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EDC de 11441

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Cacher

Un million de petites nanites, et moi, et moi, et moi (fin)

Six resta un bon moment recroquevillée dans le corridor à l’éclairage vacillant, les yeux rivés sur l’étroite ouverture sombre. De l’appartement ne provenaient plus que quelques crépitements mourants. Elle tendait l’oreille, à l’affut du moindre signe de vie du Cyborg. Une respiration, un mouvement, le claquement d’un briquet, n’importe quoi. Elle chassa d’un souffle nerveux une goutte de sueur qui perlait sur son front, avant de laisser s’échapper de sa gorge serrée “Silence ?”.
Rien. La jeune femme finit par se redresser au ralenti contre le mur, comme si le moindre geste trop brusque risquait d’embraser l’air encore une fois. Ses nerfs d’acier avaient été mis à rude épreuve, et elle sentait que son cœur lâcherait sur un couinement d’écureuil. Précautionneusement, elle s’avança jusqu’à la porte gondolée par l’explosion et risqua un œil dans l’ouverture en retenant sa respiration, ne sachant pas à quoi s’attendre si ce ne fut au pire. Usant de toutes ses forces pour repousser la porte qui gémit sous la contrainte, Six pénétra dans une toute autre dimension. La scène qui s’offrait à ses yeux était d’autant plus surnaturelle qu’elle n’était éclairée que par les derniers arcs électriques qui parcouraient l’équipement de la pièce. L’odeur piquante de l’ozone qui imprégnait l’atmosphère lui fit tourner la tête, au point de la faire douter de l’acuité de ses sens. Un calme oppressant régnait autour d’elle, contrastant avec le chaos ambiant. Ses yeux n’étant pas accoutumés à la pénombre, elle trébucha plusieurs fois en voulant rejoindre le bar derrière lequel elle avait laissé Silence. Décidant de progresser à tâtons, elle posa une main contre le mur à sa droite mais la retira vivement, surprise par l’étrangeté du contact. La paroi métallique était chaude et électrisante au toucher, comme polarisée. Elle finit par surmonter l’inconfort et laissa glisser sa main contre le mur, progressant ainsi sur le sol irrégulier sur ce qu’elle estima être quelques mètres. Bien que son environnement ne lui apparaissait que sous forme de faibles flashs, Six sentait que rien n’était plus à sa place. La main qui la guidait rencontra plusieurs fois d’étranges aspérités, voire quelques obstacles, sur une paroi auparavant parfaitement lisse. Pourtant, elle ne s’y attarda qu’au moment où elle sentit une forme particulière sous ses doigts, un métal et des aspérités qui lui étaient familiers. Instinctivement, la jeune femme décolla le briquet du mur et fit résonner son tintement clair. La flamme lui offrit enfin une vision plus claire de la pièce aux allures de champ de bataille.
“Putain de m…”.
Alors que Six s’attendait à voir le sol jonché de débris et autres objets pris dans la tempête, elle les trouva agglutinés aux murs. Armes, munitions, ustensiles de cuisine et tout ce qui contenait la moindre parcelle de métal s’étaient retrouvés aimantés par la fulgurante décharge d’énergie. Bouche bée, elle se précipita tant bien que mal derrière le comptoir mais fut stoppée net dans son élan : à l’endroit où s’était trouvé Silence, ne restait que le revêtement boursoufflé et calciné. Les bras ballants, elle lâcha le briquet sans même s’en rendre compte, et fut ravalée par l’obscurité. Le Cyborg s’était volatilisé, et il semblait bien peu probable que sa puce ait pu survivre à un tel déchaînement d’énergie. Elle ne savait pas qui encore, ni comment, mais quelqu’un allait payer le prix fort pour ça. Silence avait eu le temps de lâcher quelques mots sur un techos du CC. Avec un peu de patience, quelques questions posées aux bonnes personnes ou à grand renfort de hack, elle pourrait le retrouver. Elle prendrait son temps. Ce serait propre, mais brutal. Restait à choisir la méthode, parmi les dizaines qui fleurissaient dans son esprit, mais une chose était sûre : le type en question allait en chier comme jamais.

Six se tint ainsi un instant, hors du temps et de l’espace. Mais à présent habituée au noir, elle fut ramenée à la réalité par une faible lueur diffuse et irrégulière. Par automatisme plus que par réelle curiosité, elle se dirigea lentement vers sa source, dans la pièce qui avait abrité nombre de ses entraînements. Elle s’arrêta net une fois engagée dans l’étroit couloir : au centre de la chambre se découpait par intermittence une ombre dans la faible lumière bleutée. “La momie.. ?”.
La silhouette se retourna lentement pour lui faire face, projetant sur elle l’éclat électrique de ses yeux. Silence se dressait, méconnaissable, devant la jeune femme. Les yeux du Cyborg, si l’on pouvait encore le définir comme tel, jetaient toute la lumière sur les changement opérés, et Six n’aurait su dire où s’arrêtait l’Homme, et où commençait la machine. Ses prothèses avaient totalement fusionné avec la chair jusqu’à sa nuque, et revêtaient un aspect définitivement organique, présentant à la fois la souplesse du muscle et la dureté de l’acier. Son visage, bien que toujours buriné par les ans, n’affichait plus qu’une unique et fine cicatrice qui lui barrait le front jusqu’à sa joue gauche. Silence parla d’une voix profonde, mais néanmoins plus claire.
“Ça craint, hein.”. Il n’en fallut pas plus à Six pour laisser exploser toute la tension accumulée. ”Nan mais t’es complètement con ?! Ça t’arracherait la gueule de m’répondre quand j’t’appelle ?!”.
“T’as pas l’impression que j’suis un peu à poil, là ? Passe-moi un truc au lieu d’m’engueuler.”
Six s’empara du premier vêtement à portée de main, un vieux pantalon étalé sur le bureau, et lui jeta à la face. “Tseuh. Crétin.”. Silence l’enfila avec une moue mauvaise.
“J’espère qu’ça valait l’coup au moins, tout c’bordel.”
“Nan mais tu m’as vu ? C’trou du cul m’a transformé en putain d’hybride !”
Pour Silence, l’apparence physique était d’une importance toute relative. En revanche il était conscient d’un changement profond de sa nature, et n’était pas sûr du tout de l’apprécier. La fusion entre cybernétique et organique était si totale que son code génétique en avait forcément été altéré, ce qui ne présageait rien de bon tant il était incertain que le CC saurait gérer cette symbiose hors-normes. La douleur s’était évanouie pour laisser place à une conscience parfaite de chaque parcelle de son corps, surchargeant constamment son centre nerveux d’un monstrueux flot d’informations. S’il ne s’y habituait pas très vite, il en perdrait sans aucun doute sa santé mentale. Quant à sa nouvelle “configuration”, il était curieux de savoir ce qu’elle lui apporterait de bon. L’idée de sentir le moindre impact sur ses parties cybernétiques ne le réjouissait pas des moindres.
Au-delà des considérations pragmatiques, c’est la définition même de son être qui le préoccupait réellement, et en quoi elle changerait sa manière d’appréhender le monde. Mais il aurait le temps d’y songer plus tard, beaucoup de temps.
Six le dévisageait, ne sachant pas vraiment quoi faire de tout cela. D’un ton naturel, qui tranchait avec l’incongruité de la situation, Silence finit par lâcher “Skiwi. Clopes.”, arrachant enfin un semblant de sourire à la jeune femme. “Eh bah, au moins ça, ça a pas changé. Allez viens, la momie, j’te paie un coup.”
Plus un mot ne fut échangé tandis qu’ils rassemblèrent difficilement, dans la semi-pénombre, leurs affaires éparpillées. Sans même tenter de fermer la porte de l’appartement, la paire en sortit sous les yeux ébahis d’un voisin dont la curiosité avait fini par l’emporter sur la peur.
”Elle a essayé d’cuisiner”, dit nonchalamment Silence au badaud en désignant Six du pouce, avant de disparaître.

* * *

Ils furent seuls ce soir-là, à apprécier l’atmosphère de la Moule qui Saoule. À leurs places habituelles de chaque côté du comptoir, elle étalée sur deux bidons, lui soutenant le mur, une bouteille de Skiwi entre eux ; ils buvaient en parlant de tout et rien. Du Sud, des mollassons et autres abrutis, des temps durs mais prometteurs qui s’annonçaient. Malgré cette journée éprouvante, Silence se sentait étrangement en forme. Ses sens lui semblaient plus fins, sa réflexion plus acérée. “Comme avant”, se dit-il soudainement. “Mais avant, quand ?”. Il cligna des yeux plusieurs fois, et les rouvrit sur la femme brune au visage rassurant. Il sourit, parfaitement à l’aise. Il la connaissait depuis son arrivée, autrement dit depuis toujours. Il leur resservit deux pleins verres de Vodkast, comme toujours, pour qu’ils trinquent à ce rare moment de calme dans le bar qui était leur repaire. Il embrassa la salle du regard, inhabituellement vide. Où étaient les deux Nains et la Vautour ?
“Hey, Silence, ça va ?”. Les mots lui firent froncer les sourcils. “Pourquoi tu m’appelles comme ça, frangine ?”, répondit-il sans comprendre. “De quoi ? Bon, tu m’le sers ce Skiwi au lieu d’raconter des conneries ?”
Il posa les yeux sur la bouteille qu’il avait en main, puis les releva sur Six et sa tignasse blonde. ”Rrrm… Ouais, désolé. Coup d’fatigue, sûrement.”. La jeune femme sourit en coin “Après tout, t’as que failli faire péter ton immeuble c’soir… C’doit être éprouvant pour un ancêt’ comme toi.” Ils ricanèrent à l’unisson, avant d’avaler un dernier verre. Silence s’enveloppa dans un nouveau nuage de fumée, pour tenter de cacher quelque peu son trouble. Il avait maintenant la certitude que sa mutation ne s’était pas arrêtée à son corps. Les nanites avaient touché à son esprit, réveillé des choses enfouies qu’il ne comprenait pas tout à fait encore. Le temps serait la clé. Il espérait seulement qu’elle n’ouvrirait pas une nouvelle boîte de [art=http://www.dreadcast.net/EDC/Preus/Article=8330]Pandore[/art].

ÉPILOGUE
Dans un discret sifflement, la porte s’ouvrit sur un Humain de petite stature, dont le dos se voûta à peine le seuil passé. Il s’avança jusqu’à la pièce principale du petit appartement à la lumière grise du jour déclinant, et posa son attaché-case sur une table en soupirant légèrement. Quelques heures supplémentaires de travail l’attendaient, mais il comptait bien profiter d’un peu de calme et surtout de pénombre, pour récupérer d’une autre journée passée dans l’enfer aveuglant du Centre de Clonage. En revanche, son appartement était tout aussi stérile que son lieu de travail, et pareillement dénudé. Il aimait l’ordre par-dessus tout, et cet ordre ne laissait aucune place à la fantaisie, ni aux relations privées. Rien donc, en général, ne venait troubler ses pensées hors de sa fonction. Ces dernières heptades pourtant, il n’avait cessé de penser à ce Cyborg vulgaire et à ses précieuses nanites. Il n’avait eu aucune nouvelle, aucune visite. Son expérience restait sans résultat, et il trouvait cela parfaitement horripilant. Il avait pris un risque, espérant pouvoir présenter un nouveau procédé qui le ferait reconnaître aux yeux de ses confrères et de l’Empereur. Si quoique ce soit filtrait, il serait irrémédiablement révoqué. Sauf si, et seulement si, il avait une preuve concrète du bien-fondé de ses actes. Cette preuve n’était pas revenue à lui, et cela rendait fou le technicien de ne pas s’avoir si son patient en était juste incapable, ou s’il était simplement ingrat. Pour avoir observé l’individu en question, il penchait pour la seconde hypothèse. Perdu dans ses pensées, il fut brusquement interrompu par un tintement métallique et le son feutré d’une cigarette qu’on allume.
“Hey. Ducon.”
Le technicien se retourna vivement, pour faire face à une paire d’yeux luisants d’un bleu électrique à travers le nuage de fumée âcre. Assise sur son canapé impeccable, son expérience le fixait, avec un sourire qui ne présageait rien de bon. Le techos se lécha nerveusement la lèvre supérieure en voyant le City Eagle qui trônait sur la petite table adjacente. Dépité, il poussa un faible gémissement résigné. Il détestait se réveiller au travail.

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