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EDC de Janus~51367

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N°3 : Caval(i)er

Caval(i)er
Drapé d'ombre artificielle, Janus observait sa proie avec avidité, tapi à l'angle d'une rue. Il se rapprochait pas à pas, épiant les alentours à la recherche d'une menace quelconque, faisant au mieux pour combattre l'urgence de la faim. Arrivé à quelques mètres seulement, il se figea tandis que son estomac se manifestait bruyamment. Prévisible, mais malvenu. Une goutte de sueur perla de son front pour courir jusqu'à sa lèvre supérieure, et il l'accueillit de sa langue rendue pâteuse par la soif ; il en était là. La jeune femme, elle, avait l'air bien nourrie, et était heureusement trop occupée par sa fouille pour s'intéresser aux borborygmes de l'homme, dont le tube digestif avait certainement entamé sa propre digestion.
Alors qu'elle se penchait pour ramasser quelque objet, Janus s'élança aussi souplement que son corps déshydraté lui permit, une main tendue vers la promesse d'une pitance salvatrice. Fouillant dans les sacs de la jeune humaine, ses doigts gourds ne purent toutefois rien en tirer de bonne valeur. Sur le point de pousser sa chance, probablement trop loin, sur la bourse de son heureuse victime, il fut stoppé net dans son élan. Une patrouille du CDO remontait la rue, à moins de 25 mètres de lui. Sur un flot d'injures silencieuses, Janus dû se résoudre à se retirer. Ce soir, il mangerait encore de ces satanées pilules bleues.
Éclaboussé d'une lumière crue, fatalement cruelle, son visage lui renvoyait un air de reproche en plus de témoigner de son état pitoyable. Combien avait-il perdu, depuis le début de sa cavale ? Dix, quinze kilos ? Quittant l'odieux miroir de la petite salle d'eau providentielle que comportait son refuge, il s'effondra dans un profond canapé et entama, d'une main tremblante, d'ingurgiter petite pilule après petite pilule. Ce soir, il devrait être d'aplomb, fut-ce artificiellement. Aussi laissa-t-il un demi-sommeil fiévreux l'envelopper, et le film de ses turpitudes le bercer.
Il avait suffit d'un livre interdit, lu pour tromper son ennui, pour relancer cette quête insensée de son identité. Après une décennie d'un coma glacé, quelques mots seulement avaient ravivé le désir de prendre ses pleins droits sur cette ridicule non-vie qu'offrait la prison géante qu'ils appelaient « cité ». Ainsi, pour s'ancrer dans le présent et s'assurer un futur, il avait brisé le sceau d'un passé tabou, se jetant à corps perdu et à son insu dans ce qui deviendrait une éternelle cavale. Entre rats et regards inquisiteurs, à travers SAS et portes verrouillées, d'accusations en jugements ignorants. Aux sermons politiques, Janus opposait le déclin d'une Dame, qui avait fait briller ce qu'il restait de sa flamme pour éclairer son chemin, qui avait usé de son ultime souffle pour le placer sous des vents plus favorables. Mais dans son affirmation de soi, il avait à son grand dam rouvert quelque plaie mal cicatrisée, suppurant d'un enjeu qui le dépassait.
Ainsi s'était formée, insidieusement, la spirale de la marginalité, de la violence et de la faim. Par la privation d'une citoyenneté dont Janus ne jouissait de toute façon pas, par le poids d'une dette trop grande, contractée par goût du savoir indépendant. Une spirale à l'inertie d'abord imperceptible. Car avoir l'étiquette d'un paria, il l'avait remarqué, ne faisait pas lever beaucoup d'yeux malgré la diffusion de son portrait sur les réseaux. Personne ne l'avait expulsé de sa table quand, après des jours d'affamement carcéral, il reprenait un peu de couleurs au goût soudain merveilleux d'un simple ragoût. Puis fut atteint le point de non-retour. L'incident bête, qui pesa de toute son insignifiante gravité sur une masse déjà critique. La société, en la personne d'un cadet zélé de l'Orient, eut dans l'idée de réclamer à Janus le paiement de cette dette, exorbitante au vu de ses moyens.
Il n'avait pas idée qu'il avait posé pour la dernière fois son séant sur un siège de bar. Il avait voulu s'en sortir sans heurt ; bien qu'il soit prompt à la violence, il n'y cédait jamais gratuitement. Une matérialisation soudaine dans l'air vibrant en décida autrement, quand elle fit se relâcher une tension à son comble. Le plasma avait frôlé le supérieur ainsi apparu, mais frappé de plein fouet le cadet. Janus venait de franchir le seuil de l'isolement, du crime de survie, celui qui signait le début d'une vie parallèle. Bien sûr, il avait finit par trouver d'autres comme lui, avec qui être seuls et s'enfoncer chaque jour un peu plus dans son nouveau monde. Derrière un visage fermé et une sécheresse de paroles, il cachait une joie naissante : celle de dire « Merde ».
Et les soirs comme celui-ci, quand la faim était telle qu'elle le convainquait presque de se rendre, d'échanger un gîte contre un couvert ; qu'il devait sa subsistance et la force de braquer son arme à ce poison bleu, il repensait à la Dame et à cet unique baiser, dont il avait compris toute la portée pour un Autre que lui. Alors, froissant l'antique étoffe noire de ses faibles doigts, il trouvait le courage d'affronter ses terreurs nocturnes, et de chevaucher ses peurs à la poursuite de jours meilleurs. Ainsi il continuerait sa course, quitte à se tuer contre les obstacles, mu d'une fierté insufflée par un fantôme et par l'insatiabilité de se vivre.


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