EDC de 39094

La douleur cisaille ma poitrine. Mon regard parsemé d’éclats bleutés se pose péniblement sur le canon qui laisse échapper son souffle morbide. Ta poigne ne frémit même pas…



[Quelques cyclominutes plus tôt…]
Un éventail de lumière filtre d’une porte entrouverte. Je traverse l’entrée plongée dans la pénombre, longe le petit corridor vers la source. J’entends encore le son caractéristique du verrouillage de la porte. J’n’ai pas fait attention sur le coup. J’voulais… juste te voir.



L’écho de chaque projectile me blesse autant que le métal brûlant qui déchire ma chair. Je n’avais… pas grand-chose à répondre. Ma main glisse contre la porte, mes genoux heurtent le sol, bientôt suivie de mon front. Ma paume dérape sur le revêtement anormalement visqueux. Les bottes à piques m’enjambent, me laissent me vider doucement.

[C - 11 cyclominutes…]

L’overbord grésille, métal poli harcelé par les émanations radioactives. J’dois être le premier crétin à survoler cette gueule abyssale. Je balaye les silhouettes des immeubles du Sud qui se découpent dans les halos des projecteurs du Mur. Tu es sans doute dans l’un d’eux. La bouteille quitte mes lèvres qui se muent dans un rictus. J’n’ai jamais aimé le skiwi… Mes doigts se détendent doucement, laissent l’ambré chuter dans le gouffre. Bientôt ça sera mon tour. Je sais que d’ici quelques minutes, le coupleur de phase s’éteindra, fondu par les radiations. L’IDC pulse dans mes veines, me ronge de l’intérieur, altéré par l’alcool. Comme depuis quelques jours déjà. Pour oublier. Pour tenir le coup… Tu resteras l’Unique. Le Souffle chaud. Je frémis à la première brise qui érafle mon cou, penche la tête au souvenir, yeux clos.

[C - 4 cyclominutes…]
L’aitl s’élève à hauteur de visage, barbe de trois jours, un peu négligée. Le voyant de la cam’ se reflète à peine sur sa peau. Le téléchargement sur un espace matriciel se fait en direct.

« M’oui… M’Ion… [soupire] T’as toujours été là pour moi. Moi ? Je n’le serais bientôt plus. J’ai… merdé. Sur tous les plans. J’aurais dû te laisser. Ecouter Loy’ et te laisser profiter de ce… de cette nouvelle vie. Tu as tellement souffert Nemy… Tu n’peux pas savoir combien je m’en veux. [regard qui se baisse] J’me suis abaissé à son niveau. Et… c’est dire combien j’le déteste. J’n’ai pas pressé la gâchette d’un eagle. Ça, c’est toi qui l’a fait. [rire nerveux, prunelles scintillantes de nouveau ancrées dans l’objectif] J’t’en veux pas hein… J’voulais pas… J’me donnerai pas d’excuses. L’IDC… J’ai failli tout plaquer. Disparaître de tes cercles. Professionnels. Sociaux. Mais… j’ai ce truc… ce besoin de te sentir près de moi. Ça va te paraître niais ou… ou sonner faux. [semble regarder quelque chose à son poignet, se recentre sur l’appareil] Il n’me reste plus beaucoup de temps… [se passe une main sur sa tignasse] J’t’avais fait une promesse… que… sans toi, j’s’rais rien. J’pensais pas qu’un jour on en arriverai là. Je te revois encore, à la sortie de l’hôpital… [tousse, un léger filet de sang s’épanchant de la commissure de ses lèvres] »

[C - 1 cyclominute…]
La vidéo reprend, visage pâle, regard brillant. La vidéo est partiellement altérée de parasites. Le plan bouge légèrement de son visage, une rapide vue d'un paquet vermeil, un pouce sur le relief. L'objectif suit la bloody jusqu'à ses lèvres, sature brièvement sous la flamme du briquet.

« Hmm c’rien… juste quelques radiations… J’ai su dès le premier regard. Le souffle a juste confirmé… [fronce le nez, laisse échapper un rond de fumée] J’n’sais même pas pourquoi j’te dis ça. Désolé d’avoir croisé ta route. De… d’avoir tout foiré. [le ronronnement de l’overboard cesse, le fond de la cité laisse place à une noirceur malsaine]Je t’…"

L’aitl se sépare de sa main, violemment secoué par quelques bourrasques. L’écran se fendille sous les radiations. On peut apercevoir une dernière fois le corps d’Ion avant que le processus grille et ne coupe l’enregistrement qui ne sera sans doute jamais lu…