EDC de Chlore

– Arhh…

Non, vraiment, elle n’allait pas prendre goût aux cuves. Deuxième, en deux jours, et celle-ci était beaucoup moins agréable que la dernière. Entre une migraine qui lui frappait le crâne et une envie de vomir qui sortait d’on ne sait où, Chlore pestait tantôt sur le Skiwi, tantôt sur la cuve elle-même.

Elle s’en extirpa comme elle put, ses appuis rendus instables par le liquide encore dégoulinant, pour tenter un premier pas en avant… Qui se solda par un échec. Elle finit à genoux, une main sur la tête et l’autre sur le sol, yeux clos et mâchoires serrées. Vraiment pas la meilleure sensation existante.

– M’putain, non !

Non, pas encore ce foutu piano. Pas cette fois. Pas là, maintenant, en même temps qu’une saloperie de mal de tête. Elle se redressa d’un geste bien plus vif que le précédent, un râle agacé s’extirpant de sa gorge et résonnant contre les murs du centre de clonage. Elle avait mieux à faire que d’écouter ces fichues notes, là. Bien mieux à faire.

Elle récupéra ses sacs et enfila ses fringues, bien plus rapidement qu’à l’accoutumée. Il faisait un froid d’écureuil, là dedans. Ou alors était-ce encore le contre-coup de la cuve, voire de la veille… Veille dont elle ne se souvenait que partiellement. Elle se rappelait des verres d’ambré qui s’étaient accumulés sur la journée, des clopes, des discussions, de ce dernier verre qui l’assomma, et de la fumée parmi le smog… Rien de plus. C’était vague, encore plus que ces putains de mélodies. Rien de clair là-dedans.

Elle regagna l’appartement, moitié titubant, moitié marchant d’un pas décidé. Ensemble pathétique, au final. Mais pas plus pathétique que la chute à laquelle elle échappa de peu dans les escaliers. Non, passer de synthétique à organique ne lui réussissait vraiment pas côté alcool. Elle s’engouffra dans le couloir, avant d’arriver au sein de la pièce principale, et de balancer ses sacs sur l’un des fauteuils, sans le moindre ménagement. Elle se dirigea ensuite vers la chambre, son précédent agacement cédant sa place à une certaine fébrilité. Une crainte, peut-être, pour ce qu’elle en savait.

Lorsqu’elle poussa la porte et vit le Vaut’ toujours paisiblement endormi sur le lit, une partie de ses peurs s’apaisa. Il était toujours là. Pionçant toujours, mais toujours là. Elle quitta la pièce sur un soupir et regagna le canapé, presque plus lasse qu’à sa sortie de cuve. Pourquoi, malgré tout, se retrouvait-elle avec une boule au ventre, et une désagréable impression de solitude ? Peut-être parce qu’entendre si souvent les ravages que le sommeil avait causé sur les membres de son entourage la faisait flipper, elle. Peut-être parce que ça l’apeurait plus qu’elle le croyait elle-même.

Elle aurait bien voulu qu’il soit éveillé, son plumé. Pour pouvoir lui raconter son changement de génome, ses journées de boulot, ses dernières rencontres, cette histoire de sacrifice et de cuve, le nouvel effet du Ski’ sur son clone encore plus neuf, son entraînement en info’… Peut-être aussi pour rassurer cette trouille qui lui nouait la gorge et lui hurlait que lui aussi pouvait disparaître à tout moment. Comme les jeunes. Comme les proches des membres de son entourage. Comme tout le monde, en fait.

Soudain, elle se sentait beaucoup moins à l’abri, roulée en boule sur ce canapé. Les nausées lui revenaient, la migraine aussi, et elle aurait volontiers enterré toutes ses craintes sous une bouteille de Ski’ si ce n’était pour son état actuel. Non, il fallait qu’elle bouge. Son com’ n’avait pas arrêté de vibrer, des gens s’en faisaient pour elle. Il fallait qu’elle bouge, qu’elle leur réponde que tout allait bien. Après tout, ça ne changerait que dalle qu’elle reste ici à se morfondre, à écouter ce foutu piano dans sa tête. Autant sortir. Autant être plus proche de sa source principale de Skiwi… Et autant voir des gens, aussi.

Tant qu’à faire.