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Ex-renifleur (la compil' du BG de Suite V2)

Comment faire en ces temps-là pour vivre une vie d’homme ?
Les spasmes qui secouaient de plus en plus régulièrement la surface de la planète étaient le signe avant-coureur de la fin de l’Humanité. C’était peu de temps avant le Grand Chaos, mais déjà la Nature avait commencé à régurgiter l’Homme. Elle réagissait enfin au poison qu’elle avait trop longtemps laissé se développer. A coups de tsunamis, de glaciations, de virus, de monoxyde de carbone, d’épizooties, Elle expectora la race humaine comme un chat se débarrasse d’une boule de poils.
Bientôt, la masse des sinistres bipèdes se retrouva réduite à une portion congrue. Et pourtant, bien que mises devant le fait accompli, jamais les orgueilleuses créatures ne reconnurent la moindre once de responsabilité dans leur funeste destin, elles mirent cela sur le compte des politiciens, des économistes, des chefs religieux, et de la fatalité.
Il ne resta bientôt au milieu des ruines de leur soi-disant « civilisation » qu’une poignée de tribus affamées qui continuaient de se prendre chacune pour le centre de l’Univers et se livraient entre elles une incessante guérilla – pathétique et ultime représentation de ce qu’ils appelaient l’Intelligence de l’Homme.
Deux frères plus orgueilleux encore que la moyenne continuèrent la lutte face à la puissance supérieure des éléments et bâtirent l’Imperium de Dreadcast. Ils y cultivèrent un nouveau modèle de société tout aussi absurde que le précédent, basé sur la futilité technologique, les armes et les castes. Mais créèrent toutefois ainsi le seul ilot de civilisation parmi les continents désertiques quasiment invivables.
Lennid n’avait jamais vu Dreadcast. Pour lui c’était une fiction, un conte pour enfants, une superstition destinée à entretenir le complexe de supériorité de sa race, ou à les rassurer devant leur effrayante solitude, devant leur indéniable fragilité – celle de la poignée de clans de l’extérieur.

Dans les temps les plus reculés, l’être humain avait commencé sa douloureuse carrière comme chasseur-cueilleur, aujourd’hui il était en train de la finir comme éboueur-renifleur.
Avouons que ce n’était guère glorieux comme promotion. Pour résumer, les individus encore vivants à l’extérieur de Dreadcast passaient le plus clair de leur temps, quand ils ne se foutaient pas sur la gueule, à fouiller les caves et les halls d’immeubles en ruine à la recherche de conserves périmées. C’était une sorte de chasse au trésor permanente dans laquelle le trésor était une boîte de raviolis ou de fayots.
Evoluant dans les déserts post-apocalyptiques, privés des technologies de synthétisation, les clans étaient contraints pour survivre, de ratisser les restes de zones urbaines dans le fol espoir d’y découvrir un paquet de coquillettes. Il n’était pas rare que des affrontements mortels éclatent entre familles pour s’arroger la propriété d’un pack de sauce tomate.
Lennid, sa femme et son fils, n’échappaient pas à la règle. Lennid était même considéré par beaucoup comme un maître dans le reniflage de bouffe. On disait de lui qu’il possédait le « nez bordé d’anchois », ce qui signifiait qu’avec de solides connaissances archéologiques, un grand sens de l’orientation, une exceptionnelle capacité d’observation, le goût du risque et une grosse intuition, il était capable de repérer et d’extraire une boîte d’anchois d’un monceau de gravats radioactifs. Une somme de qualités que de plus érudits auraient simplement nommée « instinct de survie ».

La prudence a des limites que l’estomac ignore.
Lors d’une période de disette un peu plus cruelle que d’accoutumé, Lennid s’était écarté seul de la mégalopole ravagée pour rechercher de quoi nourrir les siens dans une campagne non moins dépouillée. Il rêvait de stocks de nourriture enfouis, de silos à grains cachés, de greniers oubliés. Certes, l’expédition en terra incognita s’avérait risquée, mais la prudence a des limites que... Voilà, quoi.
Emballé dans une vague tenue censée le protéger contre la plupart des rayonnements létaux, il progressait sur les boulevards délabrés qui fuyaient la ville. Il préférait avancer d’une étendue de gravats à l’autre, plutôt que de s’enliser dans quelque flaque de goudron fondu, véritable piège entretenu par la fournaise solaire non filtrée qui s’abattait alors sur Terre. Lorsqu’il arriva aux frontières de l’ancienne ville il se reposa jusqu’au soir, attendant que le soleil baisse pour se lancer à l’assaut de la plaine sans ombre qui paraissait s’étendre à l’infini.
Après trois nuits de marche dans l’enfer banal des déserts arides et muets, après trois journées durant lesquelles il avait dormi enfoui dans le sol pour ne pas affronter le soleil, il était enfin rendu dans ce qui était jadis une vallée fertile. Tout du moins s’il en croyait la carte qu’il avait dénichée dans un magasin écroulé de la périphérie de l’agglomération. Cependant, il n’avait toujours pas fait de trouvaille comestible et, mesurant la baisse de sa réserve d’eau, il approchait du point de non-retour. Son optimisme s’effritait lorsqu’il pensait qu’il faudrait rebrousser chemin le lendemain si aucune heureuse découverte ne survenait. Rentrer bredouille serait une sacrée claque à sa réputation de maître en reniflage mais ça, il s’en foutait ; ce serait surtout un coup dur auquel sa famille risquait de ne pas survivre.

Le fameux nez bordé d’anchois de Lennid ne le laissa pas tomber.
Son flair se mit en alerte lorsqu’il devina les restes calcinés d’une série de roues à aube déglinguées sur la rive d’un fleuve de cailloux.
S’extrayant par la pensée du crépuscule ambiant, il se représentait parfaitement la topographie des lieux et la vie qu’ils avaient dû abriter. Il voyait les traces du courant, les roches érodées par l’eau. Il voyait surtout les empreintes laissées par la lointaine occupation humaine, les dizaines de meules de granit usées par le labeur d’une minoterie géante, la route qui s’enfonçait dans le décor en remontant la colline. Il suivit cette piste et ne tarda pas à entrevoir une ouverture béante à flan de coteau. Il savait que si quelque chose devait subsister en témoignage d’une époque d’abondance ce serait précisément là, dans l’atmosphère protégée d’une caverne.
Lennid s’approcha du porche taillé à même la roche. Prudemment, il passa entre les deux blockhaus armés de part et d’autre de l’entrée, comme s’ils avaient pu être encore occupés. Puis il se laissa avaler par cette bouche titanesque, sacrifiant au passage le dernier tube fluorescent qu’il lui restait pour percer l’obscurité des lieux. Il ne le regretta pas car ses pas le menèrent à une immense salle. Le sol était curieusement jonché de squelettes de grands quadrupèdes. Il y avait aussi des restes de machines, des carcasses d’acier avachies sur des pneus de caoutchouc imputrescibles, des rails, des poutrelles rongées, les pales tordues d’énormes ventilateurs brisés au sol. Il leva les yeux vers des enchevêtrements de fils et de tuyaux qui tombaient en cascade du ciel mais ne put même pas distinguer le plafond à la faible lueur de sa fluo-barre ; peut-être culminait-il à quarante mètres ou plus au-dessus de sa tête.
Il continua son exploration et découvrit un couloir qui devait s’enfoncer plus encore sous la terre. Couloir était un terme un peu léger pour qualifier ce tunnel rectiligne d’environ quinze mètres de largeur comme de hauteur et d’une longueur insondable. Tout au long, deux pistes marquaient le sol. Il imaginait à peine le poids de ces véhicules dont la circulation incessante avait creusé la roche dure de larges ornières. Tous les cent pas, il y avait une porte monumentale protégée d’une herse. Il venait de passer devant une dizaine de portes et le couloir semblait loin d’être fini. Il surnomma ces portes, « les portes du Paradis ».
Si ce qu’il pensait devait s’avérer exact, il était dans le plus monstrueux grenier à grain jamais mis à jour. Probablement était-ce la réserve majeure, le bunker vivrier de la mégapole au sein de laquelle son clan avait fait halte depuis quelques saisons. Il espérait que si tel était le cas, le grenier était plein au moment de l’Ultime Cataclysme. Il brûlait d’en savoir plus mais renonça à trouver une herse levée. Il retourna donc dans le grand hall chercher les outils et les explosifs qu’il avait abandonnés derrière lui pour faciliter son excursion. Il fallait faire vite, sa fluo- barre n’avait qu’une autonomie d’une dizaine d’heures en tout et pour tout et il l’avait activée depuis trois ou quatre heures déjà.
***
« Deux frères plus orgueilleux encore que la moyenne continuèrent la lutte face à la puissance supérieure des éléments et bâtirent l’Imperium de Dreadcast. »
Lorsque je suis seul dans ma résidence de la Ville Haute, je tente de me souvenir. Je regarde mes doigts mauves taper sur le clavier. Les paragraphes s’enchaînent et défilent sur l’écran de mon deck. Ils semblent raconter une histoire cohérente, la biographie de mes vies antérieures, mais vous savez ce que valent les mémoires à Dreadcast...
Je suis un cyborg. Je m’appelle Suite V2. Curieusement, je crois que ma transplantation a éveillé des souvenirs bien plus lointains que ceux de mon arrivée dans l'Imperium. J’ai aujourd’hui accès à une sorte de mémoire résiduelle dont je ne parviens pas à valider la fiabilité.
Je dépose ce texte au fur et à mesure sur la matrice, avant tout pour comprendre qui je suis et d’où je viens. Mais en ai-je réellement le droit ? Les citoyens ont-ils des droits dans un Empire qui entretient l’obscurantisme sur ses origines ? Combien de temps encore les services secrets de l’Ambassade, l’Inquisition, ou la police de la propagande me laisseront-ils publier le dessous des cartes ?
***
Humidité zéro à cet endroit, aucune corrosion des barreaux d’acier.
La barre à mine ne suffirait pas pour venir à bout de cette herse qui se noyait dans la pierre. C’était à coups de burin et de massette que Lennid creusa le trou qui servirait d’écrin à un bâton de dynamite.
Petite frayeur fugitive – des dizaines d’années après sa mise en service, une mitrailleuse automatique avait réagi aux vibrations des coups de marteau et Lennid sursauta en entendant les cliquetis de l’arme qui pointa sur lui. Heureusement, le dispositif était enrayé et aucun coup de feu de retentit. Il faudrait quand même être plus vigilent lorsqu’il s’attaquerait aux autres portes.
Huit, sept, six… notre homme était déjà à plus de cinquante mètres de la porte, terré au fond d’une ornière, les mains sur les oreilles. Trois, deux, un… la déflagration résonna avec une force surprenante dans le couloir souterrain et Lennid sentit le courant d’air brûlant se matérialiser et balayer le sol au-dessus de son corps plaqué à la roche. Il resta instinctivement quelques secondes immobile, réajusta son respirateur et sortit de sa planque pour aller voir le résultat de l’explosion.
Sa fluo-barre illuminait les particules en suspension dans l’air, créant un halo opaque qui réduisait considérablement son champ de vision. Malgré cette purée de pois, il distingua le pan de roche pulvérisé et la grille d’acier éventrée. La brèche était largement assez grande pour qu’il s’y engouffrât. C’est ce qu’il fit sans hésiter.
Il pénétra dans la salle, le ventre noué, et se trouva face à des silos tellement hauts que leurs sommets se perdaient dans l’obscurité de la caverne. Il se sentait minuscule devant ces majestueuses cuves qui l’écrasaient de toute leur masse, mais plus encore devant ce qu’elles signifiaient, à savoir des dizaines, voire des centaines d’années de survie pour son clan grâce à une seule d’entre elles… et il y en avait huit… uniquement dans cette salle… et combien de salles ?
Les jambes en coton, il gravissait l’échelle métallique qui menait à une trappe du réservoir. A chaque barreau, il sentait la massette suspendue à sa ceinture dont le manche venait frapper sa cuisse à la façon d’un métronome… c’était un compte à rebours qui le séparait de la révélation devant sceller le destin de son peuple. Y aurait-il du grain ? Dans quel état de conservation ?
D’un coup sec et précis, il frappa la cheville qui maintenait la trappe fermée… « Tirer la chevillette et »… et le grain jaillit, propre, sec, en une cascade lumineuse et providentielle.
Une vague de joie sans nom s’empara de Lennid qui, du haut de son échelle hurla sa joie, sa délivrance. Il lâcha prise et se laissa tomber, euphorique, sur le tas de grain déjà accumulé en-dessous de lui. Il nageait en plein rêve, sentait pour la première fois de sa vie l’espoir envahir tout son être. Sa chute fut amortie par la montagne de céréales et il roula en riant jusqu’au bas de la pente molle et pleine des promesses d’un avenir meilleur. Arrivé en bout de course, c’est à peine s’il remarqua le morceau de ferraille qui déchira sa combinaison et effleura jusqu’au sang sa cheville. Il restait là, plusieurs minutes, les yeux embués par l’émotion, à plat ventre, jouant à faire s’écouler l’avoine entre ses doigts gantés. Il était prêt à entrer au Guinness Book avec à son actif le plus énorme porridge du monde.
Il se redressa enfin de toute sa hauteur et sentit en lui circuler un souffle nouveau, le souffle de l’honneur retrouvé, celui de héro de l’humanité. Et même si, curieusement, sa cheville lui faisait mal, il emplit son sac à dos de grain et retourna fièrement jusqu’au grand hall. Il imaginait déjà l’accueil triomphal que lui réserveraient les siens dans quelques jours.
Certes, il méritait bien le statut du plus grand renifleur de la planète, certes il avait décroché la timbale. Bien vite pourtant, il fut ramené à la dure réalité : la fatigue accumulée, le lourd sac de grain sur son dos, sa cheville éraflée qui enflait étrangement, le soleil de plomb à l’extérieur de la caverne, les trois jours d’eau qu’il lui avait en réserve pour un périple de quatre… Mais il avait déjà trop accompli pour flancher maintenant. Pour reprendre la route avec le maximum de chances de son côté, il se délesta de toutes ses affaires inutiles, ne conserva que le sac de céréales, sa combi antiradiations, sa réserve d’eau et une petite pelle afin de pouvoir s’ensevelir dès que le soleil montait dans les cieux.
Il traversa le grand hall, celui jonché des squelettes de quadrupèdes et ressortit de la caverne. Il faisait encore nuit. Il pensa à sa femme, à son fils, à sa famille, à son clan. Ils avaient besoin se lui, il était leur espoir et leur guide. Ca n’avait pas été facile de les laisser derrière lui dans la ville morte, de partir en éclaireur, mais il avait dût le faire. Avec eux, il aurait été ralenti, il n’aurait pas pu se laisser gouverner par son instinct, pas pu faire de choix, ni prendre de risques. Avec eux, jamais il n’aurait découvert cette manne inespérée. Là-bas il restait de l’eau potable mais plus rien à manger. Ici il y avait toute la nourriture du monde, mais rien à boire. Entre les deux, quatre jours de désert.
A chaque pas de plus en plus douloureux, il prenait conscience que quelle de fût l’énormité de sa découverte, il n’avait pour l’instant rempli que la moitié de sa mission. Avant que le soleil ne se lève, lentement, il s’éloignait des greniers.
Il boitait.

Il arrive que souffrance, épuisement et désespoir se conjuguent.
Quelques heures plus tard, assis sur le sol caillouteux et stérile du désert, Lennid avait dézippé une jambe de sa combi et regardait son pied. Son visage portait la marque du plus profond désespoir – sur sa jambe, la marque de la mort. Il observait sans vouloir y croire l’évolution de son éraflure à la cheville. En quelques heures, ses chairs étaient devenues grises et la nécrose avait déjà dépassé le niveau du genou. Il savait que c’était la fin. Il connaissait ce mal. Il ne l’avait jamais vu, il le pensait disparu, mais il le connaissait, tout le monde le connaissait.
Il se souvint de son entrée dans la caverne et de la vision des squelettes de bovins. Il se souvint de sa roulade sur le tas de grain et de sa réception sur le morceau de ferraille qui émergeait du sol et sur lequel il s’était égratigné.
Le Grand Cataclysme avait laissé d’immenses zones quasiment dépourvues de vie, mais la nature qui avait horreur du vide s'était empressé de combler ce manque. Un champignon jusqu’alors inconnu apparut. Un champignon ? Une bactérie ? Peu importait. Ce fléau invisible s’était répandu comme une trainée de poudre à la surface du Globe. L’Histoire ressemblait à un rasoir bilame. Le Grand Cataclysme avait coupé presque tous les poils, et, pour ceux qui étaient encore miraculeusement debout, une seconde lame avait suivi : « la pourriture des sabots ».
Tout le cheptel nourricier des quelques peuplades épargnées par la première lame avait été zigouillé par cette seconde. C’était une maladie incurable, une infection qui pénétrait l’animal par les pattes, et remontait dans son corps en entraînant une putréfaction fulgurante des chairs. Ce que Lennid ignorait, ce qu’il venait de découvrir, c’était que ce fléau n’avait pas disparu, il était simplement endormi dans le sol, prêt à bondir sur sa prochaine victime, à se ruer dans la moindre écorchure à vif.
Quelle ironie pour Lennid de savoir que le Mal avait élu domicile dans ce grenier, exactement là où reposait l’ultime espoir de survie de son clan. Il regardait sa jambe rongée, il ressentait l’engourdissement qui gagnait déjà son bas-ventre, ses trippes. Il savait qu’il n’avait plus aucune chance de rejoindre la ville fantôme, qu’il ne pourrait pas divulguer aux siens l’existence des réserves de grain et que prochainement son clan s’entredéchirerait pour une boîte de pâtes, pour un paquet de sucreries avant de finir, qui dans un bain de sang, qui dans une plus longue agonie due à la sous-alimentation.
C’était la fin. Pour lui c'était une question d'heures, pour sa femme et son fils une question de jours, et pour les plus vigoureux du clan une question de semaines.
Les larmes avaient séché sur les joues de Lennid recroquevillé au sol. La maladie était sur le point de le laisser pour mort et la fournaise aurait tôt fait de le renvoyer à la poussière. C’est alors qu’ils arrivèrent. Il eut juste le temps de voir les trois paires de bottes militaires fouler le gravier devant son visage. Il entendit des bribes de conversation sans rien comprendre, il repéra un symbole rouge et or cousu sur l’uniforme du bras qui l’empoignait avant qu’il ne perdît connaissance.
Lorsqu’il se réveilla dans un caisson, c’était pour entendre que tout allait bien ou presque, qu’il était à Dreadcast, qu’il ne se souvenait de rien mais que c’était normal. Il entendit son nom, un nom qui ne lui rappelait rien. Il sortit de la boîte et se tint debout au cœur de la salle principale du Centre d’Arrivée parmi tout un tas de gens pour la plupart visiblement ébranlés. Il écoutait un enregistrement de bienvenue qui tournait en boucle, il pressentait qu’une bonne part de ce que déblatérait la voix était faux mais il n’avait strictement aucun moyen de prouver le contraire.
A quoi bon se rebeller ? A quoi bon lutter pour savoir ? Il avait le choix entre l’opportunité de se fondre dans la société de l’Imperium, ou celui de se laisser sombrer et de devenir un des zombies du Centre d’Arrivée avant de disparaître définitivement. L’instinct de survie fut le plus fort. Il sortit du bâtiment en se conformant aux consignes que la voix lui avait données : obtenir une carte d’identité, un travail, un logement… C’était parti pour une vie d’homme parce que finalement c’était la meilleure chose qu’il avait à faire.
Il connut l’amour à nouveau, mais pour lui c’était la première fois puisque son passé avait été effacé. Il bénéficia même d’une certaine reconnaissance dans ses entreprises, se hissa jusque sur les marches de la noblesse. Là, les choses se gâtèrent, la politique s’accommodant mal de sa moralité. Il subit l’injustice, la trahison, la haine et se retrouva à bout de course, acculé, sans issue.
C’est alors, que pour échapper à sa condition, pour repartir de zéro, il choisit de disparaître, de changer de nature et de changer une seconde fois d’identité, mais cette-fois-ci volontairement. Aussi, à l’aide d’une équipe médicale il organisa le transfert de son cerveau dans le corps d’un androïde. Il se ferait appeler Suite V2.
***
Ce n’est pas simple de se retrouver du jour au lendemain dans un nouveau corps, surtout si le corps en question est cybernétique. Il faut réapprendre l’équilibre, l’agilité, la précision, la maîtrise de ses forces, etc.
Le « cablage » d’un cerveau humain à une interface cybernétique est relativement grossier, pas mal de liaisons ne se font pas tout de suite, certaines doivent se mettre en place dans le temps, d’autres sont inversées et doivent être reprogrammées. Ce n’est pas du tout comme brancher un grille-pain sur le secteur, quelle que soit la couleur dudit grille-pain.
Parfois certaines connexions sont inattendues, aléatoires… du genre, une chance sur un milliard d’exister. Dans mon cas, ce fut une surprise totale lorsque je pris conscience que la transplantation me donnait à nouveau accès à mon passé. Et là, je ne parle pas de mon passé dreadcastien, je parle d’avant, de dehors. Je parle de tout ce que je viens de vous écrire… l’histoire de Lennid, mon histoire.
Mais pourtant, encore aujourd’hui je ne peux pas totalement y croire. Je n’arrive pas à me mettre complètement dans la peau de ce sauvage capturé. Quelque chose me retient pour je l’admette vraiment. Je me demande si ce n’est pas une sorte de rêve, une chimère née du traumatisme de la transplantation, un vrai faux souvenir…
Et puis de toute façon, même si c’était vrai, quelle utilité pour moi de savoir que j’ai été le renifleur le plus chanceux et le plus malchanceux que la Terre ait porté ? La seule chose réellement utile aurait été que je sauve les miens ce qui n’est le cas, ni dans la réalité, ni dans mon rêve. Aujourd’hui je me dis simplement que si ce souvenir est vrai ils ont tous disparus, s’il est faux ils n’ont jamais existé – le résultat est le même.
Je suis mauve… mais stoïque.

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