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Dégénérescence
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Jean, Réceptionniste du CdC - 7/341.3 : « Seuil de viabilité - critique »
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Un nouveau communicateur bon pour la casse, comme tous les précédents. Balancé contre son mur à chacune des réceptions. Ce n'est pas le premier message qu'elle reçoit. Ce ne sera pas le dernier. C'est toujours le même manège : chaque fois qu'il écrit pour la prévenir, ça lui anime une colère sourde contre elle-même, contre le monde, contre l'éternité. Contre tout. Et c'est toujours le communicateur qui en prend pour son grade. Combien elle en a racheté, ces derniers temps ? Décompte inutile. Et ensuite, revient le déni, vieil ami : si je ferme les yeux, ça n'existera plus. Si seulement.
C'est différent. Très différent, cette fois. Tu as droit à des chiffres, tu as droit à des notions que tu ne lisais jamais qu'en diagonale. Œillères. Tu ne peux plus détourner les yeux. Tu l'as assez fait. À laisser ton propre clone te tuer d'étouffement durant plus d'un siècle. À l'user, jusqu'à la moelle. 14%. 9%. C'est rien, strictement plus rien. L'épée de Damoclès s'est greffé une horloge. On t'invite, très aimablement bien sûr, à te préparer à ton propre décès. Alors sois gentille et remue-toi un peu pour préparer la fête.
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Elle a compris, enfin. Mieux vaut tard que jamais, n'est-ce pas ? Si peu habituée à appeler à l'aide, elle a pris son temps pour le faire. Trop de temps, pour ceux qui ont répondu présents. Elle sait, oui. Elle s'en veut, de leur laisser si peu de temps. Obliger à travailler dans l'urgence. À les faire trop souvent attendre en prime, parce qu'elle n'est pas foutue de faire des choix pour elle-même. Parce qu'aucune solution n'est plaisante. Toutes, ont quelque chose qui la répugne. Ce petit détail qu'elle n'arrive pas à accepter. Mais si elle n'en accepte aucune, alors il n'y aura plus rien. Plus d'elle. Pas même du noir. Le rien, et c'est tout.
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« Seriez-vous prête à vivre et peut être guérir avec un risque,
non négligeable, de ne plus être vous même ? »
« Une des solutions qui pourrait exister est que vous deveniez
une I.A. immatérielle, sans corps physique, si il s'avère
qu'une intervention sur votre APM se révèle impossible. »
« Car.... entendez que quelque soit le choix, la direction que vous prendrez...
ce sera malheureusement irréversible. »
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On te met en garde, à quel point ton choix ne se fera qu'une fois. On te presse de choisir, pour ta propre vie. Comme s'ils savaient que bientôt, tu n'en serais plus capable. Ils anticipent beaucoup mieux que toi. C'est leur travail, leur rôle. Toi, tu crois devenir un rat de laboratoire, alors qu'ils font tout pour te sauver la vie. Ingrate. Déjà, la réalité commence à prendre des contours flous à tes yeux.
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Est-ce que la fin de nos vies ressemble au reste de notre existence ? Elle y pense lorsqu'il lui remet le document, avant d'en entamer la lecture. Aux portes de la mort, on lui offre un nouveau Secret sur un plateau d'argent. Mes condoléances. Plus le temps passe, plus le clone se dégrade, et plus le choix devient lourd. Difficile.
Est-ce que tu as vraiment encore le choix ? Es-tu réellement capable de vivre avec ça, maintenant ? En sachant que tu ne pourras jamais rien dire, que ça ne tient pas uniquement à une promesse ; que tu n'y peux rien. Est-ce que ça ne te rongera pas jusqu'à une autre forme de mort ? Es-tu prête à mourir pour autant, si tu te penses incapable de survivre à un secret de plus ? « Eaven. D'ici quelques jours, je serai probablement mort. » Ton cœur d'humaine hurle, mais ces mots-là ne vont jamais cesser de te laisser croire à ce qu'il y ait une bonne solution. Si tu mourrais, est-ce que par ta mort tu ne pourrais pas transmettre ces vérités ? « Vous pourrez le donner à qui le veut, mais il ne peut être ouvert et visible que par vous. » Je vous déteste, Jean. Parce que tu ne peux décemment pas détester celui qui t'as laissé ces mots. Tu veux les croire, mais accepter, ce n'est pas la même chanson. « Elles doivent fatalement se produire. Promettez-le moi. »
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___– Je vous préviens, je vous laisserai pas me clouer à la porte pour m'ouvrir comme un écureuil...
___– C'est ce qu'ils essaieront de faire, dans quelques heptades. Parce qu'une rumeur leur parviendra aux oreilles, disant qu'en vous ouvrant, ils trouveront la solution. Vous décéderez quelques cycles plus tard, chez vous, d'une forme grave de la maladie d'Imponite. Eaven Aubane, je vais me permettre de vous nommer ainsi, c'est peut-être mieux.
___– Vous... Vous pouvez pas savoir...
___– Je le sais pourtant. Et comment pourrais-je le savoir autrement qu'en ayant accès aux données du centre de thérapie.
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Panique. Cruel. Est-il possible qu'il soit le déclic de ta maladie ? Pas celle qui va tuer ton clone, mais celle qui va fracasser ton esprit contre ton crâne pendant les jours suivants ? Est-ce qu'il en a ce pouvoir, aussi ? Est-ce que tu vas le laisser faire ? ... Est-ce que tu peux ne serait-ce que l'empêcher ?
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___– D'ici quelques heptades, vous raconterez que Cyrius est venu vous parler.. En réalité, vous allez perdre subitement 4% de SV.
___– Vous pouvez pas me faire ça.
___– Quoiqu'il en soit, vous me serez redevable, évidemment.
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Tu frissonnes. Le mal s'est déjà insinué depuis longtemps. Tu as peur. Pas comme tu as eu peur de mourir sitôt arrivée en ville. Pas comme le jour où tu as vu un écureuil de plusieurs mètres de haut sortir d'un immeuble. Pas comme tu as eu peur dans la Prison Rebelle. Pas comme tu as eu peur en sortant en Ulrant. À côté de la peur qui est en train de te cisailler les tripes à la lime à ongles, tes souvenirs sont en papier trempé. Il est capable de te rapprocher de la mort. Alors, même si tu ne veux pas, tu commences à le croire, pas vrai ? Il a gagné cette bataille avant même d'entrer chez toi. C'était trop facile, d'appuyer sur ta paranoïa de mourante. Parce qu'il savait déjà. Et qu'est-ce qui te fait encore plus peur ? Le futur plus lointain qu'il t'annonce. Impensable. Même aujourd'hui, tu ne peux pas te résoudre à accepter de regarder quelqu'un mourir. C'est encore plus fort que toi.
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___– La probabilité que vous refusiez de vous plier à l'ordre est élevée.
___– Et si elle arrive ?
___– Vous serez sanctionnée. Vous vous réveillerez peut-être dehors.. En S4 ou en S8 je ne sais pas. Nexus ? Ou peut-être pendue à Galibran ?
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Est-ce que ça en vaut la peine, que le QI se donne tant de mal à te faire réchapper à la mort, si c'est pour qu'on te promette un avenir de torture où tu finiras malgré tout par mourir ? Il ne dit pas ça pour rien. Il joue avec toi. Même dans ton état, même plus ou moins lucide, tu commences à le comprendre. Ce n'est qu'un interrupteur de plus sur le mal à venir qu'il te promet, en bon devin. Il a beau dire le contraire... Tu es presque sûre qu'il est dans ta tête, pas vrai ?
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___– Mais je connais une Eaven Aubane qui ne veut pas devenir une poupée mécanique. Vous êtes lucides, là. Encore.. Plus ou moins lucide. Dès que vous serez à 5 ou 4% vous allez perdre des notions de réalité. Jusqu'à vous donner la mort. Alors, je vous dirai bien de vous suicider dès ce soir. Acceptez la fatalité tant que vous le pouvez.
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Les pas s'en vont. Il ne reste plus que le silence autour de toi. Tes murs mauves, et le silence. Et sur ta table basse, une balle. Une seule, à ses initiales. Le dernier objet qui te raccrochera à la réalité.
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Tu sais que c'est bientôt fini. D'une façon ou d'une autre. Tu n'es plus lucide que par instants, mais tu le sens. Ce n'est plus vraiment toi. Et pourtant, c'est toujours toi. Ceux qui ont de la chance t'entendent parler avec calmement lorsqu'ils viennent à ton chevet. Entre deux choses sans queue ni tête, ils t'écoutent. Tu ne te rends pas compte, que ça n'a aucun sens. Que ça ne sert à rien, te demander en guise de dernière volonté d'aller voir le Palais, un Palais effondré depuis longtemps. Qu'il n'y a aucune logique, quand tu dis que tu as mangé les trois cailloux qu'on t'a apporté aujourd'hui. Que la nuit, quand les cauchemars de Lui te ceignent la tête, tu ne sais plus très bien si c'est réel ou non, s'il est véritablement là ou si tu hallucines. Parce que les deux seraient bien possible, pas vrai ? Tu es redevenue une enfant, qui ne s'étonne plus quand ce qu'elle raconte est insensé. Alors pourquoi tu t'étonnerais de voir, dans cette pièce terrible, l'hologramme du Griffon ? C'est peut-être même pas vrai. Qu'est-ce qui te prouve que ça l'est, ou que ça ne l'est pas ? Rien. Plus rien. Plus rien n'est réel.
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___– C'est vous... ?
___– Pardonne mon retard. J'ai bien.. Des années de retard.
___– Je... Je suis désolée. De vous réveiller. Est-ce que je peux faire quelque chose ? Pour... Pour vous ?
___– Fais quelque chose pour moi. Vis, et ne te laisse pas partir. Même si, tout.. Tout semble laisser penser que c'est plus simple. Veux-tu, vraiment t'endormir ?
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Tu as envie de pleurer, en l'écoutant te parler. Dignité ou folie, ça ne coule pas. Peut-être parce que, sitôt ses mots envolés, ton esprit les a déjà mis de côté : tu ne sais déjà plus pourquoi tu as envie de pleurer. À ton seul avantage : tu n'as pas conscience de ce que tu perds aussi rapidement qu'un courant d'air. Ta première rencontre avec ce père restera à jamais floue dans ta mémoire. Ses mots apaisants ne seront jamais qu'un lointain écho qu'on n'entend qu'à moitié. La folie couplée à la paranoïa qui te prend sous ses yeux, tu ne t'en souviendras jamais. Tout ça s'envole si vite, que tu ne sauras jamais si ça a réellement existé, ou si tu as simplement rêvé.
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___– C'est pour ça... Pas vrai ? C'est lui qui vous a emmené... Il. Il vous utilise. Je suis sûre qu'il vous utilise. C'est pas possible...
___– Attend, Eaven.. Attend. Explique-moi, car je ne comprends pas.
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Toi non plus, tu ne comprends pas. Tu ne comprends plus rien. La réalité avance sans toi, et ce n'est plus la tienne. Tu ne sais plus expliquer. Tu boucles sur des idées paranoïaques. Et chaque tour d'esprit est un effondrement supplémentaire.
Les jours vont s'enchaîner, sans que tu ne les vois passer. Les visages, sans que tu ne les distingues tout à fait. Tu te sens surveillée. Épiée. Tout le temps. Est-ce que c'est parce que tu criais la nuit, ou parce que tu as essayé d'avaler la balle qu'Il t'a offerte en témoignage de sa supériorité, pensant que faute d'arme l'avoir dans le corps suffirait pour te tuer, que tu es persuadée qu'ils vont venir te chercher ? Mais qui ? Ni toi, ni ta réalité, ne tournez plus rond. Tu as l'air triste tout le temps. Tu veux rêver, et tu oublies ce que c'est l'instant d'après. Plus rien n'a de sens. Tu ne comprends plus quand les gens te parlent. Tu es ailleurs. Et ça ne te protège pas. Parce que rien ne peut te protéger, pas vrai ? Et les bouts de souvenirs que ta mémoire t'envoie sont des mercenaires. « Incurable » ; « Encoffrement » ; « Crache » ; « Solution » ; « Donne moi cette balle. Tout de suite ! » ; « Quand est-ce que ça s'arrête ? » ; « Je sais pas, petit cœur ».
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Tu souris à l'Ébène quand ses mots te rassurent. Deux secondes plus tard, tes doigts serrent soudainement les accoudoirs du fauteuil roulant sur lequel elle t'emmène. Sans raison. Est-ce que tu as vu quelque chose ? Une ombre a pris vie ? Ta balle est bien cachée. Comme certains cachent des capsules de cyanure, comme si c'était ta dernière solution. C'est l'heure. Tu aimerais les remercier. Pour ce qu'ils ont fait pour toi. Mais tes mots ne suivent pas assez vite tes pensées, et elles, fracturées, ne durent jamais assez longtemps pour leur donner consistance. Et tu sais l'ironie ? Aujourd'hui c'est l'Honora. Jean t'emmène.
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___– Vous allez prendre mes mesures... ?
___– Non, je vous embarque avec moi !
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Jean t'explique. Transférer ta personnalité dans un corps d'androïde. Que tu as préparé. Que tu as préparé ?
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___– Moi, j'ai préparé le corps d'androïde...?
___– Euh bah.. On en a un quoi ? Si c'est pas vous, c'est quelqu'un.
___– On l'a préparé pour moi ? C'est gentil...
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Tout ce que tu as à faire, c'est entrer dans cette cuve préparée pour toi, elle aussi. Un instant, tu y penses : tant d'énergie, humaine ou non, dépensée rien que pour toi. Est-ce que c'est pas injuste ? Est-ce que c'est pas exagéré ? Comme le reste, ça s'envole. Tu n'as pas vu sur le corps dont tu vas prendre possession. Mais te le verras vite. Tu ne sais pas ce que deviendras ton corps actuel. On te dit simplement qu'il sera gardé au Centre. Étends-toi là-dedans, vas-y. C'est normal, s'il referme la cuve. N'aies pas peur. Tu ne peux plus reculer. C'est trop tard. À tous les niveaux. Et soudain, tu le vois au côté de Jean. Il te sourit. Il te rassure, sans mot. Et puis, c'est fini. Un flash dans ta cuve. Jean avait raison. Pour toi, ça ne dure qu'une seconde. Tu étais dans une cuve ; tu es dans un lit. Tu es dans un corps. Pas celui que tu habitais la seconde précédente. Mais tu es consciente. Affreusement consciente, soudainement. Consciente de la réalité ; consciente de ce corps qui n'est pas le tien. Tu es en vie.
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___– Alors dites-moi ce que vous savez. Z'êtes qui ? Nom et ID !
___– Eaven. Léthé. ... Wils. Aubane ? ID. ID... Ca commence par un quatre. Et ça finit par un cinq. Je crois.
___– Il me faut votre ID.. Pour confirmer votre identité. Faites un effort .. !
___– Mais personne connaît son ID par coeur, putain ! Quatre. Neuf. Quatre... Cinq, cinq ?
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C'est bien toi. Ce n'est pas tout à fait toi. Ce paradoxe te suivra encore longtemps. Est-ce que ce serait un reliquat du mal d'Imponite ? Une simple réaction à la difficulté d'acceptation de soi ? C'est désagréable, ce décalage : un corps vierge de vie habité par un esprit qui a trop vu.
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___– Je ne veux pas. Voir leurs regards.
___– Tu es déjà quelqu'un de spécial. Les regards ne sont pas éternels.
___– Je n'ai jamais voulu. Et s'ils ne me reconnaissaient pas ?
___– Je te reconnais moi, mon enfant.
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Durant un instant, ça suffit à la rassurer. Assez pour sortir du Centre de Clonage accompagnée, pour retrouver ceux qui ont réfléchi quand elle ne le pouvait plus. Ceux qui ont trouvé à sa place. Ceux qui, s'ils n'ont certes pas été aux commandes de son encoffrement, l'ont permis. Pour la sauver. C'est terminé. Ils la raccompagnent chez l'Ébène : elle a beau être sauvée de la mort, revenir à la réalité est un peu trop soudain. Et partout, ils lui disent de se reposer. Il est temps. Du repos.
.Ce sera ton excuse, pour ne plus te montrer aux regards des autres pendant si longtemps.
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Et quand elle se laisse enfin tomber, prête à plonger dans des méandres inconnus qu'elle n'appellera jamais plus sommeil, c'est consciente que la pensée la traverse : elle tient la balle dans son poing.
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Jean, Réceptionniste du CdC - 7/341.3 : « Seuil de viabilité - critique »
Salut !
Je reviens à la charge encore.. Et pas faute de vous prévenir.
Votre SV est à 14% aujourd'hui, d'ici 10 jours, donc d'ici l'an prochain, vous serez à 9% soit une chute critique de 5%.
Dès l'an prochain et d'après les medsim vous perdrez 1% de viabilité par heptade.
On vous invite à vous préparer à votre décès. Et de nous communiquer votre testament et un exécuteur testamentaire.
Je reviens à la charge encore.. Et pas faute de vous prévenir.
Votre SV est à 14% aujourd'hui, d'ici 10 jours, donc d'ici l'an prochain, vous serez à 9% soit une chute critique de 5%.
Dès l'an prochain et d'après les medsim vous perdrez 1% de viabilité par heptade.
On vous invite à vous préparer à votre décès. Et de nous communiquer votre testament et un exécuteur testamentaire.
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14%
Un nouveau communicateur bon pour la casse, comme tous les précédents. Balancé contre son mur à chacune des réceptions. Ce n'est pas le premier message qu'elle reçoit. Ce ne sera pas le dernier. C'est toujours le même manège : chaque fois qu'il écrit pour la prévenir, ça lui anime une colère sourde contre elle-même, contre le monde, contre l'éternité. Contre tout. Et c'est toujours le communicateur qui en prend pour son grade. Combien elle en a racheté, ces derniers temps ? Décompte inutile. Et ensuite, revient le déni, vieil ami : si je ferme les yeux, ça n'existera plus. Si seulement.
C'est différent. Très différent, cette fois. Tu as droit à des chiffres, tu as droit à des notions que tu ne lisais jamais qu'en diagonale. Œillères. Tu ne peux plus détourner les yeux. Tu l'as assez fait. À laisser ton propre clone te tuer d'étouffement durant plus d'un siècle. À l'user, jusqu'à la moelle. 14%. 9%. C'est rien, strictement plus rien. L'épée de Damoclès s'est greffé une horloge. On t'invite, très aimablement bien sûr, à te préparer à ton propre décès. Alors sois gentille et remue-toi un peu pour préparer la fête.
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13%
Elle a compris, enfin. Mieux vaut tard que jamais, n'est-ce pas ? Si peu habituée à appeler à l'aide, elle a pris son temps pour le faire. Trop de temps, pour ceux qui ont répondu présents. Elle sait, oui. Elle s'en veut, de leur laisser si peu de temps. Obliger à travailler dans l'urgence. À les faire trop souvent attendre en prime, parce qu'elle n'est pas foutue de faire des choix pour elle-même. Parce qu'aucune solution n'est plaisante. Toutes, ont quelque chose qui la répugne. Ce petit détail qu'elle n'arrive pas à accepter. Mais si elle n'en accepte aucune, alors il n'y aura plus rien. Plus d'elle. Pas même du noir. Le rien, et c'est tout.
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« Seriez-vous prête à vivre et peut être guérir avec un risque,
non négligeable, de ne plus être vous même ? »
« Cette opération vous tuera... vous... Eaven...
définitivement et sans retour possible.
Vous offrirez votre conscience pour que la suivante vive avec votre corps.
C'est une mise à mort, pour revivre...
Il n'y aura pas d'amnésie ou autre... vous serez effacée. »
définitivement et sans retour possible.
Vous offrirez votre conscience pour que la suivante vive avec votre corps.
C'est une mise à mort, pour revivre...
Il n'y aura pas d'amnésie ou autre... vous serez effacée. »
« Une des solutions qui pourrait exister est que vous deveniez
une I.A. immatérielle, sans corps physique, si il s'avère
qu'une intervention sur votre APM se révèle impossible. »
« C'est la deuxième solution que nous vous apportons.
En gros... et ça pour l'éternité...
votre APM sera transféré dans un corps d'androide...
comme une sorte de sarcophage, caisson de survie. »
En gros... et ça pour l'éternité...
votre APM sera transféré dans un corps d'androide...
comme une sorte de sarcophage, caisson de survie. »
ce sera malheureusement irréversible. »
On te met en garde, à quel point ton choix ne se fera qu'une fois. On te presse de choisir, pour ta propre vie. Comme s'ils savaient que bientôt, tu n'en serais plus capable. Ils anticipent beaucoup mieux que toi. C'est leur travail, leur rôle. Toi, tu crois devenir un rat de laboratoire, alors qu'ils font tout pour te sauver la vie. Ingrate. Déjà, la réalité commence à prendre des contours flous à tes yeux.
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9%
Mais euh, juste, est ce que je dois transmettre un message à l'auteur ? J'lui dit juste que vous allez bien hein ?
Transmettre un message à l'auteur ? Vous vous foutez de moi ?
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Est-ce que la fin de nos vies ressemble au reste de notre existence ? Elle y pense lorsqu'il lui remet le document, avant d'en entamer la lecture. Aux portes de la mort, on lui offre un nouveau Secret sur un plateau d'argent. Mes condoléances. Plus le temps passe, plus le clone se dégrade, et plus le choix devient lourd. Difficile.
Est-ce que tu as vraiment encore le choix ? Es-tu réellement capable de vivre avec ça, maintenant ? En sachant que tu ne pourras jamais rien dire, que ça ne tient pas uniquement à une promesse ; que tu n'y peux rien. Est-ce que ça ne te rongera pas jusqu'à une autre forme de mort ? Es-tu prête à mourir pour autant, si tu te penses incapable de survivre à un secret de plus ? « Eaven. D'ici quelques jours, je serai probablement mort. » Ton cœur d'humaine hurle, mais ces mots-là ne vont jamais cesser de te laisser croire à ce qu'il y ait une bonne solution. Si tu mourrais, est-ce que par ta mort tu ne pourrais pas transmettre ces vérités ? « Vous pourrez le donner à qui le veut, mais il ne peut être ouvert et visible que par vous. » Je vous déteste, Jean. Parce que tu ne peux décemment pas détester celui qui t'as laissé ces mots. Tu veux les croire, mais accepter, ce n'est pas la même chanson. « Elles doivent fatalement se produire. Promettez-le moi. »
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8%
Autrement, y'a [quelqu'un] qui souhaite vous rencontrer.
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___– Je vous préviens, je vous laisserai pas me clouer à la porte pour m'ouvrir comme un écureuil...
___– C'est ce qu'ils essaieront de faire, dans quelques heptades. Parce qu'une rumeur leur parviendra aux oreilles, disant qu'en vous ouvrant, ils trouveront la solution. Vous décéderez quelques cycles plus tard, chez vous, d'une forme grave de la maladie d'Imponite. Eaven Aubane, je vais me permettre de vous nommer ainsi, c'est peut-être mieux.
___– Vous... Vous pouvez pas savoir...
___– Je le sais pourtant. Et comment pourrais-je le savoir autrement qu'en ayant accès aux données du centre de thérapie.
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Panique. Cruel. Est-il possible qu'il soit le déclic de ta maladie ? Pas celle qui va tuer ton clone, mais celle qui va fracasser ton esprit contre ton crâne pendant les jours suivants ? Est-ce qu'il en a ce pouvoir, aussi ? Est-ce que tu vas le laisser faire ? ... Est-ce que tu peux ne serait-ce que l'empêcher ?
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___– D'ici quelques heptades, vous raconterez que Cyrius est venu vous parler.. En réalité, vous allez perdre subitement 4% de SV.
___– Vous pouvez pas me faire ça.
___– Quoiqu'il en soit, vous me serez redevable, évidemment.
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Tu frissonnes. Le mal s'est déjà insinué depuis longtemps. Tu as peur. Pas comme tu as eu peur de mourir sitôt arrivée en ville. Pas comme le jour où tu as vu un écureuil de plusieurs mètres de haut sortir d'un immeuble. Pas comme tu as eu peur dans la Prison Rebelle. Pas comme tu as eu peur en sortant en Ulrant. À côté de la peur qui est en train de te cisailler les tripes à la lime à ongles, tes souvenirs sont en papier trempé. Il est capable de te rapprocher de la mort. Alors, même si tu ne veux pas, tu commences à le croire, pas vrai ? Il a gagné cette bataille avant même d'entrer chez toi. C'était trop facile, d'appuyer sur ta paranoïa de mourante. Parce qu'il savait déjà. Et qu'est-ce qui te fait encore plus peur ? Le futur plus lointain qu'il t'annonce. Impensable. Même aujourd'hui, tu ne peux pas te résoudre à accepter de regarder quelqu'un mourir. C'est encore plus fort que toi.
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___– La probabilité que vous refusiez de vous plier à l'ordre est élevée.
___– Et si elle arrive ?
___– Vous serez sanctionnée. Vous vous réveillerez peut-être dehors.. En S4 ou en S8 je ne sais pas. Nexus ? Ou peut-être pendue à Galibran ?
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Est-ce que ça en vaut la peine, que le QI se donne tant de mal à te faire réchapper à la mort, si c'est pour qu'on te promette un avenir de torture où tu finiras malgré tout par mourir ? Il ne dit pas ça pour rien. Il joue avec toi. Même dans ton état, même plus ou moins lucide, tu commences à le comprendre. Ce n'est qu'un interrupteur de plus sur le mal à venir qu'il te promet, en bon devin. Il a beau dire le contraire... Tu es presque sûre qu'il est dans ta tête, pas vrai ?
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___– Mais je connais une Eaven Aubane qui ne veut pas devenir une poupée mécanique. Vous êtes lucides, là. Encore.. Plus ou moins lucide. Dès que vous serez à 5 ou 4% vous allez perdre des notions de réalité. Jusqu'à vous donner la mort. Alors, je vous dirai bien de vous suicider dès ce soir. Acceptez la fatalité tant que vous le pouvez.
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Les pas s'en vont. Il ne reste plus que le silence autour de toi. Tes murs mauves, et le silence. Et sur ta table basse, une balle. Une seule, à ses initiales. Le dernier objet qui te raccrochera à la réalité.
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4%
Tu sais que c'est bientôt fini. D'une façon ou d'une autre. Tu n'es plus lucide que par instants, mais tu le sens. Ce n'est plus vraiment toi. Et pourtant, c'est toujours toi. Ceux qui ont de la chance t'entendent parler avec calmement lorsqu'ils viennent à ton chevet. Entre deux choses sans queue ni tête, ils t'écoutent. Tu ne te rends pas compte, que ça n'a aucun sens. Que ça ne sert à rien, te demander en guise de dernière volonté d'aller voir le Palais, un Palais effondré depuis longtemps. Qu'il n'y a aucune logique, quand tu dis que tu as mangé les trois cailloux qu'on t'a apporté aujourd'hui. Que la nuit, quand les cauchemars de Lui te ceignent la tête, tu ne sais plus très bien si c'est réel ou non, s'il est véritablement là ou si tu hallucines. Parce que les deux seraient bien possible, pas vrai ? Tu es redevenue une enfant, qui ne s'étonne plus quand ce qu'elle raconte est insensé. Alors pourquoi tu t'étonnerais de voir, dans cette pièce terrible, l'hologramme du Griffon ? C'est peut-être même pas vrai. Qu'est-ce qui te prouve que ça l'est, ou que ça ne l'est pas ? Rien. Plus rien. Plus rien n'est réel.
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___– C'est vous... ?
___– Pardonne mon retard. J'ai bien.. Des années de retard.
___– Je... Je suis désolée. De vous réveiller. Est-ce que je peux faire quelque chose ? Pour... Pour vous ?
___– Fais quelque chose pour moi. Vis, et ne te laisse pas partir. Même si, tout.. Tout semble laisser penser que c'est plus simple. Veux-tu, vraiment t'endormir ?
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Tu as envie de pleurer, en l'écoutant te parler. Dignité ou folie, ça ne coule pas. Peut-être parce que, sitôt ses mots envolés, ton esprit les a déjà mis de côté : tu ne sais déjà plus pourquoi tu as envie de pleurer. À ton seul avantage : tu n'as pas conscience de ce que tu perds aussi rapidement qu'un courant d'air. Ta première rencontre avec ce père restera à jamais floue dans ta mémoire. Ses mots apaisants ne seront jamais qu'un lointain écho qu'on n'entend qu'à moitié. La folie couplée à la paranoïa qui te prend sous ses yeux, tu ne t'en souviendras jamais. Tout ça s'envole si vite, que tu ne sauras jamais si ça a réellement existé, ou si tu as simplement rêvé.
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___– C'est pour ça... Pas vrai ? C'est lui qui vous a emmené... Il. Il vous utilise. Je suis sûre qu'il vous utilise. C'est pas possible...
___– Attend, Eaven.. Attend. Explique-moi, car je ne comprends pas.
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Toi non plus, tu ne comprends pas. Tu ne comprends plus rien. La réalité avance sans toi, et ce n'est plus la tienne. Tu ne sais plus expliquer. Tu boucles sur des idées paranoïaques. Et chaque tour d'esprit est un effondrement supplémentaire.
Les jours vont s'enchaîner, sans que tu ne les vois passer. Les visages, sans que tu ne les distingues tout à fait. Tu te sens surveillée. Épiée. Tout le temps. Est-ce que c'est parce que tu criais la nuit, ou parce que tu as essayé d'avaler la balle qu'Il t'a offerte en témoignage de sa supériorité, pensant que faute d'arme l'avoir dans le corps suffirait pour te tuer, que tu es persuadée qu'ils vont venir te chercher ? Mais qui ? Ni toi, ni ta réalité, ne tournez plus rond. Tu as l'air triste tout le temps. Tu veux rêver, et tu oublies ce que c'est l'instant d'après. Plus rien n'a de sens. Tu ne comprends plus quand les gens te parlent. Tu es ailleurs. Et ça ne te protège pas. Parce que rien ne peut te protéger, pas vrai ? Et les bouts de souvenirs que ta mémoire t'envoie sont des mercenaires. « Incurable » ; « Encoffrement » ; « Crache » ; « Solution » ; « Donne moi cette balle. Tout de suite ! » ; « Quand est-ce que ça s'arrête ? » ; « Je sais pas, petit cœur ».
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Tu souris à l'Ébène quand ses mots te rassurent. Deux secondes plus tard, tes doigts serrent soudainement les accoudoirs du fauteuil roulant sur lequel elle t'emmène. Sans raison. Est-ce que tu as vu quelque chose ? Une ombre a pris vie ? Ta balle est bien cachée. Comme certains cachent des capsules de cyanure, comme si c'était ta dernière solution. C'est l'heure. Tu aimerais les remercier. Pour ce qu'ils ont fait pour toi. Mais tes mots ne suivent pas assez vite tes pensées, et elles, fracturées, ne durent jamais assez longtemps pour leur donner consistance. Et tu sais l'ironie ? Aujourd'hui c'est l'Honora. Jean t'emmène.
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___– Vous allez prendre mes mesures... ?
___– Non, je vous embarque avec moi !
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Jean t'explique. Transférer ta personnalité dans un corps d'androïde. Que tu as préparé. Que tu as préparé ?
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___– Moi, j'ai préparé le corps d'androïde...?
___– Euh bah.. On en a un quoi ? Si c'est pas vous, c'est quelqu'un.
___– On l'a préparé pour moi ? C'est gentil...
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Tout ce que tu as à faire, c'est entrer dans cette cuve préparée pour toi, elle aussi. Un instant, tu y penses : tant d'énergie, humaine ou non, dépensée rien que pour toi. Est-ce que c'est pas injuste ? Est-ce que c'est pas exagéré ? Comme le reste, ça s'envole. Tu n'as pas vu sur le corps dont tu vas prendre possession. Mais te le verras vite. Tu ne sais pas ce que deviendras ton corps actuel. On te dit simplement qu'il sera gardé au Centre. Étends-toi là-dedans, vas-y. C'est normal, s'il referme la cuve. N'aies pas peur. Tu ne peux plus reculer. C'est trop tard. À tous les niveaux. Et soudain, tu le vois au côté de Jean. Il te sourit. Il te rassure, sans mot. Et puis, c'est fini. Un flash dans ta cuve. Jean avait raison. Pour toi, ça ne dure qu'une seconde. Tu étais dans une cuve ; tu es dans un lit. Tu es dans un corps. Pas celui que tu habitais la seconde précédente. Mais tu es consciente. Affreusement consciente, soudainement. Consciente de la réalité ; consciente de ce corps qui n'est pas le tien. Tu es en vie.
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___– Alors dites-moi ce que vous savez. Z'êtes qui ? Nom et ID !
___– Eaven. Léthé. ... Wils. Aubane ? ID. ID... Ca commence par un quatre. Et ça finit par un cinq. Je crois.
___– Il me faut votre ID.. Pour confirmer votre identité. Faites un effort .. !
___– Mais personne connaît son ID par coeur, putain ! Quatre. Neuf. Quatre... Cinq, cinq ?
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C'est bien toi. Ce n'est pas tout à fait toi. Ce paradoxe te suivra encore longtemps. Est-ce que ce serait un reliquat du mal d'Imponite ? Une simple réaction à la difficulté d'acceptation de soi ? C'est désagréable, ce décalage : un corps vierge de vie habité par un esprit qui a trop vu.
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___– Je ne veux pas. Voir leurs regards.
___– Tu es déjà quelqu'un de spécial. Les regards ne sont pas éternels.
___– Je n'ai jamais voulu. Et s'ils ne me reconnaissaient pas ?
___– Je te reconnais moi, mon enfant.
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Durant un instant, ça suffit à la rassurer. Assez pour sortir du Centre de Clonage accompagnée, pour retrouver ceux qui ont réfléchi quand elle ne le pouvait plus. Ceux qui ont trouvé à sa place. Ceux qui, s'ils n'ont certes pas été aux commandes de son encoffrement, l'ont permis. Pour la sauver. C'est terminé. Ils la raccompagnent chez l'Ébène : elle a beau être sauvée de la mort, revenir à la réalité est un peu trop soudain. Et partout, ils lui disent de se reposer. Il est temps. Du repos.
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Et quand elle se laisse enfin tomber, prête à plonger dans des méandres inconnus qu'elle n'appellera jamais plus sommeil, c'est consciente que la pensée la traverse : elle tient la balle dans son poing.
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Informations sur l'article
Verre brisé
19 Avril 2025
262√
28☆
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◊ Commentaires
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Vincent (22☆) Le 20 Avril 2025
[Un plaisir à lire *]