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Cacher

Un million de petites nanites, et moi, et moi, et moi. (1)

Dans la salle stérile et froide, Silence patientait sur la chaise d’opération mécanisée dans le plus simple apparat. Seuls les quelques bips discrets du matériel ultra sophistiqué qui l’entourait venaient parfois interrompre le bourdonnement incessant de l’installation et la respiration du technicien, étouffée par son masque. Ce dernier venait de prélever un échantillon de tissu cicatriciel, et attendait le résultat d’une première analyse les yeux rivés sur son scanner portable.
Silence était un brin nerveux. Il n’aimait pas le Centre de Clonage, comme peu de citoyens d’ailleurs, se disait-il. D’habitude, en dehors des séjours en cuve, il se débrouillait pour écourter au possible les enregistrements biométriques réglementaires. Pour palier à son impatience, il tenta de détailler le matériel de la salle. Il n’aurait toutefois pu dire où commençait ni finissait quoi. Il aurait pu se trouver en face d’une bombe tout comme d’une armoire frigorifique dernier cri, que la différence n’aurait pas été flagrante. Sur la dizaine d’écrans de tailles et formes diverses qui formaient un véritable périmètre lumineux, défilaient des données incompréhensibles, des diagrammes et représentations holographiques qu’il reconnut pour certaines comme des modélisations d’ADN. Si c’était le sien, Silence ne pouvait le dire.

Il considéra un instant le technicien, rigide dans sa tenue du même blanc immaculé que les murs, qui ne lui prêtait aucune attention. Ce qu’il pensait être un Humain lui arrivait à peine à l’épaule, et n’avait pas un seul instant montré son visage depuis l’accueil froid qu’il avait réservé au Cyborg. Silence ne put réprimer un sourire en coin, connaissant les réactions mitigées que provoquaient chacun de ses clonages chez les techos du Centre. Certains le voyaient comme une plaie, une preuve indésirable de l’imperfection de leurs système et protocoles pourtant réputés infaillibles, d’autres comme un défi, une énigme à résoudre. Depuis l’incident qui avait fait de Silence cet amas de cybernétique et de chair stigmatisée, ce puits de douleur constante, aucun de ses clones n’avait tenu plus de 3 heptades sans progressivement dégénérer. Le mutisme se manifestait toujours en premier. Puis les cicatrices, là où les balles avaient transpercé ses chairs et le plasma brûlé sa peau. Un processus assez rapide pour être observé à l’œil nu, qui s'achevait fatalement par la paralysie des membres qui avait été réduits en charpie. Pour éviter le handicap, Silence avait fini par demander que toutes les parties faillibles de son corps soient remplacées par des prothèses dès sa sortie de cuve, mettant à mal même les employés les plus insensibles du Centre lorsqu’il s’agissait de le soulager de certains organes sensibles. Le concept de l’émasculation pouvait faire grimacer le plus farouche des Trolls.
Au fil des vingt dernières années, il était devenu clair pour le Cyborg que la dégénérescence de ses clones n’était pas d’origine génétique, mais belle et bien psychologique. L’accident et la lutte mentale qui s’en suivit pour le contrôle de son propre esprit avaient été assez traumatisants pour qu’il s’y accroche de toutes ses forces. C’était, à ses yeux, le prix à payer pour réduire la Bête au silence sans risque de la voir ressurgir. Un rappel constant de ce qu’il encourait s’il baissait sa garde ne serait-ce qu’un instant. Traverser son quotidien à l’abri du regard des autres, s’en éloignant par le seul fait d’être constamment couvert de bandages, lui semblait être un faible tribut à verser. Toutefois, même l’habitude a ses limites, et Silence était devenu las de ces rituels, fatigué de voir ses options limitées par cette barrière. Lui-même était devenu plus taciturne et réservé, rendant chaque interaction sociale à la limite du supportable. Et puis, il trouverait bien un autre moyen d’éloigner les mous du bulbe et les indésirables. Les baisouilleurs baveux et leurs mièvreries étaient en général tout aussi sensibles à une bonne volée de plomb qu’au mutisme méprisant. Si pas plus.
Et, comme pour lui montrer la décision à prendre, l’épisode hystérique qui s’était brièvement emparé du secteur avait achevé de le convaincre de remédier au moins partiellement à son état. Toute illusion qu’ils furent, ces quelques jours vécu comme un Gnoll n’avaient pas seulement eu un goût de pas assez, mais avaient également libéré des instincts enfouis, un sentiment de puissance et de liberté totale, qu’il n’avait pas sentis bouillonner dans ses tripes depuis une éternité. Certes, il ne les avait pas contrôlés aussi bien qu’il l’aurait souhaité. Dévorer une Elfe en pleine rue n’était pas un signe des plus encourageant. En revanche, il n’avait senti aucun remord, aucune culpabilité. Cette expérience lui avait fait prendre conscience qu’il était, enfin, à nouveau en paix avec le côté le plus sombre de son être, et que ses prochains clones ne connaîtraient plus de défaillance. Il était donc plus que temps, il le sentait, de faire tomber cette barrière, et si possible sans passer par la cuve. Mais ce fichu technicien prenait tout son temps, quand lui-même était gagné par l’impatience. Sans considération pour les règles d’hygiène ni de sécurité, il tendit une main vers son vieux trench négligemment laissé au sol, et fit raisonner un instant plus tard le claquement sec de son zippo.
- Ffff… Bon, c’pas que j’sois pressé gamin, mais si ta solution c’est d’me cloner après m’avoir fait sécher sur place, dis-le moi tout d’suite que j’me fasse sauter l’caisson.
- On ne fume pas ici, répondit le blanc bec avec un air pincé.
- J’t’ai pas d’mandé l’règlement intérieur.
Le techos se retourna en soupirant, une expression outrée facilement devinable sous son masque. Silence finit par écraser sa cigarette à peine allumée dans la paume de sa main métallique, non sans lever les yeux au ciel. Mais à sa grande satisfaction, il pu voir une grimace écœurée se dessiner sur le visage de l’homme, qui se décidait enfin à entrer dans le vif du sujet.
- Ahem… Oui, bon. Au vu des analyses, un traitement ciblé devrait pouvoir être mis au point aisément.
- Cool.
- Vous êtes sûr que… Tout va bien là-dedans ?
Le technicien appuya sa question d’un vague geste de la main.
- Ouais. Pas d’blème. Normal’ment.
- Normalement ? Ça veux dire quoi ça, normalement ? Vous vous êtes fait examiner ? demanda-t-il sur un ton agacé. Sans l’approbation d’un psychiatre certifié, le traitement…
- Ça va, j’te dis ! coupa sèchement Silence. Tu peux m’rendre présentable ou pas ?!
Même s’il allait lui rendre la vie plus facile incessamment sous peu, l’esprit fonctionnaire du technicien commençait sérieusement à lui faire briller les nerfs.
- Oui… Sans troubles psychosomatiques, le traitement devrait effacer 87,5% des séquelles, d’après la simulation.
L’homme en blanc colla sa tablette holographique sous le nez de Silence, avec une représentation assez fidèle, en 3 dimensions, du résultat. Le Cyborg s’examina soigneusement, notant quelques cicatrices restantes par-ci par-là.
- Ce ne sera pas parfait, bien sûr. Les thérapies géniques sont efficaces, mais ne font pas de miracles ! Seul le clonage…
- AH ! Ouais, j’les ai vu les résultats du clonage, répliqua Silence en désignant son visage de l’index.
Le technicien était à la limite de la syncope, quand il vociféra d’une voix étranglée, le visage empourpré :
- Comment ?! H-hérétique! J-je… devrais appeler l’Inquisition pour…
- Dis-donc ! T’veux voir c’que ça fait de s’faire couper les valseuses pour éviter qu’elles moisissent sur place ?
Silence vit toutes couleurs quitter le visage du freluquet, le rendant aussi blanc que sa tunique.
- D’accord… D’accord ! Bref. Nous allons commencer la synthétisation du traitement, reprit-il un ton plus bas.
- Z’emballez pas. Y faut faire quelqu’chose pour mes implants et prothèses aussi. Z’ont pas été changés d’puis pas mal d’années et ils m’font un mal de chien. Va m’falloir quelques mises à niveau.
Comme frappé d’une soudaine réalisation, le technicien toisa le Cyborg, les yeux écarquillés au-dessus de son masque.
- Attendez, vous voulez les garder ? Elles seront inutiles sur votre prochain clone.
- M’y suis fait. D’ailleurs, il m’faudra une upgrade particulière pour le bras. J’veux pouvoir le reconfigurer à volonté.
- Pour quels usages ?
- Connecteurs matricielles et électroniques, griffes.
- Griffes ?
Silence se contenta d’acquiescer en opinant du chef. La tunique blanche enfila une paire de gants, et s’approcha du Cyborg pour palper les jointures de ses prothèses, grimaçant légèrement parfois sous son masque, en constatant les traces de rejet progressif. Puis, il s’intéressa plus particulièrement au bras mécanique.
- Ne bougez pas, dit-il, concentré.
Armé de sa tablette, dont Silence se demandait ce qu’elle ne faisait pas, il scanna la structure du bras, dont la représentation holo apparaissait en temps réel, flottant au-dessus d’une table à proximité. L’holo fut vite complété par une série de données relatives à sa composition et son mécanisme interne. Le technicien paru prendre une éternité pour établir son diagnostique, murmurant dans son masque des mots que Silence ne comprenait pas, avant d’annoncer abruptement :
- Vous avez de la chance. Votre modèle est à la limite inférieure de compatibilité. Mais je vous avoue que je n’ai jamais utilisé cette méthode sur un Cyborg. Je suis… Curieux du résultat.
- J’entrave rien à c’que tu dis. T’peux être plus clair ?
L’autre enleva finalement son masque, révélant une bouche fine et pincée en un sourire malsain, sur un visage de fouine.
- Je parle de faire d’une pierre deux coups, par une injection massive de… Nanites. En les programmant de façon adéquate, elles pourront s’occuper de… Tout.
- Mmh… C’t’à dire ?
- Elles géreront la mise à jour de vos implants selon vos instructions, et les enroberont d’une glycoprotéine qui aidera à leur intégration complète. Pour la partie biologique, elles résorberont vos stigmates. Toutes, ou presque. Et sans passer par la table d’opération.
Alors qu’il parlait, l’image tridimensionnelle d’une machine à l’allure de tank remplaça celle du bras cybernétique.
Silence y jeta un œil intrigué, puis considéra le techos en plissant les yeux, d’un coup devenu suspicieux. Ce petit con, pensa-t-il, semblait bien trop satisfait de son idée. Il cru même voir passer dans ses prunelles l’éclair de sadisme caractéristique des scientifiques peu branchés sur l’éthique. Il se retint d’étrangler tout de suite Dr Frankenstein Jr, pour lui faire cracher sa pastille.
- Okay Machiavel, c’est quoi l’embrouille ? lâcha-t-il d’un ton bourru.
- De… Comment ?
- Ton r’mède miracle là. Pourquoi t’es “curieux” du résultat ? J’te préviens, dans l’genre cobaye j’suis pas conciliant.
L’homme à tête de fouine déglutit bruyamment, avant de bafouiller quelques explications qu’il essaya de tourner de façon à ne pas prendre l’avoine qui s’annonçait.
- Je… Ce protocole est normalement réservé aux êtres “purs”. Ça n’a jamais été testé sur des organiques cybernétisés.
- Eh bah, c’est beau l’progrès. Vous passez vos journées à vous palucher ici ou quoi ?
L’autre ignora la remarque désobligeante, estimant que ce n’était pas le meilleur moment pour se vexer.
- Les résultats peuvent être… imprévisibles. J’estime à 15,76% les chances de rejet total. À 62,8% les chances d’une mise à jour et réparations des tissus parfaites. Pour le reste… C’est incertain.
- Mais vous vous foutez d’moi là !
Le fonctionnaire finit par hausser les épaules.
- Il vous reste la cuve, c’est vous qui voyez.
Silence soupira, son regard se posant sur chaque implant visible. Son bras et son pectoral droits, sa jambe gauche avec une partie du bassin. Que lesdites nanites ratent leur coup passerait encore : des membres pouvait se changer, tout comme les quelques côtes composites dont il était doté. Mais sa colonne vertébrale synthétique abritait une partie de son système nerveux central. Quant à ses implants neuronaux de connexion matricielle, il préférait ne même pas songer aux conséquences d’un échec. Mourir et être transféré dans un autre clone n’était pas un problème en soi. Mais subir le martyre de machines dévorant son cerveau et ses nerfs avant d’y passer, c’était d’un autre calibre. Sans parler du fait que les micro-saloperies du technicien Balais-dans-le-fondement pouvaient très bien altérer son code génétique à son insu. Il sentait le coup venir à 3 clics. Les probabilités n’étaient jamais de son côté.
- Et tes nanites, elles disparaitront une fois l’boulot fini ?
- Normalement, oui. Encore une fois, vous êtes le premier de votre “genre“ à expérimenter ce protocole.
- Bon. Disons qu’si ça rate, ce s’ra jamais qu’ma deuxième plus grosse connerie.
Le technicien acquiesça pour la forme, et fit signe à Silence de s’installer correctement dans la chaise mécanisée. S’en suivit une autre attente paraissant interminable au Cyborg, qui dut user de toute sa volonté pour ne pas quitter immédiatement la salle, après avoir collé une rouste en bonne et due forme au techos. Inconscient de la menace silencieuse qui pesait sur lui, ce dernier s’affairait sur divers terminaux à entrer ligne après ligne de commande, concentré sur le calibrage compliqué des nanites. Un bruit de dépressurisation rapide lui signala que les machines étaient prêtes, lorsque qu’un terminal alvéolé, plus massif que les autres, libéra un fin tube d’une dizaine de centimètres de long, dont le contenu brillant d’un bleu électrique pouvait sembler vaguement mouvant si on le fixait assez longtemps. Le technicien s’en saisit pour l’introduire dans un pistolet à injection, avant de rejoindre son cobaye.
- Vous consommez de l’Uranium ?
- C’pas parce que j’suis amoché que j’suis suicidaire, hein, répliqua rudement Silence.
- Il le faudra. 3 doses à intervalles de 4 cycles, après injection, pour “nourrir“ les nanites.
Il tâta ensuite la nuque de Silence, à la recherche de la meilleure zone d’injection.
- Ça risque d’être… Un peu douloureux, pendant quelques minutes. On vous gardera en observation pour les 4 premiers cycles horaires, le temps de noter les premiers changements, ou problèmes. Dernières questions ?
- Une seule. T’as un clone à jour qui t’attend en cuve ?
Le frêle technicien cilla brièvement.
- Comme tout le monde…
- Bien. Garde-le au chaud. Parce que si ton truc foire, tu vas entendre parler du pays.
Mais déjà il se raidit, comme l’aiguille s’enfonçait dans sa nuque, déversant dans son corps un million d’aiguilles avides de ses chairs.

◊ Commentaires

  • Manerina~6356 (1567☆) Le 18 Février 2013
    J'avoue avoir été rebutée par la longueur, pourtant, et ce malgré mon faible intérêt pour les textes trop "techniques" pour la néophyte que je suis, j'ai dévoré d'une traite et comme RasKass, j'attend avec impatience la suite!
  • Medea (153☆) Le 18 Février 2013
    J'aime beaucoup.
    Ça colle terriblement bien à l'univers.
    La suite !
  • Manerina~6356 (1567☆) Le 18 Février 2013
    J'attend aussi la suite de l'autre histoire aussi! ^^