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EDC de Janus~51367

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Jean-Michel Racaille

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DISCLAIMER
Il va sans dire que cet article n'est à charge contre personne. Il est avant tout voulu comme semi-humouristique, et le peu de joueurs connaissant encore ma précédente incarnation ne manqueront pas de relever l'ironie du propos. Je souhaite également le dédier à Six, feu Emy/Dye, Lenok et Djino.

Jean-Michel Racaille

Du langage et de la culture «sudistes»



Il y a des constantes qu'on ne peut remarquer qu'au cours d'une vie entrecoupée de retraites glacées –ou dans le cas de Janus, d'une retraite ponctuée de gesticulations pulsionnelles. Au cours des ans –voire des décennies, il avait perdu le compte–, les têtes changeaient. Les politiques changeaient. Les corporations changeaient. Le nom, l'adresse, la décoration et le service du bar dans lequel il s'était réfugié, comme pris d'une envie de pisser, pour dégeler en paix, avaient changé. Toutefois, le concept dudit bar et son signifié, eux, semblaient être gravés dans le marbre, tout comme les fausses promesses qu'ils portaient. Le constat l'avait frappé alors qu'il venait d'entamer la lecture d'une feuille de chou abandonnée sur sa table et au nom empreint de revendication identitaire : L'Sudard.
Le langage était fleuri, pour le moins qu'on puisse dire, et la syntaxe artistique. C'était une chose de l'entendre couramment une fois passée la ligne du T-Cast sud, mais une autre de la voir écrite... Cette foutue apostrophe ! Bien calée dans le titre, à l'aise et sans gêne, regardant de haut ses congénères coincées tous azimuts entre des lettres qui ne leur étaient pas familières et manifestement mécontentes de cette promiscuité. Ainsi sauta aux yeux de Janus ce qu'il n'entendait presque plus, par la force de l'habitude et, sans doute, d'un mécanisme de défense sauvegardant sa santé psychique.
Quand on lui avait décrit le Sud, peu de temps après sa sortie d'incubateur, on lui avait vendu le paradis. La plaquette touristique était parfaite : peu de flicaille, des crédits pour qui a le sens des affaires, un repère pour les impulsifs de tout poil et, surtout, pas de latin. Sans pouvoir remonter à l'empaffé vaniteux qui avait introduit ce dialecte poussif dans les communications officielles de l'Empire, Janus le voyait pour ce qu'il était : un marqueur de l'élite, outil de formatage et de valorisation sociale. Tout NI qu'il fût, il n'en pouvait déjà plus des «Ad Gloriam» et autres «Salve» à répétition, lui qui ne connaissait de salves que celles de plombs –bien qu'il lui arrivât d'user de ces dernières comme salutation.
Bien sûr, avant de mettre les pieds dans un potentiel traquenard, Janus s'était documenté autant que possible sur ce quartier, son histoire et ceux considérés comme ses grandes figures. On lui parla de cachet, de contre-culture, d'une verve qui ne s'embarrassait pas d'être verbeuse ni pédante. D'un esprit, d'une volonté, d'une relation complexe, mais pas complexée avec le monde criminel. Que l'Elfe épicé à la poudre à canon y avait été un met prisé, fut un temps, par les gourmets les plus aventureux. Qu'on en virait les emmerdeurs sans autre forme de procès. Que rien n'y était moralement noir ou blanc, seulement une question de point de vue. En d'autres mots : un beau rêve, une forêt de béton en friche, dont la faune avait combattu bec et ongles pour la préserver.
La carte postale, en l'endroit le plus fréquenté du coin, semblait de prime abord contractuelle. Un parler franc, voire frais comparé au latin renfermé ; des attitudes, des gueules patibulaires. Mais le paradoxe de ce quartier était peu à peu apparu à Janus et, là, le nez dans son cafey, des apostrophes plein les yeux, s'écrivait devant lui l'ADN du Sud touristique. En fait de forts caractères, on y trouvait surtout un autre moule. Moins lisse que celui des latinistes, plus asymétrique et baroque ; mais un moule tout de même. Le langage du Sud grand public, en avait conclu Janus, était l'expression la plus visible de ses contradictions, qui admettaient bien volontiers la présence à ses comptoirs de fantassins et militaires, ou d'autres fonctionnaires proprets. Celui qui vous payait gaiement un verre une nuit pouvait, la suivante, vous balancer une gamelle dans votre geôle avec le mépris comme assaisonnement. Sa traduction en devenait limpide :

«Cimer» : Je suis poli(e), mais pas trop, ok ?!

«M'ser'moi'm'Mac» : Barman, je prendrais volontiers un skiwi de votre cuvée McGreggor.

«Hoy/M'Hoy/Hoï» : Kikou, qui me fait des bisous ?

«Chui une vraie S'diste oim, chulé d'mes deux !» : J'ai des valeurs et j'étais là avant vous.
–Mais... C'est pas vous qui m'avez privé de clope en Prison, l'autre jour ?
–BEUH T'GUEULE *vomis* : Si, je suis une sociale-traître et je me dégoûte.

Il avait même pu constater que le "tu", item linguistique à valeur de familiarité et de décontraction –Ranafout' en sudiste touristique– sonnait faux, tant il était fourré de force dans la gorge des employés du coin, tel des écureuils gavés à l'image de marque. La mixité sociale souhaitée à la naissance du Quartier, dans l'espoir à peine voilé de griser la morale des blanches colombes du centre-ville, d'en faire des atouts, avait-elle virée à la gentrification, à la pacification complaisante ? Chaque «Salve» persiflé dans l'enceinte de l'Impasse résonnait comme une insulte sur les murs sales, du moins aux oreilles de Janus. Peut-être était-il né trop tard, peut-être que tout ce qu'il restait des histoires était cette couche de crasse qui tenait les murs et les piliers de comptoir. La belle crasse marketing.
Pourtant, le journal qu'il tenait en main renfermait aussi un espoir, ténu mais bien là. Une braise sur laquelle souffler. Les «vieux», les gueules, qui opposent encore leurs énoncés performatifs aux bravades creuses, étaient encore là, tapis, prêts à bondir et à briser les faux semblants, à botter des culs comme avant. Alors au «Salve», Janus répliqua à coup de kanuf sur la table vermoulue, dans le même dialecte, pour être sûr qu'ils comprennent.

Fluctuat nec mergitur

Du Sud à l'insulte la réponse.

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Un grand merci à LJD Six pour sa contribution on ne peut plus pertinente :

◊ Commentaires

  • Aislinn (177☆) Le 30 Mars 2017
    Ce que c'est bon à lire! *
  • Djino~31724 (155☆) Le 30 Mars 2017
    Ahahah, excellent article qui attrape bien plusieurs problématiques du "sud".
    Nécessité de "promouvoir" sa culture pour empêcher sa perte, mais attirant des "clichés" qui adoptent certains codes pour y être intégrés.
    Lorsque certains perso' un peu moins "jean michele" et plus "racaille" se voyaient parfois jetés par une parti, lorsque une autre partie disaient "Putain, mais on est justement là pour être l'fief de tout les exclus et marginaux".

    Un peu comme Manue Chao ou Noir désire, ou certains politiques, qui doivent "participer" au système, pour le combattre, dans un bon vieux syndrome du messie.
    Le Sud se voit dans l'obligation de jouer sur plusieurs facettes pour pouvoir perdurer, dans les contradictions que tu as fait sortir.
    S'il se marginalise trop, il crève.
    S'il se normalise trop, il crève.
    S'il fait un peu des deux, on lui reproche de faire soit l'un, soit l'autre.
    Et sinon, il y a le plan, et le job il est pas fini à moitié.

    Et comme dit Six, "Quand le plan va, tout va", c'est juste long et compliqué de créer de toute pièce un paradis sur le long terme.
    Une belle analyse en tout cas.

    Bref, une grosse * pour toi!
  • Janus~51367 (90☆) Le 30 Mars 2017
    @Aislinn Cimer smiley

    @Djino C'est ce qu'on se disait avec LJD Six, certains aspects du "plan" ont trop bien pris, en surface du moins. Il y a effectivement un équilibre à trouver, équilibre souvent rendu précaire par le manque de bonne volonté en "face". Du coup ça nous donne quand même un Sud à deux strates –voire trois si on compte ceux qui ont poussé la contradiction à son paroxysme en atterrissant dans les hautes sphères–, le tout étant de savoir si ces strates sont (re)conciliables.