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EDC de Archimède~46401

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Spectre

Le sommeil m’emmène et me prend, au fond d’un canapé rouge, d’un lit bleu, au fond des plumes qui m’ont vu grandir, vieillir. Le temps défile comme les pages que j’écris, lorsqu’il pleut, lorsque le smog est trop âpre, dehors. La commode, le sofa, la bibliothèque emplie de souvenirs m’observent, sans dire un mot, et je souffle doucement, dans l’air tiède de ce petit appartement. Les tourments d’hier ne sont plus, ils sont partis ailleurs, un temps ; ils reviendront alors, sans doute, mais je les attends. Il n’y a plus que le silence, ou la musique qui emplit l’air, le fait vibrer, et je danserais volontiers sur la moquette grise, que les poils d’icelle me chatouillent les orteils, très doucement. Ma chevelure noire s’étale sur l’oreiller blanc, les mots nuit sur une page jaunie ; le temps maussade glisse sur mon humeur douce, ensommeillée.

Je suis seul, mais je ne le regrette pas. Je n’ai aucune envie d’expliquer quoi que ce soit, à quiconque. La compagnie des meubles me suffisent ; le comptoir et son unique siège, la télévision depuis si longtemps éteinte. Je me complais dans la tiédeur, dans mes sentiments profonds, physiques et limpides, pour laisser dehors, dans l’air nauséabond, toutes ces pensées absconses qui ont pu m’habiter. A chaque jour ses rituels, ses habitudes. Administration, bureaucratie, sommeil, contacts, comptoirs, canapés, tout s’enchaîne ; je suis serein. Le quotidien ne m’effraie plus, la lassitude est vaincue, l’absurde occis pour aujourd’hui.
Un jour relirais-je sans doute ces mots, las et abattu, en m’interrogeant alors sur ce qui provoquât ce sentiment, cet impensable triomphe. J’évite d’y penser seulement, j’évite toute question et toute réponse. Le temps n’existe pas, et je vis dedans, dès à présent, je me sens accompli, comme si je saisissais soudain l’ampleur de ce que je répète depuis vingt ans. Mes aspirations se résument à un radiateur irradiant, à une chaude étoffe à passer sur mes épaules grêles ; mes envies, à une éternité comme aujourd’hui ; mes desseins, au moelleux du familier intérieur. Mon esprit est comme une guimauve ramollie de chaleur.
Mes souvenirs ont quitté leurs draps blancs, et je les regarde dans les yeux, je les vois flous ; peut-être ne seront-ils plus jamais tout à fait tangibles à nouveau ; peut-être est-ce mieux ainsi. Le sommeil me happe comme le temps attrape d’autres, et je redéfinis la paresse. Aujourd’hui ne me saisit l’angoisse, ni l’absurde, ni plus rien ; je relis, visionne des vieux documents, et sourit à leur évocation, je jonche la table de vieux papiers, le synthé-bois se noie sous le passé comme je m’en gorge. Ces fantômes me sourient, eux aussi, tandis qu’ils s’estompent à demi. Ma mémoire s’encre dans mon carnet.

Ce sentiment, je l’accouche ici, du mieux que j’y parviens. Un jour, alors, je saurai comment tout était si simple, comment tout pourrait l’être, toujours. Il sera encore temps de changer de cap, ce jour, d’effacer tout le superflu pour repartir de rien ou presque.

Car rien n’est irréversible, rien ne s’achève réellement ; il vit toujours, pour toujours, partout autour. Dans ces feuilles jonchant là-bas, dans ces canapés qui en virent tant passer, dans ce carnet, dans les bâtiments, dans ce bar, au sud, dans l’odeur du cafey et des trench-coat, dans les couleurs électriques. Dans le smog. Dans la ville, dans l’âme de chacun.
Il est là.

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Élucubrations journalistiques
02 Février 2016
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