EDC de 3165

Les yeux rivés à l'écran du terminal, observant attentivement les chiffres qui défilent, Paul pense... se remémore.

Une existence... Onze années qu'il était arrivé en ville, onze années qui l'ont éprouvées. Le Requiem for a Drink avait toujours été un lieu particulier à ses yeux.

D'abord petit vendeur terne dans une boutique d'équipements spécialisés, guichetier puis directeur adjoint de la banque Redstorm. Autant d'êtres croisés, de destins parfois brisés et le cynisme d'une cité qui s'étouffe peu à peu. Les visages blafards des habitants qui viennent déposer les économies durement acquises.

Il avait suivit depuis la fenêtre blindée de son bureau la construction du bar et se souvenait vaguement avoir assisté à son aménagement un soir, accompagnant une belle androïde dont il était tombé éperdument amoureux.

Il y avait connu ses moments les plus heureux, les pires aussi... Les rixes, les arrestations, la tension et la violence latente. Le Requiem, une poudrière qu'un simple étincelle pouvait enflammer.

Des souvenirs de son passé lui reviennent ; les hurlements de terreur, le feu qui consume et le bruit des sirènes. Des corps désincarcérés à coup de tronçolame, une femme tenant son bébé dans ses bras et des larmes. La douleur... Il essai de chasser ses images de son esprit.

Une chute inévitable, dont la Requiem avait été le théâtre... personne n'avait pu l'empêcher. La déchéance, la prison... et un visage omniprésent, son sourire, sa grâce. Irremplaçable, attachante, toujours à l'écoute de son prochain. Celle dont il apprendrait plus tard qu'il partage avec elle bien plus qu'un profonde amitié.

Une main tendue... celle d'une femme aux cheveux rouges, ferme, déterminée qui l'arrête dans sa chute.

Le Devoir ; servir son prochain, protéger, être la pour ceux auxquels on tient... Sa soeur, la corporation, le Consortium Requiem, sa compagne Ghylma, ses amis, l'Impérium. Ses idées s'embrouillent les yeux toujours rivés au terminal.

Ses implants mémoriels s'activent en même temps que ses yeux se ternissent. Il se prend à se demander comment le centre de clonage peut aller jusqu'à reproduire ses implants greffés dans son cerveau humain. Au fil des années, il s'était déshumanisé : Les 10,07 % de patrimoine génétique elfique, les améliorations cybernétiques, l'entrainement pour devenir plus performant, mais surtout affronter la douleur, les disparitions, l'oppression.

Ses yeux se portent sur les écrans de vidéo surveillance, guettant anxieux la salle du Requiem qui, il le sait, sera son tombeau, dernier bastion d'un monde qui se meurt doucement. Tous ces êtres dignes d'intérêt y apportant chacun leur pierre, si nombreux qu'il ne pourrait les citer.

Crispé, son coeur se serre, chaque salle lui rappelant une histoire, des visages d'être parfois disparus, broyé par cette cité tentaculaire, le comptoir animé et au milieu... Elle, celle qu'il avait cru perdre. Il éteint le terminal, affiche le sourire de rigueur, se lève et s'allume une clope...