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EDC de Archimède~46401

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Éternel

Sufjan Stevens - Death with Dignity
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Par bien des aspects, le temps m'était à nouveau complice, et il m'était à nouveau Némésis. Insouciant, je m'étais une nouvelle fois laissé entraîner dans ses traîtres méandres, borné de mon enthousiasme inexpugnable ; sans lendemain, sans jadis, Maintenant s'écoulait paisiblement, indifférent aux hauts et bas jalonnant nos existences. Dans un éternel recommencement, amis et famille valsaient, tantôt à mes côtés, tantôt dans le néant, tel que j'aurais dû m'y attendre, moi qui riais naguère de ces timorés n'osant plus se lier à quiconque. Me voilà à nouveau à me noyer entre les pages jaunies et l'encre mélodramatique de ma conscience, m’apitoyer sur mon sort comme j’ai vu tant d’autres le faire. Ai-je réellement envie de lancer une nouvelle fois la machine, aux mécaniques si bien huilées, pour repartir ainsi, un nouveau cycle à gagner et perdre frères et sœurs comme s'ils n’étaient que vulgaire marchandises gagnées à une partie de cartes ? Je l’ignore. Je ne suis pas une chimère hors du temps ; le ressac des joies et des peines érodait peu à peu ma volonté, au fil des jours et des années. J’avais grand besoin de repos.
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Owen, parti sans un mot, silencieux et discret, comme une ombre dans le smog. Sa silhouette s’est effacée, grise sur un fond désespérément gris. Inattendu et cruel, son départ atténua le monde ; notre binôme n’était plus. N’en déplaise aux clichés, nous étions au-delà des mots, tant que l’on nous prenait çà et là pour des amants ; je lui avais causé des torts tant qu’il m’en avait infligé, mais lui seul sût porter l’estoc final. Son corps et son âme, usés par le smog, gagnés par la lassitude, s’étaient éteints comme une flamme dans un courant d’air, consumés par les âpretés de la cité. Ce que j'aurais donné pour déverser ma bile sur les trois quarts de la population Orion à ses côtés à nouveau, ou pour lui déblatérer des concepts philosophiques de comptoir improvisés sur l’instant dépassait l’imaginable. Le lit qu’il a laissé, au 816 rue du Deanétique, aussi soigné et sans plis que son trench-coat, est resté intact et aussi vide que la lacune qu’il a laissé en moi. On m’a arraché un œil, un poumon, depuis que l’humain désabusé n’est plus là pour grommeler à mes côtés ; chaque joie que je ne lui partage plus en semble ternie.
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Quant à Cassandra… Elle m’a sauvé par tant d’aspects que je ne pourrais les détailler tous. Je n’ai jamais aimé ce genre d’hommages mortuaires, mais je lui dois bien ça ; le secteur entier lui doit cela. Je n’ai jamais été très bon conteur, encore moins de cette manière, pour de si graves sujets ; les essais écrits de ma jeunesse, qui me libéraient alors, me font aujourd’hui rougir de honte. Je ferais de mon mieux, modestement. Une fleur en héritage ; par un procédé éculé, je pourrais l’y comparer, mais ce serait en quelque sorte un mensonge. Sinon sa fragilité, elle avait sa grâce, sa douceur. Mais contrairement au végétal qu’elle laissât sur ma table en guise d’adieu, elle était mue d’une vie indescriptible, pétillante et contagieuse dans son énergie et sa joie. En quelques jours, son existence accapara toute la mienne ; être père n’est pas rôle facile, mais il est gratifiant. Son esprit critique et son opinion, je tentai d’affûter, sans pour autant l’envenimer de mes propres pensées : je la voulais indépendante, non l’ombre de moi-même. Elle ramena en moi les sottes folies que j’aimais à improviser dans ma jeunesse ; ainsi, à ses côtés, et dans la même journée, je m’assommai à deux fois sur le sol de l’école des nouveaux arrivants, offrant mon sang écarlate à la moquette terne du lieu.
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De mon passé, je la tins éloigné : jamais je n’avais moi-même éprouvé le désir de l’explorer, tandis qu’elle s’efforçait d’en apprendre d’avantage sur ma personne ; elle s’était également mis en tête de me trouver compagne, moi qui n’avait plus jamais tenté de pareille ineptie depuis bien des années, m’emmenant dans moult bars pour me mettre en contact avec diverses demoiselles. Cela ne prit jamais, ou cela n’en eût pas le temps. L’amour causa sa perte, en une ultime leçon que j’avais moi-même déjà apprise à mes dépens. La culpabilité la rongeait sous son masque de sérénité. Que faire alors, pour empêcher une telle issue ? Il est impossible de forcer quelqu’un à être heureux. Mon impuissance n’avait d’égale que ma lassitude.
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Le temps n’existe pas. Perdus dans un infini, dix, vingt, mille ans paraissent une seconde. A l’inverse de mon frère, ma fille sera bientôt de retour. Je l’attendrai de pied ferme, lâchement sur ses pas.
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Merci pour le jeu partagé, et à bientôt!

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Élucubrations journalistiques
26 Avril 2015
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