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EDC de 11441

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Réflexion

Clic.
Clic.
Preus enclenchait méthodiquement chaque cartouche dans ses chargeurs, à un rythme constant, métronome de ses pensées. Face au miroir, il distinguait à peine ses propres contours effacés par la pénombre, à peine gênée par les faibles lueurs de ce faux ciel éternellement gris qui filtraient à travers le store. Il le supportait de moins en moins bien, ce smog. Toujours mieux, en revanche, que l'épaisse purée de pois qui cachait à tous ou presque la véritable nature de cette cité.
Un de plus allait partir, faisant de lui un des rares spécimens de son espèce restant dans ce secteur. Jamais il ne s'était senti aussi vieux, isolé, et sa réflexion ne cherchait pas à le démentir.
Clic.
Une pause. Le vieux du Sud ferma les yeux le temps d'allumer une tige de son poison favori. Inspirant profondément, il suivit le brûlant parcours de la fumée de sa bouche à ses poumons, avant d'expulser l'épais nuage.
"T'as vraiment une sale tronche, tu sais." La voix était claire, plus jeune d'un siècle et demi, au bas mot. Quand il ouvrit les yeux, ceux qui lui répondaient à la surface du miroir n'étaient pas les siens. Plus tout à fait.
"Ta gueule."
"Tu vas les laisser faire ?"
"Ta gueule, j'te dis."
Preus essaya sans succès de faire disparaitre l'autre derrière un second jet de fumée.
"Tu sais, les murs sont fermés maintenant. Tu es pris au piège, obligé de rester, de faire quelque chose."
"J'suis obligé d'rien, à part d'm'occuper d'mes miches."
L'autre émit un bref rire moqueur.
"Beau travail, vraiment. D'abord tu m'oublies, ensuite tu me réduis en charpie, et maintenant t'as l'air d'avoir passé ta vie aux STV."
Preus soupira longuement, avant de reprendre le remplissage de ses chargeurs.
Clic.
"Et tu vas m'ignorer, avec ça ? Ou tu ne sais juste pas quoi répondre ?"
"Va chier."
"Et voilà. On peut pas discuter."
"Y a rien à discuter."
"Les principes, les idéaux.. ?"
"Aux chiottes, avec les deux tiers de la ville."
Clic.
Le vieux releva les yeux pour voir l'autre bras croisés, le regard méprisant et empreint de reproches. Preus grogna légèrement, sa 'cigarette' calée au bord des lèvres.
"J'suis fatigué."
"Tu es devenu lâche."
"Lucide."
"Lâche. Tu a toujours été lucide. Et fatigué. Ça ne t'a jamais arrêté."
"Ben regarde où ça t'a m'né, ptit malin."
"Tu n'as jamais hésité à faire ce qu'il fallait, au mépris du reste."
"Le reste savait s'démerder sans moi."
"Tu ne trouveras jamais d'excuses avec moi, tu le sais."
Preus s'asphixia d'une autre longue bouffée, faisant presque vaciller la pièces autour de lui. S'enfonçant dans son canapé, il laissa sa tête basculer en arrière pour ne plus voir l'importun, et profiter du spectacle qu'offrait le plafond mouvant. Il en avait assez de réfléchir, assez d'observer, assez de parler ou de fermer sa gueule, les deux à la fois. Le vieux voulait juste un foutu carré de ciel turquoise. Un minuscule, rien qu'à lui. Avec un léger vent frais et clair, pas celui qui vous faisait ressembler à un nain après une heptade d'excavations. Et un rayon, un seul vrai rayon de soleil, en plein dans les yeux, qui tape et qui réchauffe. Pas ce pseudo halogène qu'ils célébraient tous comme des cons. Qu'ils se la collent au cul leur Honora, pensa-t-il.
Le reste, il s'en contre-fichait. Il avait donné, jusqu'au bout. Aux autres de parler, de faire, de déguster.
"Je suis heureux qu'elle ne soit plus là pour t'entendre."
À ces mots, Preus écarquilla les yeux et, d'un même mouvement, enclencha un chargeur dans l'Eagle pour en vider une partie droit devant lui, hurlant sous les détonations.
"ASSEZ !"

Le reflet éthéré s'évapora enfin sur un dernier rire, ce rire au ton si particulier que Preus n'avait pas laissé échapper de sa gorge depuis son réveil. Il reposa l'arme sur la petite table jouxtant son canapé, puis ôta la cigarette à moitié consumée de ses lèvres et la considéra un moment, avant de finalement l'écraser avec agacement.

"Fait chier..."

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