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Cacher

Retrouvailles

Inlassablement, tel un vieux disque rayé qui répète indéfiniment la même mélodie, inlassablement la scène se reproduisait sous mes yeux, me menant au bord de la folie.
L’appel, ma course, le sang, DonPhilippe mort, la silhouette noire, la détonation, la douleur inhumaine puis le néant …. L’appel, ma course, le sang, tant de sang, le sien …
DonPhilippe mort … mort … mort …
La douleur … Pas une douleur physique non, celle là n’était rien mais cette douleur plantée au fond de moi comme un pieu dans mon cœur, DonPhilippe mort …
Un éclair de conscience tentait de se frayer un passage, me sortant de l’abîme de folie qui me menaçait.
Un cauchemar, c’est juste un cauchemar, ouvre les yeux …
Neritheca !
Une voix claire me ramena soudain à la vie et j’ouvris les yeux. Mon cœur battait comme un fou de façon si désordonnée que j’eus le plus grand mal à le calmer.
Un visage penché sur moi, que je reconnus immédiatement me ramena à d’autres souvenirs.
Le centre de régénération, j’étais au centre de régénération …
Et si j’étais vivante, il l’était donc aussi … J’en étais certaine maintenant.
J’articulai dans un souffle son nom, DonPhilippe …
L’infirmière me sourit gentiment. Oui, il est là aussi, vous le connaissez ?
Le connaître … Oui … Et non pourtant, j’avais encore tant à découvrir de lui, tant à lui dire…
« Nous étions ensembles, je voudrais le voir … S’il vous plait … »
Elle secoua la tête :
« Je suis désolée, ce n’est pas possible, son traitement n’est pas encore tout à fait terminé »
Peu à peu les souvenirs se remettaient en place.
L’un d’eux s’empara de moi soudain, l’usine, Jinx, Tinuviel …
Et un soulagement immédiat, j’avais heureusement souscrit cette assurance décès me garantissant le maintien de l’usine. Elle n’avait donc pas disparu.
« Quelle heure est-il maintenant ? »
Regardant sa montre, l’infirmière me répondit :
« Il est onze heures déjà … »
Je devais y aller, vite, ils devaient être tous si inquiets et j’avais tant à faire encore.
M’habillant rapidement, je sortis du centre, laissant à regret DonPhilippe. Mais il saurait bien me retrouver, j’en étais sûre.
Je montai dans l’un des nombreux taxis garés devant le centre et lui demandai de me conduire chez Sins Factory. Le trajet, assez long à cause des embouteillages de cette fin de matinée, me permit de récapituler toutes les tâches qui m’attendaient.
La routine s’installait, il est vrai et je commençais à m’y habituer …
Quelques achats indispensables, un carnet, un neuvopack.
Une maison …
Et surtout continuer la mise en place de l’usine pour permettre le plus rapidement possible son bon fonctionnement.
Mon entrée à l’usine fut remarquée. Tinuviel, les yeux encore rouges, se précipita vers moi. Je l’embrassai avec soulagement. Puis tous vinrent me réconforter, Vendi et Zetha toujours aussi en colère, Glainehis …
Un souffle de gaité passa dans l’usine et tous se remirent au travail avec entrain.
Montant dans mon bureau qui sentait encore si bon la peinture, j’envoyai quelques mails.
Le premier à Jinx pour le remercier de son message de soutien ainsi que pour lui déposer une nouvelle demande de location pour sa villa. Sa réponse arriva rapidement, la villa était de nouveau à moi. J’étais soulagée, cela permettrait à DonPhilippe de me retrouver facilement.
Je me plongeai ensuite dans les divers textes de lois expliquant les démarches à effectuer lors d’une création d’entreprise. Une forte migraine ne tarda pas à s’emparer de moi. Les mots, les phrases dansaient devant mes yeux. Je n’arrivais pas à les assembler pour former quelque chose de compréhensible.
Rien ne m’avait préparée à tout ça … Les enseignements de ma grand-mère ne me servaient à rien.
Et tout à coup l’idée s’imposa à moi.
Linky saurait me conseiller et peut-être me dépanner en attendant que je puisse convaincre DonPhilippe de nous rejoindre. Il était un expert en la matière, qui mieux que lui pourrait m’épauler dans ce nouveau défi que je m’étais lancé en acceptant la proposition de Jinx. A nous deux, tout serait possible, c’était certain. Sans compter la joie profonde que j’aurais de travailler chaque jour à ses côtés.
Il me faudrait aussi à nouveau contacter Jinx pour voir quel stock constituer en priorité, rédiger un courrier que j’adresserais aux PDG des boutiques spécialisées et armureries installées en ville. Il fallait nous faire un nom et une réputation qui nous rendrait incontournables à Dreadcast.
Les heures tournant, il était déjà 15 heures, je décidais de me rendre chez Deadly Sins pour remplacer le carnet et le neuvopack qui m’avaient été une nouvelle fois volés. Mais surtout pour discuter avec Linky et éventuellement lui emprunter un ou deux employés qui m’aideraient à démarrer l’usine.
Maintenant que les postes de vendeur, technicien et vigile étaient pourvus et en attendant d’en augmenter le nombre, il me fallait en priorité une hôtesse d’accueil qui recevrait les clients, prendrait les commandes ainsi qu’une assistante qui me guiderait dans mes démarches juridiques et gèrerait mes rendez vous en vue des nouvelles embauches.
Le cœur plus léger, je partis à pied jusqu’à la boutique de Linky. J’étais seule dans la rue, Baracka étant toujours dans notre maison.
Une voix soudain, sortie de nulle part, me murmura à l’oreille :
« Neritheca, vous ne devriez pas être seule dans la rue, demandez moi toujours de vous accompagner lorsque vous sortez. »
Un corps se matérialisa à côté de moi, c’était Jinx … Je le regardai, un peu confuse mais il me sourit.
« Je suis obligé de vous surveiller, vous êtes toujours aussi imprudente… »
Il m’accompagna jusqu’à la boutique, me rappelant une fois encore les consignes de sécurité et me laissa entrer, me promettant de repasser rapidement à l’usine pour étudier ensembles les stocks à constituer.
Linky me reçut avec sa gentillesse habituelle.
Je lui exposai ma demande concernant les deux employées que je recherchai, lui promettant de les lui rendre très vite.
Il appela dans son bureau deux de ses collaboratrices, Elles arrivèrent rapidement. Il me les présenta et leur expliqua ce que j’attendais d’elles.
La première, tout juste engagée chez Deadly Sins, Lydia, accepta immédiatement notre proposition. Elle était la douceur même, pas très grande, toute en rondeurs, un franc sourire affiché en permanence aux lèvres. Elle serait sans aucun doute une bien agréable hôtesse d’accueil, prenant visiblement toujours plaisir à voir du monde.
La seconde, prénommée Claude, me regarda plus froidement et prit le temps de me toiser comme pour m’évaluer avant d’accepter ma demande.
J’hésitai un moment, quelque chose en elle me déplaisait… Je finis par me ranger à l’avis de Linky, j’avais tant besoin de ses compétences juridiques.
Alors que nous sortions toutes les trois, j’eus l’impression que Claude se tournait comme à regret vers ce qui était jusqu’alors le bureau de DonPhilippe. Elle me regarda ensuite avec une sorte d’hostilité dont je ne comprenais pas la raison.
« Allons-y, Claude, dit gaiement Lydia, le travail nous attend, tu le reverras, ne t’inquiète pas ! »
Sur le chemin de l’usine, les bavardages incessants de Lydia me firent oublier ces quelques mots dont je n’avais pas compris le sens. Sa gaité était vraiment rafraichissante et c’est plein d’entrain qu’elle prit possession de son nouveau poste dans le hall de l’usine.
Claude quant à elle s’installa dans un bureau proche du mien. Je lui demandai d’étudier pour moi les problèmes juridiques posés par la création de l’usine, les obligations auxquelles j’étais soumise ainsi que de trier les appels téléphoniques.
« Passez-moi uniquement les appels de Jinx, de Linky et … de DonPhilippe bien sûr. J’attends son appel qui ne saurait tarder je pense. »
Je surpris à nouveau un éclair noir dans son regard mais préoccupée par toutes les tâches qui m’attendaient encore, je la quittai sans plus tarder pour me rendre dans mon bureau.
L’après-midi passa si rapidement que j’eus l’impression de n’avoir pas avancé à l’heure du diner. Un simple sandwich avalé en vitesse ferait bien l’affaire, je n’avais de toute façon pas faim.
Je passai voir Claude un instant qui m’annonça l’arrivée de Jinx vers 21 H puis me demanda l’autorisation de prendre une pause.
« Bien sûr, allez-y. » puis après une hésitation,
« Pas de nouvelles de DonPhilippe ? »
L’éclair encore une fois traversa son regard puis détournant les yeux comme attirée par l’écran de son deck, elle me répondit sèchement :
« Désolée, non, pas de nouvelle »
Sa réponse me surprit. Il était tard maintenant et il devait probablement être sorti du centre de régénération. Retournant dans mon bureau, j’appelai le centre afin d’avoir de ses nouvelles.
Une voix métallique, un droïde probablement, me confirma sa sortie vers 17 heures.
Inquiète, j’appelai Linky qui me dit l’avoir eu récemment au téléphone et réengagé.
Cependant, DonPhilippe avait manifesté le souhait de ne commencer que le lendemain, ayant plusieurs démarches à effectuer dans la journée. Je le comprenais bien, ayant eu les mêmes à remplir dès mon retour.
Il ajouta un peu embarrassé :
« Je lui ai d’ailleurs donné vos coordonnées, il était inquiet à votre sujet et ne savait où vous retrouver. Il appelait de chez lui mais je n’ai pas pensé à lui demander son adresse ni son numéro de téléphone. »
Je me souvins brutalement qu’en effet, tout s’était décidé après son départ chez Deadly et qu’il ne savait donc pas que l’usine était créée.
Mais il allait m’appeler, c’était sûr.
« Vous avez très bien fait Linky, je vous en remercie. »
Je raccrochai lentement, un peu étonnée malgré tout que son appel tarde autant. Etonnée et déçue à la fois. S’il était chez lui au moment de son appel à Linky, c’est donc qu’il avait retrouvé un logement. Alors, pourquoi n’était-il pas venu encore …
Je n’eus pas plus le temps d’y réfléchir, Claude m’annonçant l’arrivée de Jinx.
Installés dans mon bureau, nous travaillâmes un long moment, étudiant les stocks des autres usines de production ainsi que des différentes boutiques spécialisées et armureries. Prévoyant le capital nécessaire pour un bon fonctionnement, les embauches à envisager, bref, tout ce qui était nécessaire à un rapide démarrage de l’usine.
Après son départ, Tinuviel pointa le nez dans mon bureau me proposant un café. Il était 23 heures déjà … Comme le temps passait vite …
Une sourde angoisse monta en moi. DonPhilippe n’était toujours pas passé. J’allai voir Claude une nouvelle fois et lui redemandai s’il avait appelé.
« Toujours pas Madame » me répondit-elle, un petit sourire aux lèvres.
Puis elle ajouta :
« Je vais rentrer chez moi maintenant, il est si tard … A demain Madame..»
Et tournant les talons, elle descendit les escaliers et sortit de l’usine sans se retourner.
Je décidai d’en faire autant, j’avais besoin de repos, la journée avait été rude. Après avoir fait le tour de l’usine pour vérifier que tout allait bien, je passai un moment avec Tinuviel.
« Je rentre chez moi prendre un peu de repos. Mais si tu as des nouvelles de DonPhilippe appelle moi surtout … »
Elle me regarda en hochant la tête.
Je sortis aussitôt et me dépêchai de rentrer.
Baracka m’accueillit avec joie et je lui donnai à manger. Même si elle était capable de subvenir à ses besoins en mon absence, je culpabilisai toujours de ne pas m’occuper suffisamment d’elle.
Ouvrant le frigo, j’en sortis du lait et me préparai un chocolat chaud que j’avalai bien vite. J’avais si froid et DonPhilippe n’était pas là pour allumer la cheminée.
J’allai me coucher, toujours aussi anxieuse. Pourquoi n’avait-il pas appelé ? J’avais vérifié mon répondeur, aucun appel ne venait de lui, aucun message.
Une heure du matin sonna à la comtoise, puis deux heures, puis trois …
Le sommeil me fuyait …
J’avais beau me tourner et me retourner, rien n’y faisait. Cette question m’obsédait, Pourquoi ?
Je me relevais sans arrêt pour consulter mon Aitl, terrorisée à l’idée de trouver son nom dans la liste … Baracka me regardait d’un air étonné et me suivait pas à pas, inquiète de ce comportement inhabituel.
Je tournais en rond dans la maison, prenais un livre, le reposais …
Les heures me semblaient durer des siècles.
Vers 7 heures, n’y tenant plus, je me plongeai dans un bain brûlant, tentant de me détendre.
Les idées noires tournaient toujours furieusement dans ma tête.
Sortant de l’eau et m’enveloppant dans une grande serviette, je choisis dans mon armoire ce jeans et cette chemise que je portais le jour de mon installation chez DonPhilippe. Il me semblait me rapprocher de lui de cette manière.
Après un rapide petit déjeuner, une dernière caresse à Baracka, je quittai la maison pour regagner l’usine.
Tout le monde était là déjà.
Lydia m’accueillit en souriant mais son sourire s’effaça en voyant ma mine.
Je montai rapidement dans mon bureau consulter les derniers mails arrivés.
Je relançai aussi la fabrication de quelques articles qui avaient été vendus dans la matinée.
Puis je passai à nouveau voir Claude.
Elle me salua d’un air toujours aussi distant.
« Toujours pas d’appel de DonPhilippe ? » lui demandai-je d’une voix étranglée.
Relevant la tête elle me regarda avec un petit sourire à nouveau.
« Toujours pas non, il a probablement des choses plus urgentes à faire. »
Des choses plus urgentes ?
Je retournai dans mon bureau et me plantai devant la fenêtre.
L’animation dans la rue était à son comble, tout le monde courait en tout sens à la recherche d’une place aux terrasses de bars, des enfants sortant de l’école se poursuivaient en rentrant chez eux pour déjeuner, des amoureux se promenaient main dans la main.
Leur vue m’était insupportable tandis que j’attendais des nouvelles de celui que secrètement j’aimais plus que tout.
Je ne comprenais plus, comment était-ce possible ?
Cet accident avait-il pu l’éloigner de moi au point qu’il ne souhaiterait plus me voir ?
Je le mettais en danger, poursuivie comme je l’étais depuis quelque temps par des assassins. J’avais causé sa mort, c’était certain mais il me semblait que je comptais un peu pour lui et que ma sécurité lui importait plus que tout.
Pouvait-il avoir oublié tous ces instants passés ensembles, ces soirées autour de sa cheminée, nos longues discussions, nos regards, nos silences…
Aurait-il enfin renoncé à m’accorder cette protection qu’il semblait pourtant si désireux de me donner ?
Portant la main aux délicates boucles d’oreilles qu’il venait de m’offrir, je sentis mon cœur se briser.
Je sortis de mon bureau et descendant lentement les escaliers menant dans le hall de l’usine, je retenais à grand peine mes larmes quand Tinuviel s’approcha en souriant, accompagnée de Lydia, une tasse de café à la main, la corbeille de brownies dans l’autre.
Mon air désespéré dût l’intriguer car elle se précipita vers moi, posant la tasse et la corbeille sur le comptoir du hall.
Elle me prit dans ses bras tandis que Lydia m’approchait un fauteuil.
« Que se passe-t-il Neri ? »
Son regard si attentif me fit fondre en larmes et c’est entre deux sanglots que je lui dis :
« DonPhilippe …je crois que c’est fini …Je ne le reverrai plus. »
« Comment ça, il est mort à nouveau ? » me répondit-elle interloquée.
« Non, je ne sais pas … Je ne sais pas … »
La regardant à travers mes larmes j’ajoutai ;
« Il n’a pas appelé, alors que Linky lui a donné le téléphone et l’adresse de l’usine. Tu ne crois pas qu’il aurait dû passer ? Je n’ai aucune nouvelle de lui. Je ne comprends pas … »
Je me laissai envahir par le désespoir et courbée en deux, je sanglotai sans plus pouvoir me retenir.
Lydia se figea à mes côtés. Tout son corps s’était raidi. Elle me prit par le bras, me forçant à relever la tête vers elle.
« DonPhilippe, vous avez dit DonPhilippe ? »
Je le regardai en hochant la tête.
« Un Monsieur DonPhilippe est passé hier soir et vous a réclamée …
J’ai appelé Claude pour le lui dire. Elle m’a répondu que vous ne souhaitiez pas le rencontrer. J’ai transmis votre réponse à ce Monsieur qui m’a paru bien malheureux. Il est ensuite parti sans me laisser le mot que je lui avais proposé d’écrire disant qu’il était simplement passé vous dire … Qu’il vous aimait …
Mon Dieu, comment s’appelle le caissier de Deadly Sins déjà ? » ajouta-t-elle soudain.
Tinuviel lui répondit :
« C’est DonPhilippe justement »
Lydia s’assit sur l’accoudoir du fauteuil, le souffle court.
« Alors je comprends maintenant … »
Me redressant, je la pris à mon tour par le bras :
« Vous comprenez quoi Lydia ? »
« Claude, c’est Claude … Je sais qu’elle est follement amoureuse du caissier de Deadly Sins mais il ne le regarde pas parait-il. Il l’a repoussée même, disant qu’il en aimait une autre. Elle est terriblement jalouse.
C’est elle qui m’a répondu que vous ne vouliez pas le rencontrer.
Ne me dites pas que … C’est vous qu’il aime et Claude l’a compris hier … »
L’espoir envahit soudain mon cœur. Levant les yeux vers mon bureau, j’aperçus Claude qui me regardait fixement. Son regard haineux posé sur moi semblait triompher.
« Tinuviel, renvoie-la, immédiatement. Je ne veux plus qu’elle soit là à mon retour. Je pars à la recherche de DonPhilippe et je ne reviendrai que lorsque je l’aurai retrouvé. Ne t’inquiète pas, je passe d’abord chercher Baracka, elle m’accompagnera et je serai prudente je te le promets, mais je dois y aller, maintenant… Je vous confie l’usine, j’ai confiance en vous. »
Tournant les talons, je sortis de l’usine et sautai dans un taxi.
Il me conduisit d’abord à la maison où je passai chercher Baracka. Nous voyant arriver toutes les deux, le chauffeur eut un recul.
« Les animaux sont … interdits dans mon taxi »
Prenant mon sourire le plus enjôleur, je lui répondis, feignant de chercher autour de moi.
« Un animal ? Mais non, ce n’est que mon garde du corps … »
Il soupira et me fit signe de monter.
Je le remerciai d’un nouveau sourire.
« Je voudrais que vous m’emmeniez dans toutes les agences de la ville s’il le faut mais je dois retrouver quelqu’un dont je n’ai pas l’adresse et qui vient de relouer un logement. Cela nous prendra du temps, beaucoup de temps peut-être, mais je dois le retrouver. Vous voulez bien m’aider ? »
Pour toute réponse, il démarra et branchant son GPS, il sélectionna les quelques agences immobilières de la ville.
« On ira vite madame, je vous l’assure, vous le retrouverez votre … »
Il se tut, respectant mon silence et mon air angoissé.
Notre arrêt dans la première agence fut rapide, personne n’avait vu DonPhilippe ce matin. Rien dans la deuxième non plus.
Le troisième arrêt fut le bon.
La vendeuse, encore mal remise de sa surprise me raconta cet échange entre une si belle villa dans les beaux quartiers contre un appartement miteux de 17 m2 dans le pire quartier de la ville.
« Il était accompagné de deux chiots adorables d’ailleurs » ajouta-t-elle.
« Oui, c’est ça, la location était au nom de DonPhilippe »
Les yeux brillants je lui demandai de me donner l’adresse.
« Je ne sais pas si je peux, c’est normalement confidentiel … »
Voyant mes larmes, elle inscrivit discrètement sur un papier l’adresse de l’appartement et me le glissa doucement dans la main.
« Bonne chance … Vous en aurez besoin, faites attention à vous … »
Remontant dans le taxi, je lui fournis l’adresse.
Cette fois ci, c’est avec vigueur qu’il protesta.
« Je ne vais pas dans ce quartier, c’est trop dangereux, vous le savez très bien ! »
« Je le sais, oui, je vous demande juste de m’accompagner jusqu’à l’entrée, je me débrouillerai ensuite. Je vous en supplie, je ne vous demande rien de plus … »
Il hocha à nouveau la tête silencieusement et démarra.
Les rues se dégradaient rapidement, les belles villas disparaissaient du paysage. Bientôt ce ne furent que des immeubles délabrés qui nous entouraient. Les rues étaient sales, les poubelles défoncées vomissaient des ordures qui jonchaient le sol. Partout, des carcasses de voitures brulées enlaidissaient le paysage. Des bandes effrayantes squattaient les halls de ces pauvres immeubles.
Baracka commençait à gronder sourdement lorsque le taxi s’arrêta.
Se retournant vers moi, l’air désolé, le chauffeur me dit :
« Excusez-moi mais je ne vais pas plus loin… Continuez à remonter la rue sur environ 300 mètres. Puis prenez la rue à gauche. Vous trouverez le numéro 13 une vingtaine de mètres plus loin. Soyez prudente et appelez moi en cas de souci, je préviendrai la police »
Je lui souris
« La police vous savez, dans ce quartier … Et puis j’ai un bon garde du corps … »
Baracka poussa un feulement qui le fit sursauter.
Je sortis de la voiture, le remerciant encore et prenant mon courage à deux mains, commençai à remonter la rue d’un pas pressé.
Tout était silencieux autour de nous, calme aussi, nous avions de la chance.
La rue à gauche, j’y étais. 1… 3 … 5 …Je cherchai les numéros à moitié effacés, les plaques arrachées. Je continuai 9 … 11 … 13 c’était là …
Une lumière brillait au troisième étage, une lumière irrégulière comme celle provoquée par les flammes dans une cheminée.
Je montai lentement les marches sombres et étroites, Baracka grimpait à l’affût devant moi.
Au troisième étage, elle s’arrêta devant une porte en gémissant doucement. Des aboiements joyeux répondirent à son appel, des grattements au bas de la porte se firent entendre et j’entendis alors des pas s’en approcher.
Une voix s’éleva derrière la porte … Une voix … Sa voix.
« Qui est là ? »
L’émotion m’empêchait de répondre.
La porte s’entrouvrit lentement pour s’ouvrir en grand brusquement sous la poussée de Baracka se ruant à la poursuite des chiots.
« Neri ? » dit-il dans un souffle tandis que je le regardai paralysée d’angoisse.
Puis ouvrant la porte en grand il me laissa entrer.
Son appartement était minuscule, à peine suffisamment grand pour nous contenir tous les cinq. Et si triste … Mon regard se porta sur les pauvres meubles, sans attrait, les murs gris, pour revenir enfin sur lui.
Nous étions là, face à face, sans oser bouger ni même respirer.
Je tendis la main vers lui, le cœur battant, craignant qu’il ne me repousse.
Il ouvrit alors les bras et sans hésitation je me jetai contre lui. Il se pencha vers moi tout doucement et ses lèvres se posèrent sur les miennes.
Puis il m’entraina vers le canapé. Je me blottis contre lui et commençai à lui raconter ces deux jours terribles, le déroulement des événements, mes angoisses, mes questions, mes doutes et mes peurs. Et surtout Claude …
Il me raconta aussi ce qu’il avait vécu, ressenti, son désespoir.
Puis peu à peu, les mots se tarirent, ne restaient plus que les regards.
Me tournant vers lui, je lui murmurai enfin à l’oreille
« Je t’aime DonPhilippe, je n’ai jamais osé te le dire mais je ne peux plus me taire. »
Tout était dit, je n’avais plus qu’à attendre sa réponse …

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le passé
28 Mars 2012
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