés qui veulent se la jouer Nobilis.

La Confrontation est donc nécessaire pour que chaque Secteur survive. Cela explique aussi pourquoi on ne peut pas simplement se reconcentrer sur la menace extérieur, qui peut paraître plus importante : il s'agit avant tout d'une question de valeurs. Dès lors, l'adversaire – doit – avoir un visage (méta-)humain.

h) Dernière implication : disparition de la temporalité

Je serai assez brève sur cette dernière implication, car elle a été au final suffisamment mise en lumière par les développements précédents pour s'y imbriquer logiquement. Le conflit n'ayant plus de passé, et n'ayant plus vraiment d'avenir vu qu'il est nécessaire, il appartient dès lors à une forme de présent permanent.

Je suis – hélas – quasiment certaine qu'au stade actuel, il n'est plus de régulation interne du conflit de possible. Nous nous sommes trop entre-renforcés en nous entre-dévorant, auto-mutilés en dévorant l'adversaire, fermés en soupçonnant à tort et à travers.

A fortiori, la pseudo-immortalité qui nous afflige contribue à renforcer l'effacement du temps. Comment ne pas être en rogne contre l'adversaire, quand on se souvient des meurtres et tortures qu'il a pu commettre sur notre propres corps ? Comment ne pas se laisser aller à la haine et à la rancoeur ? Peut-être est-ce un des buts de cet ouvrage, de reprendre cette distance que nous avons perdue. Une démarche autocritique globale est l'une des seules façons de s'extraire de cette gangue.

L'autre, plus probable, est un facteur extérieur marquant. Ce sont déjà les seuls à nous pousser à la trève ; il est possible qu'un facteur de mise en danger globale, nous rappellant notre finitude et l'absurdité de notre situation, nous pousse à changer notre façon d'être. C'est peut-être là l'un des buts d'ID42, bien que je n'aie aucune idée véritable sur la question.

i) Conclusion : le purgatoire est pavé d'intentions noyées de smog

Comment conclure cet ouvrage correctement ? Les tonalités n'en sont ni pessimistes, ni optimistes. Elles sont interrogatives, nous poussant à nous remettre en question aussi facilement que nous remettons en question notre adversaire. Il est normal qu'il nous soit facile d'interroger la propagande d'en face, de trouver les autres naïfs d'y succomber ; c'est ne pas voir que notre argumentaire peut être tout aussi béant.

Une première étape, cependant, pour se rendre compte de la situation et de l'absurdité, consiste à se projeter dans des 'et si', des 'pourquoi', et de les rendre les plus concrets possibles. Pourquoi la poursuite du conflit, actuellement ? Ce pourquoi recoupe tant les raisons que les objectifs. Est-ce que nos préoccupations sont à court terme, issues de ce présent perpétuel, ou vont-elles chercher plus loin ? Vers quoi voulons-nous aller, qui soit plus concret que la régulation, que la libération ?

Et si... Que se passe-t-il si un Secteur l'emporte ? Et si c'était possible ? Et de quelle façon, le cas échéant ? Pour quoi faire ? Ces questions ne sont que des préludes aux véritables questions : celles des idéaux, de la morale, de l'éthique, de ce que nous voulons bâtir une fois que nous aurons détruit.

Pour ma part, je suis partie intégrante de ce conflit. Alors, sans aucun doute, de cette façon souvent diffuse, détachée, je continuerai de me battre contre des habitants sur Secteur Marran dont les crimes et mérites, et laideurs et beautés me sont totalement inconnus. Je continuerai à conditionner, sans même le vouloir, les NA à se conformer à ma vision de ce que devrait être le Secteur Rebelle.

Mais en parallèle, je continuerai de me battre contre la perdition du sens, la corruption de ce qui est beau, de ce qui est bienfaisant, contre la coulée de goudron qui peut envahir mon âme et mon coeur. J'espère que vous ferez ce même choix, quelles que soient les actions auxquelles vous poussent le quotidien. Un jour, peut-être, nous oserons l'ouvrir pour construire autre chose.

◊ Commentaires

  • Lewd (38☆) Le 25 Octobre 2017
    tl;dr (j'ai appris l'expression aujourd'hui donc je célèbre. Plus sérieusement, je lirais ça au boulot. haha smiley)
  • EHeFEB (0☆) Le 25 Octobre 2017
    Mdr dat commentaire rofl
  • KorSkarn (503☆) Le 29 Octobre 2017
    *Voit un livre, copie, repart.*