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Cacher

Un pied dans la cuve.


Elle se tenait là, droite dans la nudité la plus totale, faisant face à toute la vanité du monde dans un éternel sourire moqueur. Devant elle, ses deux mains formaient une coupe où reposaient des galons misérables tout juste ôtés de sa veste pour la première fois.
Elle les regardait avec attention et, à travers eux, apercevait la trame de ses dernières années. La belle défigurée y voyait les heures de travail à la chaîne, les entraînements puant la transpiration, les guerriers transpirant l'orgueil, allant jusqu'à y noyer les subordonnés les plus faibles. Elle y voyait la guerre, interne et externe, le mépris toujours plus tenace et le goût âpre du dégoût ravalé.
Droite et hautaine, elle toisait le monde dans lequel elle avait évolué à travers cet objet dérisoire auquel elle avait porté un attachement des plus futiles. Gamine. Elle avait cru tenir un nouveau jouet alors que sa ferveur n'était ni plus ni moins qu'une faible tentative de faire fi de la désillusion. Mais Il n'avait pas montré Sa compassion envers les pauvres immortels faits de Sa main et on en avait bassement profité.
Elle déposa tranquillement l'objet dans la table de nuit jouxtant son lit et l'enferma à double tour dans le tiroir, laissant la clé aller se nicher dans l'ombre du lit. Tout aussi tranquillement, elle se détourna de sa tenue de combat parfaitement pliée sur ses draps et se saisit de vielles fripes, retrouvant avec affection ses bottes cloutées. Elle enroula sa nudité dans une cape noire qu'elle ajusta pour cacher son corps trop maigre et sortit un briquet d'une de ses poches.

Un nouveau sourire se forma sur ses lèvres tandis qu'elle ramenait un bidon d'essence de la pièce voisine. La jeune femme en arrosa gracieusement le lit et la table de chevet avant de faire le tour rapide de l'appartement, semant le liquide puant derrière elle. Elle finit enfin par balancer le bidon dans un coin, vide, suivi de près par un briquet en feu qui avait savamment glissé de ses mains. Elle pouvait encore sentir l'odeur de la chair carbonisée, sensation fugitive qui fendit à nouveau ses lèvres d'un sourire carnassier.
Nevihta quitta l'immeuble sans un regard d'adieu, priant faiblement pour que ses voisins s'étouffent dans la fumée avant que le système de défense interne du bâtiment ne se déclenche et que les flammes ne meurent noyées dans des tonnes d'eau.
Le regard fixe elle traversa la haute ville, ses yeux glissant sur les signes ostentatoires de richesse mêlés à ceux de la plus grande misère. Sa carte de retrait fusa en direction d'un couple d'androïdes mal foutus assis sur le rebord d'un magasin quelconque. Des remerciements balbutiés, ils disparurent dans la foule : les agents du CDO tournaient l'angle de la rue.
La jeune femme fit de même, glissant entre les passants affairés jusqu'à un bâtiment austère redouté par une bonne partie des habitants. Les faibles. Une moue déforma brièvement son visage alors qu'elle entreprenait de monter sur le toit. Rapidement, la ville devint son plancher et elle laissa longtemps errer son regard dans une mise à l'épreuve de sa mémoire cartographique.
Il lui restait tant à apprendre de ce ramassis de cloaques qu'était le Sud, tant encore de ces bourgades de junkies inavoués et des hauts bâtiments du Nord. Pourtant, si elle était sur le toit cette nuit là, c'était les sous-sol qui l'attiraient. Irrémédiablement. Elle avait cru lire un article sur la pratique des catacombes dans les temps immémoriaux, l'existence de réseaux parcourant entièrement le dessous de la surface, grouillants de malfrats et de dignitaires s'encanaillant en secret.
A un âge estimé de 28 ans, elle était hantée par le sentiment d'avoir déjà vécu. Trop vécu. Et n'aspirait plus qu'à jouir d'un endroit clos enfoui sous terre. Cette envie la prenait aux tripes, comme un manque intarissable que rien ne saurait combler.
Lentement, elle se rapprocha du rebord du mur et se laissa tomber à la verticale, se réceptionnant de justesse dans un mouvement ample et un craquement sinistre. Une jambe de moins. Peu importait, rien ne lui servirait de courir là où elle allait. Et elle pouvait être sûre que personne ne viendrait pleurer sur sa cuve.

La tête haute, elle claudiqua jusqu'à l'entrée du centre de cryogénisation.

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A coup de pavé
14 Juin 2013
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