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Cacher

N°6 : Autant en emporte le vent

N°6 : Autant en emporte le vent

Il avait essayé — vraiment essayé, mais voilà qu’il se trouvait à nouveau au bord du vide ; le sien, celui qu’il cachait si bien, celui qui ne se comblait pas, quoi qu’il y jetât. Son vide originel, qu’il l’appelait, si dense qu’il absorbait inéluctablement la moindre lumière, même —surtout — celle de sa pulsion de vie en paille de fer. Comment faisaient-ils, ces autres dont il ne pouvait rien
garder ? Les avait-on parlés, fantasmés, aimés, eux, avant qu’on ne les arrache à leur matrice ? Dans ses moments de gloutonnerie, de boulimie presque, quand il caressait l’illusion de faire de son masque son vrai visage, tout s’emblait s’imbriquer parfaitement ; une place pour chaque chose, et chaque chose à sa place. La vie, simple filet sinueux d’abord, semblait soudainement se déverser en un flot sauvage par lequel il lui suffisait de se laisser porter, rassuré par sa limpidité qui semblait ne rien lui cacher. Puis la source se tarissait comme elle avait jailli, le laissant englué dans la boue qui dormait au fond, tout au fond, patiente et confiante en sa propre viscosité.

Alors, tout lui paraissait gesticulations et courants d’air, lutte contre une armée de moulins à vent. « Se tenir sur un trou » ; l’expression l’amusait d’autant plus qu’elle lui paraissait vide de sens dans un monde où le néant n’était pas circonscrit, dont l’absence d’Alpha privait l’Omega de toute réelle substance. Qui entretenait ce mythe de la préciosité de toute vie, quand bien même celle-ci fût déconnectée des toutes les autres ?... Quand elle n’était ni rare ni finie ?
À qui — qui n’en voudra pas — donner son manque, quand tout n’est plus que recherche de satisfaction pleine et entière, quand l’autre n’est plus qu’étayage à notre individualisme ? Peut-être en avait-il été ainsi sur le Monde Originel des premiers colons ; peut-être que, sur un monde qui les avait privés de toute satisfaction, devenus incapable de maintenir la cohésion de leur soi, le cannibalisme n’avait pas eu comme visée la survie organique, mais était devenu le seul moyen de garder un peu de l’autre en eux. Fallait-il qu’il en vienne, lui aussi, à manger les gens ?

« Vous sentez la poussière », lui avait-elle dit un jour avec une lucidité percutante.
Ô combien elle avait raison ! Il exsudait la fatigue, et pensait à tous ces gens devenus statues dans leur écrin de béton. Ils devaient essayer, pensait-il, d’atteindre la mort si lentement, si discrètement que leur APM en serait finalement trompé, vaincu, et les laisserait enfin goûter à la minéralité à laquelle ils aspiraient.

Lui partageait encore sa poussière avec celle des vieux livres, jusqu’à qu’elles se mêlent et soient emportées par le smog.

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Chroniques d'un type ordinaire
04 Octobre 2018
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