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Notre skiwi quotidien

Attablée seule dans la pénombre de sa cuisine, Nevihta réfléchissait les yeux perdus dans un fond de bouteille.
Il semblerait que l'ivresse entraîna souvent des réflexions obscures chez elle. A moins que ce ne soit l'inverse.
Peut importait l'ordre de causalité, Nevihta réfléchissait donc, la tache facilitée par quelques verres de skiwi.
De ses dernières heptades, elle ne savait que retenir.
Elle avait découvert dans son travail "temporaire" une notion qu'elle pensait bannie de la ville depuis longtemps.
Elle avait découvert l'entraide, solide et déterminée, qui régissait le CIPE.
D'abord amusée par l'apparente naïveté de ses collègues, elle était restée décontenancée de voir qu'aucune once de ce défaut enfantin ne transparaissait finalement dans leurs actes.
La jeune femme avait mûrement médité la question, appris au jour le jour de leurs comportements et elle en était resté sur le bitume.
"Ils sont heureux putain..."
Quelque part dans cette neige fondue et noirâtre, dans ces litres de sangs répandus à la vas vite, dans ces silences et dans ces mots haineux, quelque part se cachait de la chaleur. Pire, du bonheur.
Après avoir secoué une tête toujours interloquée, la boule d'os vida la bouteille par le goulot dans un mouvement lent.
Elle avait vu souvent des gens aux sourires niais, des inconscients qui vivraient sur le smog s'ils le pouvaient, et cette vue n'avait réussi qu'à faire remonter ses entrailles froides dans sa gorge.
L'inconscience ne saurait être qualifiée de bonheur. De fléau à la limite...
Mais ces yeux là, eux, avaient réussi à se peindre de chaleur après avoir essuyé le glacier des cuves.
Elle resta un moment admirative devant une goutte d'alcool glissant entre la pulpe de ses doigts et le goulot sucré de la bouteille avant de se ressaisir d'une de ses soeurs et de la déshabiller savamment avec un ouvre bouteille fluorescent.
"C'est des foutaises tout ça..."
En vidant le premier verre d'une énième bouteille, la petite femme laissa tomber ses binocles devant ses yeux et papillona des paupières, essayant vainement d'y voir encore.
Elle se demandait comment ça serait le bonheur.
Il paraît que ça obstrue votre perception du monde ce truc là. Que vous y voyez trouble, comme quand on s'essaie à l'alcool les premières fois, sauf que l'effet parasite vos rétines et refuse d'en partir. Pire, on parle de cécité.
Clairement, ça ne lui semblait pas très pratique, un peu comme des binocles dans l'obscurité. Si elle avait déjà du mal à voir clair avec une vue et un esprit intact, autant que cela puisse être dans des temps radioactifs comme les nôtres, elle n'osait imaginer ce que ce serait si...
"Non non non. C'est pas pour moi." dit-elle en relevant l'accessoire optique, le fixant sur ses tempes.
Il faut avoir un guide pour pouvoir marcher dans l'obscurité complète sans risquer de tomber sur le tranchant d'une lame malveillante... Sans risquer de tomber tout court.
Le bonheur, oui, mais pour les autres, tout comme l'amour.
Ce n'était pas son skiwi quotidien.
Un autre verre, le combientième déjà? Fit emprunter à sa réflexion une nouvelle destination.
Celle du Militarium.
La seule idée d'en fouler à nouveau le sol d'ici peu suffisit à lui faire vider la bouteille entamée, en se promettant qu'elle arrêterait de boire sous peu.
Au moins aux yeux de ses supérieurs.
Elle allait reprendre le combat.
C'est sur cette pensée qu'elle finit par s'écrouler de fatigue sur un comptoir inconfortable, et vide.

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De feu et de glace.
25 Septembre 2012
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