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EDC de Casey

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Le Ronin par le Vide.

C’était dans ces moments-là, ceux de pures détentes après le service, que le militaire à l’accoutrement sobre et sombre, se mettait enfin en quête d'écouter réellement le monde grouiller et vivre tout autour de lui. Sans forcément y participer. Juste spectateur intermittent et silencieux. Les écouter ainsi chahuter, alors qu’ils bavassaient dans un brouhaha ambiant incroyable, presque inaudible. Rien de probant, rien qui n’élève l’esprit. Que de potins racontars, des ragots en argot, de l'anecdotique aux détails triviaux.
Le brun aux expressions toujours dures, se surprenait de temps à autre à se retrouver dans ce genre de lieux, peuplés d’infréquentables en tout genre. Un vieux rade miteux niché profondément au Sud de la cité. Là où tout était permis, mais à quel prix. Pourtant, jamais la saleté symbolique ou non d’ailleurs, ne le souillait. Il nageait dans ces eaux troubles en esquivant habilement de son air hautain et distancé. Et comme un aimant répulsif, rien ne l’atteignait vraiment. Il slalomait entres les mots et les maux des écorchés vifs, des laissés-pour-compte que la société avait totalement oublié et des meurtris que la vie a lacéré profondément dans leur chair. Tantôt attentif aux plaintes, tantôt simplement hermétique face à cette débauche de douleurs. Ces marginaux qui geignent sans gêne. Un mille-feuille improbable au coeur de la vraie vie.
Accoudé au comptoir, entre deux personnes bruyantes et fortement alcoolisées qui se donnaient en spectacle sur de frivoles sujets, détails croustillants en prime, il resta de marbre, fidèle à sa posture fière et droite. Un doux riff de blues en Si diffusait dans cette atmosphère confinée d’éther et délétère. Posé devant lui, un verre carré où barbotait un gros glaçon rond, tout craquelé déjà, dans un liquide ambré qu’il sirotait à petite dose. Un regard froncé, naturel chez lui, balayait constamment la salle centrale du bar. Quelques femmes à la tenue légère y dansaient en d'obscènes et lascives positions. Un seul coup d’œil et il avait déjà repéré tout le gratin local qui s’agglutinait machinalement par petit amas clanique. Ainsi la nature profonde et viscérale de l’Homme primordial était faite; Instinctive et grégaire.
Sombre pénombre et lumière tamisée. Rien ne s’y distinguait clairement dans ce bouge croulant, hormis les odeurs âcres très alcoolisées. Entre fumée étouffante et odeurs de renfermée, la poussière épaisse n’était jamais très loin de son nez sensible. La jolie serveuse, en réalité maquillée comme un vieux mur délabré, adressa du mieux qu'elle put, un doux sourire au solitaire en avisant son galon à la tête de mort. De sa voix enrouée par la fumette voire l'alcool, elle essaya d'engager la conversation avec le muet ténébreux à sa proximité directe.
Beau brun, t'fais pas parti des meubles toi...militaire c'est ça? Je t'offre un verre sur mon'ardoise?
Poliment, ainsi était la nature profonde du trentenaire, il répondit avec un petit rictus aimable tout en montrant son verre de sa main droite. Il était effectivement servi.
Oui. Et merci mademoiselle, c'est tout bon pour moi.
Au détour d’une conversation qui se chevaucha sur d’autres, un nom familier émergea pour accrocher son oreille, "Arrakis". Non loin de lui, à deux tables du comptoir, quelques personnes visiblement des résidents en haute ville à juger à leur accoutrement plutôt propre et choisi, conversaient gravement sur un cas, celui d’une militaire très connue. Le subalterne s’essuya le visage sans épargner les paupières par réflexe, l’air totalement décontenancé d’entendre ce nom dans un tel endroit. Là, au moment où il s’évadait loin de tout, surtout de l’univers particulier du Militarium. C’était donc ici qu’il prendrait pleinement conscience de ce qu’il s’était réellement produit dernièrement; Arrakis~69308 n'était plus. Un simple regard sur son deck Kender dont l'écran verdâtre était en mode veille, qu'il songeait aux conversations techniques qui faisaient parties d'ores et déjà du passé. Bientôt dans les vestiges du temps, puis oubliées.
Il avait passé ses dernières années à étudier la méthode Arrakis. Son assurance, son aisance en toute circonstance, mais surtout sa grande maîtrise des arcanes. Contre toute attente, malgré elle, malgré lui, c’était ainsi presque un lien de maître à élève, qui ne disait pas son nom mais qui se tissait très clairement dans l’ombre des souterrains.
Le regard reflétant une certaine amertume, tandis qu’un rire strident émanant d'un petit groupe de filles déchira l’air suffocant, extirpant le brun grimaçant de ce furtif souvenir. Il plongea ses yeux marrons dans son verre de Skiwi, devenu étrangement plus amer qu’alcoolisé. Il poussa finalement le conteneur cristallin d’un revers net de la paume, il n'y touchera plus. Quelle était donc cette diablerie. Était-il vraiment triste? Et un peu comme un Ronin, sans guide, il semblait errer nulle part, ici où là. Entre les interstices de la brumeuse cité et l'interminable dédale souterrain crasseux, qui lézardait les profondeurs inconnues de DreadCast. Le Vide créé par l'absence de celle qu'il respectait tant, semblait si réel, si palpable paradoxalement. Car ne dit-on pas que la nature a horreur du vide.
Cependant il se ressaisit un peu honteux de ressentir un tel sentiment de faiblesse, pour enfin considérer le tout posément, car son apprentissage était bel et bien fini, lui. Sans aucun doute il était donc triste, il en a acquis l'intime conviction. Et quelle magnifique soirée, toute smoggeuse que celle-ci, pour être sombre et triste.
Enfin, il se leva, s'étira brièvement, puis toisa les jeunes gens précédemment repérés en se dirigeant vers leur table. Tout en glissant un seul mot à leur adresse, il disparut ensuite agilement derrière la lourde porte qui menait vers le dehors.
Dommage, pas d'hommage...

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