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[05] Marche de l'Humanité

Entrée A5 | Galibran, dortoir du complexe des Goradryn - 7/311.4


Tout le monde dort. Enfin ! La journée a été infernale et, pour la première fois depuis notre départ d'Orion, j'ai le sentiment amer que nous piétinons dans la vase, englués comme ces hostiles petits insectes qui vrombissent avidement autour des sangs chauds, prolifèrent dans les détours les plus humides de Galibran, et se perdent contre les tiges suintantes de sucs d'autant d'exotiques plantes colorées, ainsi capturés et condamnés à subir, vivants, le lent supplice de la dissolution. Enfer. C'est exactement la situation dans laquelle nous nous enlisons cette nuit; ainsi ensevelis à plusieurs dizaines de mètre sous terre, nous nous débattons pour refuser la mort -au moins encore un peu-, cependant que le Complexe des Goradryn digère nos chairs vives. J'enrage. Autour de moi, mes compagnons ont su saisir l'opportunité rare en découvrant ce dortoir de fortune, désormais nôtre; je ne trouve toutefois pas le sommeil. La colère, la frustration, l'abattement, la tension... Ce redoutable mélange me prive d'un repos salvateur et me pousse a arpenter, sous le prétexte bien commode d'un tour de garde que je multiplierai cette nuit, ces étroits couloirs nauséabonds aux sinistres airs de charniers macabres, hantés par d'incertains ricanements fantomatiques, lointains, diffus. Kepler, suis-je en train de perdre l'esprit ?

La nuit précédente a été suffocante, quoique pour la première fois depuis notre périple dans le secteur 06, nous avons pu dormir sans assistance respiratoire, protégés par le sas hermétiquement clos qui marquait l'entrée de ce fief. Les râles souffreteux de Djoogo ont battus la mesure dans le petit poste de contrôle que notre médecin avait, poussé par la nécessité, transformé en hôpital de campagne, et il ne m'a pas été rare, alors que j'ouvrais prudemment un œil entre deux phases de sommeil, de croiser le regard proche de Texhany, deux tapis lumineux alourdis de fatigue, luisants dans l'obscurité, rivés avec angoisse sur le thorax enfoncé de notre protecteur gnoll. A la demande de Sindavia, je m'étais épargné -avec un certain malaise- les veilles de sécurité durant la nuit, et me sentais, a défaut de l'esprit, sain de corps lorsque les premiers cycles du jour ont sonnés à mon bracelet. Nous pouvions percevoir, grondement lointain comme rebondissant contre les parois de cette infecte panse souterraine, les chants distordus des sentinelles qui, censément, patrouillaient aux alentours de la trappe d'entrée. En un sens, j'étais rassuré de leur présence; en scellant fermement les portes de cette forteresse infiltrée, elles nous privent de toute retraite, et nous n'avons désormais que l'aval pour toute alternative. C'est dans la victoire que sera le salut. J'ai eu l'agréable surprise de voir Djoogo se réveiller, très tôt, quoique son corps demeurait faible. Nous avons échangé quelques mots, d'encouragement, essentiellement, tandis que je l'aidais à consommer eau et vivres -Mergo avait soigneusement dépecé et cuit la dépouille du guetteur Ragrounar, nous offrant quelques précieuses protéines, et un estomac comblé-. Il se rendormais bien vite, et j'avais l'assurance que si nous prenions soin de lui, il pourrait vivre un jour de plus; dans notre situation, hélas que trop précaire, il ne pouvait pas être de plus éclatante victoire.

J'ai, la veille, été le témoin embarrassé d'une confrontation d'égo entre Sindavia et Tex, dont la raison m'a échappé tant les tensions se sont vite affirmées; tout au plus sais-je avec certitude que Djoogo en était le grand protagoniste, symptôme éloquent de notre nocive inquiétude. Il m'avait fallut me faire l'intermédiaire, conciliateur infortuné à l'oreille acérée de notre capitaine, dont je craignais le déficit d'autorité et l'abandon, vaincue, de ses responsabilités sous le couvert de la présence d'Alastor à nos côtés. J'appelais silencieusement Sindavia a plus d'humilité, quoique je l'assurais qu'elle aurait mon soutien, et qu'importe la situation. L'elfe pâle sait mener les troupes, mais il s'impose à moi qu'elle manque parfois d'un rien de jugement. Rien qu'un rien. Sitôt qu'elle émergeait, dans un grognement taciturne, de son repos tendu, j'encourageais ainsi Texhany a se détourner de ce mauvais smog, en se préoccupant de nos équipements défectueux. Un bon succès. Exploitant les débris rompus de nos adversaires terrassés, réduits à l'état littéral de pièces détachées, notre ingénieure parvint a remettre en état, avec un brio qui forçait le respect, le casque ravagé du duc Tarvitz, et l'armure crevée de Djoogo, le museau plissé sous la concentration. Ainsi laissée à son art, dans lequel elle excellait, Tex s'évadait, retrouvait contenance, cependant que ses épaisses pattes fixaient, soudaient et emboîtaient avec une dextérité certaine. Bien vite, le filtre respirateur de l'homme de confiance était de nouveau opérationnel, de même que le plastron du gnoll, où achevaient de rougeoyer des soudures assurées. Et tandis qu'elle brillait sous nos regards attentifs, nous échangeâmes sur ces tensions nocturnes, cependant que je m'efforçais de profiter de ce précieux état de grâce mental pour tenter de désamorcer les rancœurs; je crois avoir déjà évoqué dans ces carnets que mon rôle d'officier est, en Galibran, assez proche de celui d'un thérapeute de terrain. Déjà, ces mots regrettés semblaient avoir été oubliés.

Enregistrement audio : Tex
J'ai été utile !

Sitôt levé, Alastor ne nous laissa que peu de temps pour rassembler nos effectifs, et il n'était pas difficile de lire sur ce vieux visage lacéré, au regard toujours aussi vif, les marques éloquentes de la tension, comme s'il avait déjà anticipé l'issue de notre absurde progression journalière. Comme de dociles automates, nous avons reformé la chaîne organique que nous avions adopté dès nos premiers cycles en Galibran. Seul restait en retrait Djoogo, encore faible et dont les plaies, fraiches mais scellées, exigeaient quelques cycles de cicatrisation supplémentaires; personne ne voulait le voir répandre ses entrailles sur le sol pour le profit d'un pas trop soutenu. La perspective de laisser derrière nous un compagnon était difficile pour notre chirurgien de terrain, et je devinais à son air, empreint de contrariété, que Sindavia aurait préféré renforcer notre retranchement et veiller sur les signes vitaux du gnoll; le temps, cependant, nous manquait et le nauséabond Calver n'avait déjà que trop d'avance sur nous. Alastor était censément de cet avis, cependant qu'il massait les troupes dans la grande pièce centrale où s'entassaient les débris de notre affrontement.

Enregistrement audio : Sindavia & Akjus
"On va pas laisser Djoogo en plan..."

"On ne sera pas loin, en amont. Tex a fait des merveilles avec son armure."

L'elfe pâle allait devoir se contenter de ces quelques mots d'encouragement; le primonatif avait tranché la question, impérieux. Retrouvant le pack, je comprenais que notre sécurité nocturne avait été largement assurée par le duc Full Tarvitz, qui avait fait astucieux cas de la ferraille environnante et des cartouches plasmiques rescapées de nos adversaires pour piéger les accès Nord et Ouest de la pièce centrale, cependant que l'entrée Est était protégée par le sas hermétiquement clos. Sur l'ordre de notre commandant, il désamorça les plaques de pression boréales, sous lesquelles reposait, prédateur tapi dans un tapis de feuilles métalliques, le plasma prompt a vitrifier les infortunés intrus ourdissant de troubler notre veille, et ouvrit ainsi la voie à deux larges portes à ouvertures latérales, d'un modèle particulièrement ancien. Les épaisses touches d'un antique digicode poussiéreux ne firent que peu obstacle à notre ingénieure, qui en démonta soigneusement le boîtier pour jouer de ses veines électriques; en moins d'un quart de cycle, les portes disparurent dans le grondement de rouille, et nous firent face aux restes, toujours actifs, d'une gigantesque chaîne de montage. Vide. A perte de vue, les innombrables socles de conception étendaient leurs bras figés, oxydés, et je devinais qu'en d'autres temps, cette position devait être l'une des grandes usines à robots de l'ère première. Rien, cependant, ne semblait indiquer la moindre espèce de préoccupation pour la manipulation génétique; nous étions au cœur d'un temple de la robotique, un monument à la gloire de l'ingénierie dure, de l'acier et de l'huile. Etait-ce ici qu'Ignis fabriquait ses unités de combat, de celles qui avaient entamé les corps de Djoogo et Full Tarvitz ? J'étais tenté de le croire, et mes croyances trouvaient rapidement un écho dans les paroles de mes compagnons. Devant nous, en amont de la chaîne de production de masse, un immense panneau de contrôle brillait, et attirait notre regard; nous laissâmes Texhany s'y confronter, cependant que nous observions, anxieux, les socles désertés aux travers d'une épaisse vitre. Censément, les lieux n'étaient presque plus alimentés.

Extraction : Etat des socles
Non alimenté, Erreur 47, Erreur 23

Novice, et désintéressé des sciences dures, j'étais bien incapable de faire le moindre diagnostique sur les avaries qui frappaient ce formidable atelier, et laissait à la gnolle Vakarian le soin de parcourir les différentes options que proposaient ce nouveau poste de contrôle. Notre guerrier nain, Ulgühr, encourageait fermement à la remise en état de l'usine de montage, quoique l'essentiel d'entre nous -et je me compte dans ces effectifs- s'y opposait catégoriquement. Si notre téméraire soldat espérait faire naître quelques horreurs mécaniques pour nous épauler dans cet étrange complèxe, trahissant chez lui un certain intérêt pour la gente mécanique, rien ne semblait promettre qu'un robotique nouveau-né serait programmé à obéir au premier organique dont il croiserait le regard, au détour de ses capteurs visuels. Kepler, quoique puisse enfanter ces socles, il est certain que ce sont pas des hermatodontes ! Pendant que nous nous égarions en vains palabres, Tex avait découvert quelques fichiers vocaux, enregistrés par ce qui semblait être les derniers techniciens de cette usine.

Notes de Rico (audio) / Entrée 987 / 4/295.2
Oh putain ouais, le boss Calver nous confie une putain de mission pépère ! On escorte et sécurise des locaux antiques pour trois couillons de scientifique. Olala, je ramènerai sûrement un souvenir à Gisèle.

Notes de Rico (audio) / Entrée 751 / 2/295.3
On a sorti le lourd, pour cette opération. Le boss a demandé à ce qu'on remette en état sas et système de sécurité, fissa. Je ne comprends pas, que peut-on cacher comme marchandise aussi précieuse ? On ramène du monde pour la petite équipe de mecs en blouse mais je n'ai pas vu la moindre trace de marchandise. On doit être sur du super méga top secret du Calver.

Ces enregistrements confirmaient nos soupçons, quoique le message que nous avions automatiquement reçu sur nos communicateurs, quelques jours auparavant, avait achevé de nous convaincre : Ignis avait prit possession de cette forteresse, redécouverte sur le tard, et semblait avoir orchestré l'apparition de l'abomination de Hoblet. Cependant, une question me taraude encore ce soir; pourquoi ? Quel intérêt -assurément pécunier- ce petit contrebandier pouvait bien trouver a troubler le fragile équilibre trophique des plaines de Kepler ? Je crains qu'il ne s'agit là que d'une sordide affaire de braconnage et de trafic animalier, car le cadet Calver, tout primonatif soit-il, mène un train de vie simple, éloigné des grandes intrigues politiques qui régissent les jeux de pouvoir à DreadCast. En un sens, son profil m'évoque les quelques chefs du Quartier, du nom de cette association commerçante du sud de Marran, qui n'hésite pas a verser dans la défiance de la loi lorsqu'elle y trouve un intérêt économique. Avec eux, il partage le goût de l'argent, de l'alcool, du sexe, du danger, du respect, et même un certain sens de l'extraversion exacerbée; né tardivement, c'est sans le moindre doute dans leurs rangs que nous trouverions un Ignis enfanté par Thallys. Sans doute ont-ils déjà été en contact. De son côté, Texhany continuait de décoder patiemment les options que lui proposait l'écran d'action, qui continuait de vrombir pour mieux couvrir notre silence empreint d'appréhension; tandis que nos yeux s'habituaient lentement à l'obscurité, nous pouvions voir, juchés au plafond sur des crochets comme autant de pendus suppliciés, les restes inachevés de productions plus ou moins récentes. Bustes au blindage infaillible, appendices lourdement armés, épaisses chenilles mobiles, moteurs suitants d'huile... C'est à la robotique de combat qu'était destiné cette usine, et le menu des configuration de confirmer promptement, sous le regard attentif de notre gnolle, dont les griffes parcouraient avec aisance -et une satisfaction qui ne cherchait pas à être feinte- le plateau lumineux.

Extraction : Configuration des productions
> Anti-matériel
> Exogénocidaire
> Assaut urbain

Sourdes menaces, froides comme ne pouvaient l'être que les automates, pour lesquels j'alimente une méfiance justifiée. J'étais bien incapable de comprendre ce qui pouvait traverser l'esprit focalisé de notre ingénieure, seule aux commandes. Tout au plus esperais-je qu'elle ne tente rien d'imprudent, tandis que nos compagnons s'éparpillaient autour de nous, à l'exception notable de notre protecteur nain, qui demeurait enthousiaste à l'idée -censément illusoire- de régner sur une cohorte de minions métalliques.

Enregistrement audio : Tex, Akjus & Ulsgühr
"Oh Kepler... Ce qu'ils produisaient ici n'était pas sympathique."

"De l'armement ?"

"Ca en a bien l'air... "

"On peut peut être se faire de supers armes pour lutter contre ces trucs !"

"Mh. S'il s'agit d'androïdes, je n'aimerais pas avoir un... exogénocidaire sur mes traces."

"Clairement. Mais peut être qu'une super hache le découperait en rondelles ?!"

Alastor, resté relativement silencieux cependant que nous explorions les recoins, phyisques ou éthérés, de cette chaîne de montage, éleva doucement la voix, comme pour mettre à l'épreuve sa propre mémoire. Censément, notre commandant était aussi égaré que nous pouvions l'être, et maudissait silencieusement ses souvenirs lacunaires, symptomatiques d'un age aussi vénérable. En l'absence de plus de données concrètes, nous décidions de ne plus nous attarder davantage dans cette impasse et de retourner au sein du hub central centrale, pour explorer davantage le corridor Ouest; contre l'avis de Flip et du vieux Hoblet, nous avons décidé de retarder le dépôt amorcé d'un explosif anti-structurel, prudemment charrié, à l'initiative de Texhany, au coeur de cette fabrique de masse. Il nous fallait aller plus loin en aval, et le plaidoyer de Sindavia étaient péremptoire : il était hors de question de laisser pareil instrument de mort sur nos pas, sans la moindre surveillance, cependant que l'ombre Calver semblait glisser tout autour de nous, avec une aisance cynique qui confinait aux sentiments les plus malsains. A plus forte raison, nous ignorions encore jusqu'où devaient nous mener nos pas, sinon qu'ils nous promettaient de nous enfoncer, toujours plus profondément, dans la gueule du pragar.

Enregistrement audio : Alastor & Sindavia
"Une armée robotique... Des exogènes modifiés... Hmm."

"Ca vous rappelle quelque chose ?"

"Oui, je vois quelqu'un d'assez capable pour prévoir les choses en grand. Mais son nom ? Ma mémoire me trahit..."

"Un Premier-Né aussi ?"

"Je ne saurais dire. Nous devons inspecter plus en avant."

La démolition était donc retardée. Ajournée, même, s'il faut considérer qu'au cycle où j'écris ces quelques lignes, nous n'avons finalement parcouru, à vol de drone, qu'une dizaine de minutes de marche depuis cet autel à la gloire de la genèse robotique. Et Kepler, quelle interminable dizaine ! Avant que nous ne quittions définitivement les lieux, Texhany et le duc tentèrent de saboter la chaine de production en jouant, comme un dernier coup de poker, de son panneau de contrôle poussiéreux. Hélas, les arcanes informatiques de cet antique système d'exploitation, si désuet que nous n'en avions jamais vu semblable entre les secteurs 01 et 03, sont restées laconiquement muettes à nos compagnons, contrits par l'échec. Furieux, Full Tarvitz empoigna fermement le manche de sa masse energétique et, armant son élan dans un grognement de rage, en abattit violemment la lourde tête sur le réticent matériel, traçant dans l'air un hostile sillon d'arcs électriques, comme alimenté par la seule frustration de son maître. Peut-être conscient de nos regards sidérés, et ne réalisant que trop tard ce qu'il venait d'engendrer, abandonné à la colère, il quitta promptement les lieux, sous les demi-mots grinçants de nos expéditionnaires.

Enregistrement audio : Full
Le premier qui bronche, c'est même tarif.

Je ne pouvais pas juger trop sévèrement le duc; l'état-major du vieux Hoblet n'ignorait rien de son tempérament sans filtre ni modération. En un sens, il ne fallait qu'une brève étincelle pour faire de Full Tarvitz un élément de chaos, et il ne faisait aucun doute que la fatigue de notre périple commençait à s'accumuler sur ses épaules voûtées, aussi bien que sur les notres, jusqu'à un seuil critique. Je m'étais cependant porté garant de lui lorsqu'il s'était offert à Alastor, et me devait d'assumer désormais mes prises de position. J’espérais alors qu'il ne retrouverait l'équilibre par lui-même, tandis que nous quittions le seuil de l'usine, retournant, amers, sur nos pas.

Alors que nous retrouvions le paysage, désormais familier, du hub central où mes compagnons avaient affronté les deux androïdes de combat -proviennent-ils de cette chaîne de montage ?-, nous avons eu le soulagement de constater que Djoogo s'était réveillé et marchait à notre rencontre. Son pas était claudiquant, son museau sec, et il semblait régulièrement porter, comme surpris de sa propre survie, quelques griffes inquiètes à la plaie de son abdomen, solidement scellée par le brillant savoir-faire de Sindavia Hominem. Notre guerrier gnoll, affaibli mais vif, a été, j'en suis convaincu, la meilleure nouvelle de cette terrible journée. Tandis qu'il réajustait sur son immense carcasse drue le plastron qu'avait solidement radoubé Texhany, je constatais, dans un rare moment de calme, que certains liens s'étaient resserrés durant les journées précédentes, et cimentés dans l'épreuve impitoyable du feu et de la mort. A ma courte surprise, Korksarn semblait avoir noué une certaine amitié compatissante avec un Ragron encore endeuillé de la perte de Ragrounar; je n'ignorais pas l'affection -qu'il n'avait pas cherché à pudiquement dissimuler- du dignitaire déchu pour le joyeux canidé et me remémorait, tristement, les jappements satisfaits de ce guetteur apprivoisé cependant que Mergo lui flattait, gagné d'une franche affinité, le sommet du crane, entre ses oreilles battantes. Ainsi donc le complèxe n'a-t-il pas encore achevé de nous rendre totalement apathiques; ce n'est pas sans résistance que nous nous laisserons abattre par son environnement sinistre, et la pression sourdes qu'exercent ces tonnes de terre, de sable et de pierre au dessus de nos tête dures.

Réitérant ce qu'il avait fait un cycle plus tôt, le duc Tarvitz retira, avec un soin taiseux, les pièges à plasma de l'entrée Est, et tandis que nous reformions la chaine de progression -je me ainsi retrouvais à nouveau à queue de cortège, aux côtés d'Alastor et de notre blessé-, nous gagnâmes les détours humides d'un long couloir sinueux, à la luminosité douteuse. Je sentais, dans l'air, comme un lointain parfum douceâtre, liquoreux, dont j'en ignorais encore la sinistre essence. Notre évolution dans cet étroit boyau stérile, où il nous était difficile de se cotoyer à plus de deux, était particulièrement lente -d'aucune dirait prudente-, mais nos retrouvailles avec Djoogo et le soutien que Mergo offrait à un Ragron désormais autrement plus volubile semblaient avoir calmé nos instincts les plus anxieux. Nos pensées de proie. Dans la quasi-pénombre ambiante, où je m'efforçais de veiller, en amont, sur la troupe à la seule force de mes yeux imparfaits, quelques plaisanteries fusaient ici et là, chuchotées, et même Sindavia semblait se prêter finalement au jeu de la désescalade, tandis que j'entendais son ténu rire soufflé, que trop familier, s’élever innocemment de la masse et s'éteindre dans le bruit de nos bottes. Cet interlude insouciant devait cependant s'interrompre rapidement, impitoyablement écrasé par la réalité de notre condition; alors que nous engageâmes dans un angle droit, où semblait aboutir plus loin une vaste pièce, une voix synthétique s'insinua dans l'obscurité, terrible et glaçante. Le bénéfice du doute n'était plus une alternative acceptable : sur notre voie, Ignis avait lâché ses marionnettes, dans l'attente angoissée de notre implacable progression, jusqu'au coeur-même de son fief usurpé.

Enregistrement audio : Androïde de combat
Cible Sigma 224a7 acquise. Plusieurs signatures identifiées. Calcul du vecteur d'interception. Armement du projectile FUSO441. Verrouillage. Feu.

L'ordre d'action de Sindavia, rôdée au bon sens tactique, ne souffrait d'aucune ambiguité lorsqu'elle nous intima de bondir en arrière, dans le couvert de l'angle récemment traversé, hors de portée des projectiles qui promettaient de pleuvoir devant nous. Mût comme un seul esprit, toute la compagnie s’exécuta. Toute ? Non. Une petite escouade peuplée d'irreductibles idiots résistent encore et toujours à la disciple, se jetant benoîtement dans la gueule, grande ouverte, du serratus. Alors que je prenais position dans le revers du mur, solidement campé sur mes jambes et prêt à bondir entre deux salves sur un unique geste de notre capitaine, je remarquais, stupéfié, que Ragron et Full Tarvitz étaient restés, comme figés, de front aux lignes de tir, refusant le moindre abri au profit d'une charge suicidaire dans les rangs ennemis. Pourquoi ?! Kepler, quelle idée chaotique avait bien pu traverser l'esprit défaillant de ces crétins ? La fatigue de vivre ? La vaine gloire ? J'enrageais -et j'enrage encore-, cependant que le mur qui se trouvait derrière eux semblait littéralement exploser sous les impacts furieux de munitions au lourd calibre. Trop lents. Ils avaient été bien trop lents dans leur assaut insensé, et j'imaginais déjà, terrassé par une terrible appréhension, leurs dépouilles crevées de carmin, répandues sur le sol, pulvérisées, méconnaissables.

Le duc et Ragron dorment en ce moment, paisibles. Leur salut, c'est à Texhany qu'ils le doivent, bien que je ne me souviens pas avoir vu l'un d'eux lui témoigner, en retour, la moindre déférence. Aussi vite que le permettait l'étroit lien qui l'unissait à son implant neural, notre ingénieure fit jaillir, hors de son barda élimé, un petit drone bipède, à l'effigie de ses congénères. C'était là Gnollinet, le porte-bonheur de sa maîtresse. Son ange-gardien. Elle m'avait apprit -était-ce avant notre départ ?- qu'il s'agissait d'un cadeau de ce bon Nero, récemment devenu le mâle de la Matriarche, depuis sa propre adoption dans les meutes autochtones de Kepler. Le regard irrité par la poussière et les gravas qui irriguaient le corridor au rythme hurlant des munitions furieusement crachées par notre ennemi, je n'ai eu qu'un clignement d'oeil pour apercevoir cet éclair piloté filer devant moi, avant de s'élancer, sans peur, au devant de nos compagnons suicidaires qui, déjà, subissaient les premières morsures du cuivre. Vint le chant strident d'une armure entâmée, qui me fit grincer les dents. Le grondement électrique d'un intense champ de force, activé non loin. L'implosion mécanique d'un petit appareil malmené. Et, comme pour achever cette étrange symphonie, le hurlement déterminé de l'orc berserker, que nous rejoignions sur l'impérieuse sollicitation du capitaine Hominem. Lorsque je suis entré dans la grande pièce -une sorte de réfectoire aménagé pour le plus grand nombre, ou régnait une odeur atroce-, je ne pouvais voir que le supplétif et le guerrier, s'acharnant sur les restes vaincus de l'androïde où ils étaient bien vite rejoints par Ulgühr, euphoriques et triomphants. Cependant, je ne parvenais pas à partager leur plaisir conquérant. En vérité, j'étais même incroyablement furieux contre eux. Avaient-ils conscience qu'ils étaient virtuellement morts ? Que leur maigre victoire, dénuée de gloire, ne reposait que sur le réflèxe in extremis et maternel de Texhany ? Probablement pas, car Ragron fanfaronnait autour de moi, agitant la pointe de son agrimensor sous les rires complices de Tavitz. Je peinais, tant bien que mal, à me calmer, a réprimer cette envie lancinante de massacrer le duc, et d'éteindre avec lui ses élans abrupts. Emmurée dans un silence distant, l'ingénieure était restée dans un coin de la salle, regroupant religieusement les résidus éparpillés de son drone; l'intensité du champ déflecteur qu'il avait émit pour sauver Full et Ragron l'avait fait éclater comme une baudruche, offrant à nos compagnons un bref répit, ces quelques secondes suffisantes pour achever de fondre sur l'androïde calverite. J'avais, quand à moi, pris le parti de m'isoler, prétextant tenir le guet d'un couloir à l'Est, qui devait être notre prochaine destination. C'est alors que nous réalisâmes : au sol ne reposait pas uniquement la dépouille d'un robot. Ici gisaient aussi les restes sanguinolents, éparpillés, d'étrangers bien humains.

La traversée de ces terres perdues n'avait pas fait qu'affermir nos corps; elle avait également assourdi nos esprits. Quelques jours auparavant seulement, nous étions restés comme hébétés, stupides devant le spectacle douloureux de cet amalgame figé de créatures animales et d'exilés répudiés qui repose au pied du rempart Nord. En un sens, il n'avait pas fallut plus de quinze pas hors du couvert de l’apoptose pour devenir les témoins de la sure-mort et de son caractère absurde, aux antipodes de nos mythes épiques, biberonnés à l'héroïsme des grandes expéditions marranites. Que de temps relatif passé depuis; une proximité récurrente avec notre propre finitude avait achevé de nous habituer au spectacle d'un Homo Kepleris éteint, déliquescent, nauséabond. Tâtant de ces restes comme d'une matière première -et il était désormais clair que nous n'étions que peu de chose, sinon viande-, mes compagnons tirèrent d'un uniforme enduit de sang brun un large écusson rond, où avait été brodé une silhouette aux proportions humaines, surmontée du titre "Cal/Zer". Étrangeté que celle-ci, car si nous étions en mesure de voir dans la moitié de ce patronyme la dynastie du sombre Ignis, le reste demeurait parfaitement opaque. Je n'ai retrouvé dans mes archives aucun primonatif dont le nom comporte cette série de trois lettres, et il se trouve là sans doute quelque associé de valeur pour le contrebandier, issu de la plèbe dreadcastienne comme l'est l'écrasante majorité de nos pairs. Habitué à la pratique de la rapine, Flip avait su mettre à profit son art pour trouver, dissimulé dans un pan de tissu, la carte-mémoire d'un enregistrement audio clandestin, où se confondait aux timbres d'oubliables seconds couteaux la voix si reconnaissable de notre nouvel ennemi, et de ses revers les plus ignobles.

Enregistrement audio : Technicien #1, Ignis & Technicien #2
"Euh... Chef Calzer ! Calver ? Calzer !"

"Hn ? Attendez, vous avez dit quoi là ..?"

"Ben euh... Chef ? Calzer ?"

"Tu te fous de ma gueule c'est ça ? C'est quoi ça, "Calzer" ? Une marque de froc ?! Tu m'as pris pour un vendeur de froc c'est ça ?"

"Euh... Non... Euh pardon Calzer... Boossss ?"

Une salve de décharges laser se fait entendre, longue.

"Crétin.. C'est Calver. Hé merde, putain ! Va encore falloir aller chez Marran m'en dégoter un nouveau, de con."

"Euh oui Cal... Calevèreuh. Sinon... Chef ?"

"Ouais, c'est ça. Bon, alors ça avance ? Vous avez poussé la mutation, comme demandé ? J'ai l'impression qu'on stagne, et d'ici quelques temps, Alastor va se ramener."

"Euh ben.. Oui le gars à lunettes dit que ça pousse... Pas correctement, mais ça pousse. Qu'est ce qu'on va en faire de ces... trucs difformes ?"

"Vous les laissez là, on s'occupera de leur sort après. Nexus nous rendra visite. Tout doit être prêt."

"Mais j'y comprends rien, boss Calzer !"

Long soupir.

"Félicitations, tu es promu. Tu vas devenir acteur de l'expérience, tu seras le 103ème. Tu peux être fier de toi garçon.. hinhin."

"Euh... Merci ?"

"Je t'en prie mon garçon, 103ème du 9ème protocole. C'est pas la classe ? Tu vas tout mieux comprendre."

"Oh.... Je fais parti de l'élite ?"

"Oh oui.. Regarde.. On est 295.. Imagine toi à la fin, au 19e protocole ? Tu seras l'élite, assurément."

"M..Merci MONSIEUR CALZER !"

Combien de rêveurs brusquement réveillés avaient pu être dupés par cet infecte félon accrédité ? Combien d'Asajj, et combien d'Akili ? Un certain nombre, censément. J'avais moi-même, à une époque, pu échanger avec le cadet Calver, curieux du devenir de la puce d'Aessa Amstrade; il faut admettre aujourd'hui, vaincu, que son verbe facile et entier lui donnait un air de bonne sympathie, l'illusion aigre de la franchise. Je me félicitais, en silence, de ne jamais lui avoir communiqué ouvertement les projets du vieux Hoblet lorsque nous l'évoquions, car je crains qu'il n'y aurait eu pour moi que le traitement réservé aux traîtres de la première ère. Alastor avait été ferme sur ce point. Ainsi donc était-il bien question de mutation; la chaîne de montage robotique n'était pas, c'était désormais une évidence, le seul équipement de production du complexe des Goradryn, et il nous fallait mettre promptement la main sur ces matrices génétiques. Mettre la main dessus, et les détruire, sans autre forme de procès. Nous touchions au but.

Portés par ces révélations, qui résonnaient à nos oreilles comme la certitude d'une destination proche, nous nous échappions en formation serrée de ce réfectoire sordide comme réhydratés après une longue traversée; notre optimisme fébrile ne devait être hélas durer qu'un bref instant, car nous nous évadions d'une scène de souffrance pour en rejoindre un autre, d'un calibre autrement plus funeste. Plus loin sur notre voie, à l'Est du réfectoire ruiné où Ragron et Full avaient triomphé de l'androïde de combat, avait été érigé un croisement étroit débouchant aux quatre points cardinaux, et si je devine qu'il devait autrefois se trouver là la scène d'intenses passages, pulsants de vie et d'activité, ces temps étaient désormais bien lointains, et plus rien ne devaient être encore capable de sanctuariser l'autel des Goradryn. Aussitôt que nous réalisâmes toute l'indicible démence dont était encore capable cette gueule infâme du monde, le silence s'imposa à nous, terrible et sombre. De cérébral, ce lieu n'en avait plus que la matière. Nos bottes humides foulaient un sol pourpre, gras de sang, cependant que brillaient dans la lueur maladive d'un plafonnier grésillant un tapis répugnant de viscères, d'os brisés, de chairs fendues et d'organes éventrés, exsangues, gonflés du smog de leurs propres déliquescences. Les murs-même, qui s'étaient brusquement resserrés sur nous, semblaient suinter de ces reliques macabres, où grouillaient d'ignobles grappes blanches d'insectes rampants. L'horreur, et puis la mort. Tout autour de nous, il n'y a que la mort. Je m'y suis accoutumé, désormais, tandis que j'arpente, cycle après cycle, ces couloirs sinueux pour mieux veiller sur le sommeil de mes compagnons; cependant, je crois parfois ressentir dans ma nuque le flux vicieux d'une respiration glacée, qui se dissipe lorsque je veux y faire face, impérieux, et que mes griffes scindent avec dépit le néant de ces routes. Des revenants ? Est-ce des esprits ? Sommes-nous hantés ? Kepler... l'avons-nous vraiment mérité, Alastor ..?

...

Non. Je perd pied. Je dois retrouver l'équilibre, et reprendre. Crispé par sa funeste découverte, le bataillon a poursuivit son évolution, jusqu'à atteindre une première porte, d'une affligeante banalité. Nous étions désormais bien loin dans le cœur de la bête, et nous ne nous étions pas affolé de voir cette stupide ouverture ainsi laissée sans surveillance; nous allions payer cette grave erreur au prix fort. Sitôt effleurée, la poignée provoqua une puissante impulsion, sonore et vibrante. Ou bien était-ce alors ce qui nous attendait, tapi dans la pénombre ? Je n'en suis pas certain, car il n'a fallut que le temps d'un souffle pour que fonde sur nous, hurlante, la tempête d'une embuscade. Comme un couperet, la nuit est tombée sur nous, dans le claquement hostile des néons éteints, et avant même que nos pupilles ne puissent s'habituer à cette immersion anxieuse dans le néant, l'univers tout-entier trembla dans un formidable éclair carmin, aux relents suaves de l'azote brûlé.

Enregistrement audio : Draco anti-personnel
BOOOOOOOOOOOOOOOOR

Mon subconscient orcin m'avait sauvé, m'intimant sans protestation possible de me jeter au sol; je n'avais pas encore heurté la fange immonde qui m'attendait, abandonné à ma chute en avant, qu'un large laser incandescent transperça l'obscurité comme une céleste lance de feu, et passa non loin au dessus de ma tête, fendant notre bataillon comme le smog balaye les feuilles mortes. Atteinte, une épaulière métallique, fondue, vola en éclat devant mon groin affolé. Frappé comme ne pouvait l'être que le Commun, Alastor s'effondrait sous mes yeux, immédiatement terrassé, et son cri de douleur résonne encore dans les cavités de mon crane épais; là où se trouvait naguère son bras droit, il n'y avait désormais plus qu'une large blessure béante, calcinée à l'épaule, où le sang, comme aussitôt vitrifié, ne prenait pas même le temps de s'épandre. Le temps lui-même s'était arrêté.

Enregistrement audio : Draco anti-personnel
Chargement en cours. Protocole de combat actif.

Dans un crachin d'étincelles sifflantes, illuminant par à-coups une silhouette monstrueuse, les lourdes pattes mécaniques de notre assaillant heurtèrent avec une violence froide et déterminée le sol, cependant qu'il stabilisa son port, tournant sa gueule grondante vers nos formes pétrifiées, prêt à cracher sur elles un dernier de ces souffles incendiaires. Ce ne pouvait être là qu'un monstre mythique, antédiluvien, extirpé d'un sommeil millénaire. Le pantomime robotique du terrifiant draco, dont quelques histoires murmurent encore qu'il a engendré ces sauriens bipèdes, de ceux qui marchent à nos côtés, inconscients de leur illustre ascendance. Cette abomination-ci n'était pas de la race de ces petits androïdes que nous affrontions jusqu'alors au travers de ces corridors étroits; elle régnait à un niveau supérieur de leur infernal plan d'existence et, d'un bref Verbe, venait d'abattre sans la moindre espèce de difficulté le plus expérimenté de nos spadassins.

Vive comme ne pouvait l'être qu'un grand chef de compagnie, Sindavia hurla ses ordres, dans le grincement sinistre de la bête, et notre compagnie se scinda au travers de ce corridor suffoquant. Ragron s'élança aussitôt au devant du draco, brandissant une hachette énergétique; galvanisé par ses cris, aveuglé par sa recherche éternelle de l'affrontement qui allait lui rappeler le goût d'être vivant, il projeta son arme dans la carcasse épaisse du monstre, dont l'extrémité brûlante du canon suivait désormais la charge grandiose, et insensée. Pour la seconde fois sous les auspices d'un même cycle, le miraculé Ragron n'allait échapper à une extermination certaine que par l'intervention salvatrice d'un compagnon; réalisant ce qui se tramait et bondissant au pas de course dans ses traces, le franc Ulsgürh percuta d'un puissant coup d'épaule le dos du berserker, le projetant plus loin au sol cependant qu'une nouvelle javeline laser traversa le couloir jusqu'à incinérer l'espace où, quelques secondes plus tôt, se tenait encore le vieux compagnon orc d'Alastor. De son élan héroïque, alors qu'il nous rappelait brillamment qu'il était bien l'un des premiers élus du vieux primonatif, Ulsgühr ne sortit pas sain et sauf : une vive vague de chaleur avait tracé un sillon chuintant le long de son dos, net comme la morsure impitoyable d'un agrimensor. Kepler, allons-nous longtemps devoir continuer de préserver Ragron de sa propre connerie, au péril de nos biens et de nos vies ?

Saisissant ce qui nous semblait être une -courte- fenêtre d'opération, tandis que nos deux compagnons se trouvaient aux prises avec cette engeance maudite, nous tentâmes d'extraire de l'enfer un Alastor oscillant dangereusement au dessus du gouffre de l'inconscience; se saisissant d'un bouclier énergétique, Mergo s'élança promptement hors de l'angle où nous nous étions réfugiés pour prendre position en aval du commandant et, solidement campé sur ses appuis, barrer la ligne de tir d'une large barrière répulsive. S'accaparant l'occasion de cette couverture -quoiqu'à la réflexion, elle aurait été bien incapable d'opposer un obstacle bien sérieux à l'un de ces rayons-, Sindavia et moi avons tiré le général Hoblet jusqu'au couvert d'un angle du croisement, cependant que Djoogo et Full Tarvitz laissaient pleuvoir sur l'abomination mécanique un torrent opaque de projectiles grésillants, comme pour mieux détourner son attention, calculatrice et bornée. Allégé, le corps du primonatif ne nous a pas opposé une terrible résistance; sitôt charrié à l'écart du chaos ambiant, nous nous alarmions du sort incertain des guerriers Arnbjörn et Ragron, dont la retraite, opérée à la hâte derrière un renflement mural, n'était que trop précaire, à six coudées du robot de combat qui, déjà, chargeait un troisième et décisif assaut. Il fallait agir sans délai. A mon appel, Djoogo glissa dans ma main ouverte une petite grenade écaillée; le gnoll avait eut l'idée éclairée d'en emporter un plein chapelet en Galibran, exercé à leur manipulation. Guidé par la bonne fortune, je lançais entre les appendices du robot l'explosif ainsi amorcé, adressant au smog une brève prière afin qu'aucun de mes co-expéditonnaires n'en subisse souffle et pluie d'éclats. Si les dieux existent, ils ont, ce soir, prêté une oreille soucieuse à mes suppliques; dans un crissement strident de taule éventrée, le draco se souleva sous ses deux pattes arrières, porté par la puissance du souffle, et disparut dans un épais nuage de fumée. Aussitôt, Ragron et Ulsgühr quittèrent leur maigre couvert pour fondre, hurlants, sur la machine déstabilisée, et lui porter les coups décisifs. Inerte, humide de ces fluides sombres qui coulaient en ruisseaux de sa dépouille brisée, la bête gisait, terrassée.

Voila que la fatigue me touche, désormais, et je sens que mon esprit n'aspire plus qu'au sommeil; soyons succins. Alastor était estropié -et je peinais à croire qu'il était encore bien vivant-, Ulghühr avait le dos entamé d'une large brûlure rougeâtre, et Djoogo ne récupérait que péniblement de ses plaies. Nous étions tous à bout de souffle, hagards, et il nous fallait offrir à notre tortionnaire une nuit de répit supplémentaire. Traiter nos blessés. Reprendre des forces, et s'accoutumer à l'horreur ambiante des profondeurs du complexe des Gordaryn. Par delà les restes fumants de notre formidable adversaire se trouvaient les baraquements des mercenaires du cadet Calver, que nous décidions de faire immédiatement notre; il y avait là une large pièce, bonne quantité de couchettes, et deux uniques accès sur lesquels nous pouvions veiller sans grand effort. C'est à ces même entrées que je patrouille, désormais, et lutte contre des fantômes hilares.

Je vais arrêter d'écrire, maintenant. Arrêter, et oublier ces rires illusoires qui résonnent autour de moi. Oui. Oui... J'ai besoin de repos. Mergo prendra le relai.

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Marche de l'Humanité
02 Juin 2022
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