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EDC de 65442

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Heptade 2 - Prose

Même principe que la semaine précédente, parution quotidienne sur l'AITL Rebelle, cette fois avec de courts textes. Aucun autre but que de se faire plaisir et renforcer l'ambiance, peut-être faire songer, parfois. De nouveau, si vous y avez de quoi rêvasser, rire ou éprouver, mon bonheur est complet.



1 - La maçonne

Certains soirs de smog profond, dans les petites impasses où les bâtiments usés ont laissé la place aux squats fissurés, on peut voir la maçonne oeuvrer. Seuls les rats et quelques junkies s'arrêtent pour l'observer ; il faut dire qu'eux seuls s'aventurent jusqu'aux franges, là où on ne trouve que les remugles et le ciment en décomposition, loin des lumières des Organisations ou des friches riches en pièces à récupérer.

A ces parias, elle sert de relais entre l'au-dessus et l'oublié. Des fois, elle extrait de l'AITL du mortier d'idéalisme, de la rêverie en brique, une dose de fougue en revêtement et de sagesse en finition, et c'est une merveille à voir. Les murs résonnent et raisonnent, semblent se réparer, grandir ; les squats deviennent des palaces, les relents de méfaits des mets fins au palais, et lorsqu'on place l'oreille contre les murailles, on peut entendre résonner les coeur de chants révolutionnaires.

D'autres fois, elle revient les besaces lourdes de haines couvées, de conflits infantiles et de déchirements larmoyants. Le smog se fait plus oppressant, les junkies se sentent emmurés vivants, et les rats repartent vers des égoût plus accueillants. Ainsi va la vie en Secteur Rebelle, et ainsi la maçonne la renvoie aux bas-fonds.

L'unique fois où j'ai osé lancer la conversation, elle m'a dit que son art n'était que de la transcription. Du plus haut immeuble au plus médiocre taudis, le Secteur prend le goût des idées que l'on gueule, et elle se plaisait à leur donner corps en murs.

Je n'ai plus revu la maçonne depuis longtemps, mais je ne m'aventure plus dans les franges. Il paraît que ces derniers temps, les murs se mangent entre eux et dévorent les gens.



2 - La cérémonie


Je la croisais de temps à autre, toujours par surprise, au gré des détours. Escapades trop brèves, s'échangeant des mots et les coupes de bulles. Entre nous, c'était ardent, des coups, des coeurs, des corps-à-corps un peu violents. L'étincelle était là, comme un tir de farin transperçant le plastron, je sentais le lien qui nous unissais.

On a continué à se voir régulièrement, je dirais même, de plus en plus souvent. Elle emmenait ses potes, j'emmenais les miens, soirées sans capotes, ça dépotait bien. Chaque fois on emportait des souvenirs l'un de l'autre, des traces, des bleus et des douleurs, petites marques d'affection. Mais attention, toujours à la sauvette, en terrain neutre. Je doute pas qu'elle aurait voulu m'emmener à sa maison, mais que voulez-vous, j'ai la liberté dans le sang.

Mes potes et ma famille, ils l'appréciaient moyen. Pourtant, elle avait tout pour elle ! Jolie comme un coeur, autonome, indépendante, chiante juste comme il faut. J'ai discuté, ils ont compris, on a trinqué, j'en aurais joui. Cette nuit-là, dans ma piaule paumée, entre deux verres de Skiwi et quelques doses à achever, ma décision était prise. Le temps a passé, des cycles aux années, jusqu'à ce que finalement je me sente paré à faire ma demande, et qu'elle soit aussi réceptive que nécessaire.

Elle aurait aimé m'faire voir sa maison, mais j'étais ravi de la voir dans ma prison. Menottée comme je l'aime, je lui relevai le menton, plongeant le regard dans ses prunelles ; ce soir, ma belle, je t'emmène à l'autel... Et l'agrimensor est la seule alliance dont t'auras besoin sur l'autel de Lance.

Je la croise toujours de temps à autres, plus jolie qu'une impératrice depuis qu'elle a la cicatrice qui ornemente sa peau lisse. Entre nous, c'est toujours ardent, des coups, des coeurs, des corps à corps un peu violents. Parfois elle murmure que j'ai brisé quelque chose en elle... Mais je crois surtout qu'elle parle de ses dents.



3 - Les veilles


J'aurais bien du mal à en faire la liste, de ces instants que l'on a partagé. Dressée entre nous comme une fenêtre au milieu d'un mur, la Matrice nous rapprochait autant qu'elle soulignait douloureusement la distance qui persistait. Elle devant l'écran, moi devant l'écran, à portée de voix mais pas de souffle, à portée de vue mais pas de toucher, de sentiments mais pas de laisser-aller.

Pourtant elle était là, lorsque je n'étais plus qu'une ombre d'avatar, lorsque mon être en lambeaux se déversait par les fissures de mes veines pour rejoindre la puce brisée de la Criarde. Protectrice mais intangible. Et pourtant, j'étais là, pour ses nuits de cauchemars, quand les souvenirs la submergeaient, quand ces mêmes Rézo qu'elle prenait pour tenir le coup lui perçaient les poumons et la piquetaient d'angoisses. Apaisante mais évanescente.

C'est aujourd'hui la nuit de plus où je veille sur son sommeil. J'écoute son souffle redevenu régulier, allez comprendre, ça m'apaise, les 1 sont des inspirations, les 0 des expirations, la matrice s'illumine d'une donnée importante de plus. On dit que les vautourdes préfèrent les interactions matricielles aux unions corporelles, mais comme les decks d'une corporation que je ne nommerai pas, la formule semble souffrir d'une obsolescence programmée.

On en parle depuis un moment, mais sans jamais l'avoir osé. Sortir de mon appartement, venir enfin se rencontrer, oser les froissements de plumes, et les frissons, et baisers, toutes ces choses dont parlent les autres méta-humains comme d'une panacée. Nous avons mis en commun nos économies, commandé sur les meilleurs sites, armes, respirateurs, bottes renforcées et compagnie. Je nous vois déjà côte à côte, enlacées, vibrant d'un même souffle en fixant un même écran aux merveilles numériques.

Demain, je m'équipe et j'y vais. Elle m'attend, j'espère y arriver vivante, surmonter cet Extérieur que l'on dit habité par tant de monstres. J'ai préparé des provisions en suffisance, coukiz, glukoz et du ragoût en cas de coup dur.

Après tout, ça fait quand même une rue entière à traverser.



4 - Le touriste


Je lui ai dit :

Tu ne manqueras jamais de choix ! Ici, Thrsaa, âme ophidienne à langue bifide, souvent somnolente mais irrésistiblement envoûtante, clef de v'outrilienne du Blood Moon.

Talia – nature instable de bar, à coups démoniaques, euh... Du côté qui la sert (au kanuf). Elle la serre, son ex, amplifie, garotte, tempère, amante au lit, noeud coulant des jours heureux. Avale-la là.
Verre d'eau au Verdant
Gerbe de ver(t ?) (s ?) en dévers
Et l'elfe pédant

Le Red Bar... Certains y finissent raides, d'autres se barrent. Tu barbotes dans la boisson même en rade de crédits. Ce n'est pas un bar radical, mais on peut s'y bar-accoudé. Il ne faut pas s'y barricader, car souvent on y fait les frais des bagarres.

La fée torchette, on s'y torche en solitaire. Terre d'abandon où l'on se fait la malle de victuailles, aussi centré que non-fréquenté, à la fontaine dont le glouglou suffit à couvrir le brouhaha ambiant.

Le Lambique, iconique café fédéré d'Orion, aux travées de béton et aux tonneaux gravés. On n'y est pas avare de réunions de famille, donnant goût avarié aux menus pourtant variés.

Il a attendu quelques instants avant de me regarder dans les yeux.
''Quand je veux qu'on me saoûle, je commande de l'alcool. Et quand réclame une fille de joie, c'est pas pour qu'elle se caresse toute seule le ciboulot''.

Il est reparti en clopinant vers le Verdant, flasque de skiwi à la main. Béotien.



5 - La voilée


Cela faisait si longtemps qu'elle avait oublié à quoi ressemblait la lumière. Elle se mouvait, d'une discrétion presque diaphane, suivant des doigts le cours des pierres. Elle murmurait pour elle-même, perturbante par sa seule façon d'être, et par un doux paradoxe, ça attirait le regard, cette femme sans atouts dans le quartier rouge.

Parfois les badauds et clientes l'approchaient, peut-être la curiosité, la pitié ou la perversité. Elle se tournait vers eux sans les regarder, quémandait l'aumône d'une voix hachée. Et certain.e.s donnaient, par curiosité, pitié ou perversité. Mais la plupart ne s'attardaient pas ; les crédits sont précieux, et entre une pouilleuse et les charmes des dames, gigolos et entre-deux, le choix était rapidement fait.

Moi, j'étais là, j'observais, je n'étais pas une cliente, serpentant dans la rue sans chercher de méfaits. Mais j'ai tendu l'oreille, et ses murmures parlaient, ils chantonnaient la ruine, la Ville qui s'effondre, le repos des pénombres, les silences qui retombent. Prodiguant le frisson, éveillant les chaleurs, la curiosité, la pitié, et un peu de perversité. Mais mes crédits étaient précieux, et mon choix était rapidement fait.

J'ai cédé au charme discret d'une bande de petites frappes, et offert une poignée de ma précieuse monnaie. Il y a déjà assez de concurrence dans la rue sans tolérer la présence d'une clocharde devant mon salon.



6 - Union


Par-delà leurs différences, iels étaient plus semblables et plus proches que jamais. Mais leur regards portaient l'un sur l'autre plutôt que sur un horizon commun ; et en guise d'entraide, chaque matin, iels balayaient le fiel devant la porte du voisin.

Les ''Ta mère la chienne'' se déversaient d'une oreille à une autre. La lie l'avait emportée sur la liesse, la bile sur la Ville, et les mots, scandés comme un refrain, martelaient le cerveau, comprimaient la cervelle des rares épargné.e.s.

On l'appelait la K'lèpre, une maladie vorace qui dévorait toute trace de bien commun sectoriel. Leurs yeux devenaient rouges, leur langue se noircissait, et leurs doigts devenaient crayons forçant le trait. Armes à mettre à zéro le social du réseau.

Quand était tombée la première injonction, ce ''Ta mère la chienne'', cri presque polisson, ce n'était pas alors ce que c'est aujourd'hui. Mots hurlés à l'excès comme une bonne plaisanterie, comme une taquinerie au degré évident. Hélas, parfois dérivent les bonnes intentions, devenant maladie aux trop sales relents.

Cela devait être un outil informatif avant tout. Mais très vite, sa fonction sociale s'est révélée bien plus intéressante. Références de bon aloi, trocs douteux, joutes verbales ; tant était possible. C'est sur ce point que s'est marquée une différence majeure entre les deux Secteurs. L'un le maintint en laisse, et à coup de censure, veille à lui ôter toute possibilité contestataire et stimulante. L'autre lui lâcha la bride, et tant pis si le pire devait en advenir ; même de ça, il en sortirait quelque chose de bien.

Iels l'appelaient l'aitl.



7 - Le garde


Tu sais. Je n'ai pas les mots. Je n'ai jamais eu. C'est comme ça. Les orcs, ils font des cailloux avec leurs mots. Les elfes, ils font des couleurs, des charmes, des pommades, des tronçolames parfois. Ils auraient dit quoi au Tribunal ? Sa parole. La mienne. Lady, Civis. L'art contre l'absences de manières. Ca arrive.

De toute façon, je saurais pas. Je saurais toujours pas quoi dire. Elle n'avait pas d'armes. Pas de muscles. Aucune menace. ''Viens dans ma chambre.'' Une affirmation. Un ordre. Un petit sourire. Elle savait que je ne désobéirais pas. C'est comme ça. On est loyal. Ils auraient dit quoi au CdO ? Ca n'arrive pas aux orcs. Tu aurais pu refuser. C'est peut-être vrai.

Puis ça n'aurait pas beaucoup de sens. C'est ma mentor. Elle m'a tout donné. Un poste. Une formation. Des idéaux. Je lui aurait donné mon clone. C'est déjà arrivé. Je ne voul... Je ne pensais juste pas comme ça. On ne voyait pas la même chose. Ils auraient fait quoi au CdO ? Te plains pas. Tu as de la chance. Peut-être même des petits plantons du fond, ils murmureraient des phrases comme quoi elle est plutôt bonne la Lady, en ricanant, et moi, même maintenant, même comme ça, j'aurais encore envie de les frapper. On ne dit pas du mal de la Lady. C'est ainsi.

Pas un mot au mari. Pas un mot à personne, bien sûr. Juste une invitation, régulière. Viens dans ma chambre. Pas de menaces, pas de lames. Pas de mots, pas de larmes. Ils auraient dit quoi, les autres gardes ? Je ne sais pas. Ils savent. Mais ils ne diront pas. Ils riront dans mon dos, et devant elle ils s'inclineront bien bas. C'est comme ça.

..

La Rebelle l'a écouté jusqu'au bout, et quelque chose s'agitait en elle. Mais elle l'a exécuté quand même. Personne ne veut éprouver d'empathie quand on lui désigne un ennemi. C'est tout.

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