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Hier les Trois Piliers

Hier les Trois Piliers

La dissolution de 340


_INTRODUCTION

Peu de sujets ont été autant source d'angoisse, ces dernières décennies, que la coexistence forcée dans le Secteur Un d'un coeur de fonctionnaires avec une population hétéroclite dont les liens avec les Organisations Impériales paraissaient ténus, sinon inexistants. Il faut dire que depuis plus d'un siècle, le territoire de Marran vivait sous la doctrine des "Trois Piliers", qui tendait a symboliser la survie de l'Empire au travers d'une division tripartite de la société : le pilier du Gouvernement, le pilier de la Corporation, et leur petit frère plus nébuleux que l'on a nommé le pilier de la Criminalité, quoiqu'il représentait davantage une zone floue de mercenaires hors des marges de l'armée et de la police, et de commerçants dédiés à l'approvisionnement de ces premiers.

Ce troisième pilier avait su trouver son public après une longue phase d'expérimentations, étoffant ses rangs de plusieurs guerriers renommés et d'un réseau dense de boutiques et d'industries implantées dans le Sud du secteur. Par l'influence culturelle qu'il exerçait sur la population de ce qui était nommé la "Basse-Ville" (par opposition à l'altière "Haute-Ville"), ce troisième pilier a développé un véritable style de vie avec ses propres rites, ses codes et ses coutumes, abordant des domaines aussi variés que l'alimentation, la mode ou le dialecte.

L'anxiété de vivre aux côtés de cette population qui lui était de plus en plus différente a gagné l'esprit de nombreuses personnalités influentes du gouvernement jusqu'à remonter à l'intelligence artificielle ServerGuard elle-même. Pour le grand régisseur numérique du secteur, la constat était simple. Il était impossible d'expliquer par une baisse de la qualité martiale du vivier fonctionnaire l'issue malheureuse des nombreuses échauffourées entre les forces de l'ordre et cette population guerrière : c'est la doctrine des Trois Piliers qui censurait les marches de manœuvre d'une noblesse conquérante qui, si elle y était autorisée, ne tarderait ainsi pas a mâter les sudistes les plus remuants. D'aucuns se hasardaient même à affirmer que les Trois Piliers avaient été "la pire connerie de l'ère troisième", et Imperator sait que la concurrence, pourtant, était rude.

En 340 AUC, les Trois Piliers furent dissous. Rien ne changea.

Cet ouvrage tentera ici de vous apporter quelques pistes de réflexion et éclaircissements sur les origines historiques et les principes fondateurs de cette fameuse doctrine à l'aube de l'ère troisième, pour ainsi mieux aborder le naufrage politique et social qui a suivi sa disparition, son caractère prévisible, et ce qu'elle trahit de notre manière de soumettre notre destin à des intérêts entropiques.


_REBELLE E(S)T CRIMINEL

"Ce matin-là, la police n'avait pas fait les choses à moitié. Le capitaine Fayn faisait les cent pas dans cette ruelle où, deux cycles plus tôt, son équipe avait fait irruption, saturant l'air d'une odeur d'azote brûlée à mesure qu'elle faisait pleuvoir sur la foule amassée un torrent de décharges laser. Autour de lui, quelques corps à l'agonie tardive achevaient de se dissiper, ne laissant derrière eux que d'épaisses flaques de liquide translucide dont l'accumulation sur le béton donnait au vieux vétéran du commissariat l'impression de marcher dans un marécage infâme.

Non, pour sûr, elle n'avait pas fait les choses à moitié. Il n'avait pas fallut un cycle entre l'instant où les drones avaient repérés la fête illégale dans les blocs Sud de DreadCast, et l'intervention brutale des forces d'élite. Le brigadier Tomri terminait de rassembler les biens compromettants le long du trottoir crasseux, prêts à l'incinération. On pouvait deviner dans cette mélasse des seringues usagées, des armes sans licence, des préservatifs intacts et même quelques tracts anti-impérialistes.

Fayn renifla avec dédain. Des junkies, des truands, des prostituées et des révolutionnaires. Tous, sans exception, méritaient le même traitement radical; c'est ainsi qu'il en allait durant cette ère seconde."


Si les témoignages de la seconde ère se font aussi rares qu'imprécis, trahissant l'impact du temps qui passe sur la mémoire, il est généralement admit que la doctrine des Trois Piliers est apparue au tout début de la troisième ère sous l'impulsion de Alleria Windrunner, qui en aurait dessiné les contours. Dans quel intérêt cette dignitaire, devenue aujourd'hui l'un des grands visages de l'Histoire impérialiste, aurait-elle fait ça ?

La réponse semble se trouver quelques années auparavant, à la seconde ère de l'Empire. Cette période charnière a vu plusieurs configurations du pouvoir être expérimentées, sous l'influence discrète des primonatifs, semblent nous dire leurs biographies.

A cette époque, les individus qui se revendiquaient de l'Empire tendaient a considérer comme ennemi tout ce qui était étranger à leurs croyances, mais aussi à leur mode de vie. Certes, l'ennemi était celui qui s'opposait à la volonté d'Imperator ou pire, niait jusqu'à son existence. Ce n'était cependant pas tout : l'ennemi était également celui qui vivait du tabassage, de la drogue, de la vente de ses charmes. C'était celui qui, furieux de voir ses avances repoussées, couvrait sa voisine d'insultes sur les réseaux. C'était celui qui subtilisait une poignée de crédits laissée sans surveillance. C'était celui qui s'adonnait à ses pulsions voyeuristes en détournant le flux des caméras de surveillance de la ville.

Les autorités de la seconde ère ne faisaient pas de distinction entre les criminels et les parjures. Pire, elles ne parlaient pas même de rebelles; outre quelques précisions légales marginales sur un crime de dissidence, tous étaient mélangés dans ce vaste panier que l'on nommait vaporeusement la Criminalité.

Cet amalgame, s'il peut satisfaire aujourd'hui les partisans les plus exaltés de la répression impériale, a énormément nuit à l'Empire, car de cette confusion est née une alliance de circonstance, sans entente préalable, et naturellement formée par la force des choses. Une cohabitation entre les intellectuels et militants fermement opposés à l'Empire, et les individus sans conviction politique mais condamnés pour leur appât du gain, leur caractère belliqueux ou leur désir de se soustraire, de temps en temps, de la surveillance trop rapprochée des autorités.

Un certain nombre de mouvements sont nés de cette rencontre malheureuse, dont le point d'orgue a sans doute été l'année 152 où, s'emparant du pouvoir, un mélange de criminels et de dissidents ont privés tout un secteur de la ville de l'autorité du gouvernement. Une sécession pure et simple, née de la mauvaise gestion -ou d'une incapacité a appréhender les rapports de force qui se jouaient là- des puissances exécutives .

En se réveillant dans un secteur où tout était à reconstruire, Alleria Windrunner a fait le choix de ne plus reproduire les erreurs de ce passé. Si Thallys n'était pas capable de ne plus mettre au monde des truands, des voleurs et des pirates informatiques, alors l'Empire ferait au moins son possible pour priver les traîtres et les parjures de ce vivier de malfrats.

Pour cela, elle a établit la doctrine des Trois Piliers, qui légitimerait au regard de l'Empire la présence d'individus qui, auparavant, étaient considérées en parias et rejetées des institutions. Elle en profita pour préciser le statut impérial des corporations, mettant en valeur leur effort logistique dans le bon fonctionnement de l'héritage d'Imperator.

En conséquent, lorsque le secteur rebelle s'est organisé, de nombreuses brutes et délinquants ont préféré ne pas se rallier à lui, demeurant dans le giron du secteur Un et de l'Empire. La doctrine venait de prouver là son efficacité.


_LE FONCTIONNAIRE

"Dans le confort certain de ce petit bureau de la Direction de l'Administration, Enru Sagdis se prélassait, profitant d'un temps mort entre deux contrôles de routine sur le statut des salariés du Centre-Ville . La journée avait été excellente, à l'image de son humeur, et s'il répugnait habituellement à se laisser envahir par l'ivresse, il lui semblait qu'une soirée comme celle-ci méritait bien un peu de skiwi sur deux glaçons. Sur son deck grésillait encore le message du Conseil de la Noblesse l'informant qu'il allait devenir Aspirant à cette dignité : rien ne pouvait plus espérer entamer son moral zénithal.

Depuis sa fenêtre, il pouvait presque voir l'ensemble de Marran, et il ne lui fallait pas beaucoup d'imagination pour voir s'animer les foules hétérogènes à la lueur des lampadaires criards qui parcouraient la ville. Enru n'était ni un bon guerrier, ni un bon rhéteur. Il n'était pas même un bon comptable. Non, Sagdis avait d'autres talents : il était discipliné, résilient et il aimait l'ordre, plus que tout.

Dans son esprit, les citoyens s'animaient, mais le contrôleur savait qu'il était plus digne que chacun d'eux. Que ses convictions inébranlables faisaient de lui l'une des vertèbres qui composent la colonne dorsale de l'Empire. Que le Premier Pilier n'était pas Premier pour rien."


Sans grande surprise, Alleria Windrunner portait au gouvernement impérial qu'elle dirigeait une grande affection, et n'a pas hésité à le mettre en valeur dans la nouvelle division de la société qu'elle dessinait là.

D'une manière où d'une autre, le Premier Pilier, dédié aux fonctionnaires qui allaient animer les institutions d'État nécessaires à la perpétuation du mode de vie impérial, allait être l'épicentre de ce monde nouveau, et serait doté d'outils capables de contrôler le reste de la population. Les traditionnelles polices et prisons se chargeraient ainsi de contenir l'enthousiasme des gros-bras du secteur sans toutefois trop l'étouffer, afin d'éviter qu'ils ne gonflent les rangs d'une rébellion d'un genre nouveau.

Mieux, certaines institutions plébiscitaient les individus du troisième pilier, conscientes que leurs talents "particuliers" pouvaient être utiles à leur bon fonctionnement : ainsi a-t-on vu des truands notoires mériter les galons d'officier au sein du Militarium, des pirates informatiques perfectionner la traque des dissidents au sein du Cercle de l'Orient, et même de célèbres prostituées prendre la tête de la Direction de l'Administration Impériale avec un sens féroce de l'économie et de la comptabilité.

Tôt, les fonctionnaires ont eut conscience de la supériorité que leur attribuait la doctrine des Trois Piliers, car tout les y mettait à l'honneur : les meilleurs statuts sociaux leurs étaient généralement réservés, et il n'a pas été rare que des conseils nobiliaires se refusent totalement a accepter dans leurs rangs des individus qui ne seraient pas piochés dans le vivier du fonctionnariat.

Conséquemment, la Loi, elle-même détenue par des fonctionnaires formés à la rédiger et l'interpréter, est devenue la mère protectrice de cette population dédiée à faire tourner la machine gouvernementale. Si quelques médailles et citations pouvaient récompenser, de temps en temps, un honnête salarié de corporation, l'essentiel des rites impériaux tendait à valoriser le personnel du Premier Pilier, sa discipline, sa fibre morale.

Ce choix n'a pas été illogique. On a pu affirmer, après tout, que l'accès à ces privilèges n'était jamais qu'une question de volonté, dans la mesure où le premier pilier était désormais accessible à tous. Cependant, il n'avait probablement pas été anticipé que cette endogamie pouvait faire des émules, alimentant un repli sur soi de plus en plus profond entre les trois piliers, et le risque d'un retour à la situation sécessionniste de la seconde ère.

L'une des causes de ce lent pourrissement d'une fondation que l'on prophétisait pourtant solide peut se trouver dans l'ambiguïté, alimentée à des fins de communication politique, entre "Empire" et "premier pilier".

En effet, l'existence d'un pilier corporatiste et d'un pilier criminel, que la doctrine officielle présentait comme les composants de l'Empire au même titre que le pilier gouvernemental, n'aura pas empêché les politiciens les plus zélés d'exclure, dans leurs discours ou de leurs actes, économie et contre-culture d'une "communauté impériale véritable", présentant les fonctionnaires comme les derniers représentants de l'Empire, cohabitant malgré-eux avec des factions au mieux coopérantes, au pire hostiles.

C'est cette ambiguïté, devenue suffisamment populaire au sein des élites politiques pour arriver jusqu'aux circuits de ServerGuard, qui justifiera la dissolution de la doctrine durant l'année 340. Pour reprendre le lexique de l'Ambassadeur d'alors, ainsi libérés des brides que leur imposait autrefois l'IA, les fonctionnaires allaient désormais pouvoir s'imposer naturellement auprès de cette frange de population qui ne détenait aucun poste dans une administration d'État.


_LE CORPORATISTE

"Soo était peut-être un troll, mais ce n'était pas un cancre. Loin de là. Il logeait dans l'arrière-salle de l'armurerie où il travaillait et n'en sortait que pour retrouver, tous les matins, son poste de travail. Il n'avait que peu de loisir, mais il aimait a rêver en parcourant les pages de ce livre qu'il empruntait régulièrement à l'Université Impériale : le Bestiaire de Kepler. Allongé sur le tas de fripes qui lui servait de couchette, Soo passait des cycles à parcourir la section dédiée aux insectes qui vivaient hors de la Cité, devinant chez ces animaux une sagesse naturelle.

«Tous les insectes d'une ruche ne sont pas des royaux» pensait Soo, «mais tous sont d'égale importance. Les ouvriers nourrissent les guerriers et la reine, les guerriers protègent les ouvriers et la reine, et la reine enfante les ouvriers et les guerriers. Que l'un de ces groupes fasse défaut, et les autres s'éteignent».

Le troll avait bien compris que même si son existence humble était méprisée des fonctionnaires, ces même ambitieux venaient chaque jour, aux boutiques de la corporation qui lui versait un salaire, pour boire, pour manger, pour s'habiller, pour s'armer. Dans son atelier mal-éclairé, la perceuse de Soo avait autant d'importance que la plume du législateur."


Curieusement, le pilier le moins bien considéré aura toujours été celui des corporations. A quelques évènements près, comme les AMIG qui ont vu les colonnes de salariés marranites s'élever contre un gouvernement fléchissant, les corporations ont toujours été les sœurs discrètes de la division tripartite de l'Empire.

Pourtant, les corporations sont presque indissociables de l'histoire de l'Empire, et un coup d’œil à leur passé pouvait donner un indice sur la nature des Trois Piliers. S'il est attesté que certaines agglomération d'entreprises existaient déjà du temps où Imperator vivait encore parmi nous, on peut noter que durant une portion considérable de l'histoire de la troisième ère, au moins deux des corporations les plus fortunées puisaient leurs racines loin dans l'ère seconde, à une époque où l'idée de distinguer l'Empire en trois catégories sociales n'étaient pas encore prête de caresser l'esprit des élites qui se succédaient frénétiquement.

Dans cette période instable où la cuve faisait s'élever et s'effondrer des gouvernements entiers, les corporations formaient des îlots de stabilité et de paix, et certaines allaient jusqu'à bâtir de vaste arcologies pour se couper entièrement des maux du monde, vivant en auto-subsistances de ce que produisaient, en large quantité, leurs différentes fermes et industries.

Outre l'extrême solidité inhérente à ces ruches commerciales, comme en témoigne aujourd'hui la deux-fois centenaire Armacham Corporation, cette histoire nous révèle un point qui va s'avérer capital pour comprendre l'échec de la dissolution de 340 : les corporations n'ont pas attendu la doctrine des Trois Piliers pour exister.

Cependant, comme un penseur se demandant qui, de l’œuf ou de l'écureuil, est apparu le premier, les partisans de la dissolution de 340 semblaient considérer que c'est l'établissement de la doctrine qui a "bridé" la main-mise des fonctionnaires sur tous les aspects de l'Empire. Que si le gouvernement n'était pas implanté aussi solidement qu'il le souhaitait au delà du seul fonctionnariat, la faute devait donc en revenir à la doctrine qui justifiait cette défaillance.

Mais comment expliquer alors l'existence antérieure de ces titans financiers où les officiels, tout-puissants sous l'ère seconde, semblaient déjà absents, ne se contentant que de percevoir avec distance la traditionnelle taxe prélevé par l'organe économique de l'Empire ?

On le déduira facilement, il y avait là une incohérence fondamentale dans le discours des partisans dissolutionistes de 340 AUC. Une incohérence imputable à une méconnaissance de l'Histoire de DreadCast dans un secteur où cette discipline ne figure pas dans les cursus délivrés par l'Université Impériale. De là à supposer qu'elle devrait être un enseignement obligatoire pour qui prétend à une carrière politique, il n'y a qu'un pas.

Ainsi, dans le calme de leurs immenses cercles-forteresses, les corporations semblent comme de paisibles géants endormis. Trop massives pour souffrir de la dissolution théorique de leur statut de pilier de l'Empire, trop essentielles pour risquer l'ingérence des fonctionnaires dans leurs affaires internes, elles traversent les décennies poussées par une inertie désormais inarrêtable, et les tentatives d'y parvenir n'ont pas manquées.

Tout au plus regrettera-t-on que certaines d'entre elles se figent dans une capitalisation devenue sa propre finalité. Les crédits s'y accumulent pour ne plus jamais les quitter. Combien fantasmeront encore en vain sur la dot que pourrait leur valoir un mariage avec Elena Valentine, héritière du colossal patrimoine Armacham ?


_L'INCLASSABLE

"«Bordel mais ferme-là!» hurla Sanko en battant le zinc de son poing musculeux, désignant de sa main libre l'écran suspendu où étaient diffusés les résultat du dernier tournoi de DreadBall. Face à lui, la naine s'étrangla, un air mêlé de surprise et d'outrance vissé sur le visage, sa diatribe sur la l'essence divine de la dynastie Enclism comme figée en plein vol.

Sanko n'était pas un enfant de choeur, mais il n'était pas un mauvais bougre non plus. Enchaîner les cycles à l'usine l'emmerdait, les flics qui l'avaient attrapé à fumer un joint à une allocution l'emmerdaient, et depuis qu'elle s'était mise en tête un mariage à la Chambre des Lois, même sa copine l'emmerdait. Il n'y avait qu'ici qu'il pouvait retrouver un peu de paix, et voilà que cette nordiste trop bavarde venait gâcher ce moment.

Ce sudiste pur-jus n'avait rien contre l'Empire, dans le fond : il s'en foutait. Même en se forçant, il n'arrivait pas a écouter les dernières nouvelles de la politique de Marran sans piquer du nez. Sanko, il voulait simplement un peu de mou dans la laisse. Bouffer une brochette de contrebande, de temps en temps. Casser une mâchoire ou un tibia, si ça payait bien. Personne n'en était encore jamais "mort-def", après tout. Non ?"


Sans que quiconque n'en soit surpris, c'est bien le troisième pilier, que l'usage désigne comme celui de la criminalité, qui aura fait couler le plus d'encre dans les lignes brûlantes du DreadCast Network lorsque les éditos n'étaient plus occupés à encenser les fonctionnaires les plus honorables du premier pilier.

Il était pourtant difficile de définir exactement la criminalité dans le secteur Un, dans la mesure où elle se confondait de façon trouble avec le pilier du gouvernement et le pilier des corporations.

En effet, comme nous l'avons évoqué, il n'était pas rare qu'une "personnalité sudiste", pour évoquer un euphémisme courant en ville, se mette un temps au service d'une Organisation Impériale sans toutefois rompre avec ses habitudes, ses pratiques et son entourage d'origine. Difficile aussi d'évoquer la criminalité traditionnelle du secteur Marran sans parler de la Donnellys Corporation, dont le nom était transparent quand à son appartenance au second pilier et où l'on trouvait cependant, répartie dans les différents commerces, une portion considérable de ce que les fonctionnaires considéraient comme la pègre, au point d'exiger la dissolution de la corporation -une marotte-.

Ce flou qui pesait sur les limites du pilier criminel dans le secteur semblait d'ailleurs trahir l'inexactitude de son nom : plus que des individus vivant du crime -souvent moins lucratif que les affaires régulières, comme la récolte farine-, les membre du troisième pilier semblaient plutôt composés d'individus plus rétifs à l'autorité que la moyenne de la population impériale, sans que cette aversion ne passe toutefois le seuil inacceptable de la dissidence ou de la rébellion. Désigner cette population de "criminelle" aura été une manière synthétique de la présenter, à plus forte raison dans la mesure où elle était essentiellement constituée de commerçants partagés entre la Donnellys Corporation et quelques établissements indépendants affiliés au Sud.

Obstiné, chahuteur, insolent-même, ce troisième pilier aura longtemps été considéré comme une épine dans le pied des fonctionnaires, dont l'aura de supériorité morale ne semblait avoir que peu de prise sur ces habitants du Sud. Ainsi, comme nous l'avons évoqué dans le chapitre qui lui est dédié, plus le premier pilier tendait a se considérer comme le dernier représentant de l'Empire, plus il en venait a considérer ce troisième pilier comme un ennemi de l'intérieur. C'était un divorce qui mettrait un terme à la doctrine intégrationniste d'Alleria Windrunner.

Le Sud, pourtant, ne s'est pas dépeuplé durant les années pré-dissolutions, malgré les condamnations publiques de plus en plus nombreuses des officiels successifs. Au contraire, il s'est densifié, rassemblant autour d'une culture bâtarde attractive des individus aux aspirations pourtant très différentes, de même qu'en était leur rapport aux autorités traditionnelles.

Il est difficile d'expliquer clairement les raisons du succès du troisième pilier, tant chacun a ses raison de l'avoir rejoint. Il y a eu dans cet ensemble diffus des turbulents-né, des fonctionnaires déçus, des guerriers sans but, des amants réunis, des criminels en quête d'un milieu protecteur, des commerçants cherchant un bon territoire, et même de simples esthètes attirés par le style de vie du Sud...

Les Trois Piliers avaient-ils réellement enfantés cette situation que les fonctionnaires supportaient de moins en moins ? Les plus attentifs auront remarqué que la réponse a déjà été apportée dans cet ouvrage. Si, en 152 AUC, un cartel criminel avait su évincer le pouvoir pour s'offrir un secteur entier, cela ne signifiait-t-il pas que la criminalité, à l'instar des corporations, n'avait pas attendu l'apparition de la doctrine pour exister ?


_SOUS LE NON-DIT

"L'alarme retentissait bruyamment au travers des chaînes de production de la Techna Ind., et si son cri strident était une horreur aux étrangers profanes, il sonnait comme un chant de délivrance aux oreilles pointues de Nahi. L'elfe ne tarda pas a se débarrasser de son casque de protection, chassant d'un geste du poignet le mélange acre de sueur et de suif qui s'était accumulé sur son front.

Suivant le flot des ouvriers qui se dirigeait vers le réfectoire, elle sortit de son sac le sandouich aux oeufs qu'elle avait préparé dans la matinée. Arrivée au banc où elle avait ses habitudes, il lui fallut jouer des coudes pour pouvoir s'installer à proximité du poste télévisé qui crachait, monotone, les dernières nouvelles. Un casse-croûte, un écran... Il ne manquait plus qu'une pixelienne fraîche pour achever dignement ces huit cycles de travail consécutifs.

Nahi ne s'était jamais battu de sa vie. Jamais très sérieusement, disons. Sa boite du Centre-Ville était d'un naturel placide, et c'est vers la fonte d'aluminium que tous s'y focalisent. Aussi fut-elle surprise d'entendre qu'elle était maintenant une menace pour l'Empire, et que les Trois Piliers seraient dissous en conséquence. «Mais qu'est-ce qu'on nous reproche, maintenant ?» se demanda-t-elle, «Qu'est-ce qu'on donc foutu les corpo'?»


Quoiqu'elle a déjà été largement suggérée à quelques reprises dans cet ouvrage, il faut sans doute prononcer l'évidence non-dite. Objectivement, les fonctionnaires n'avaient pas de problème particulier avec les corporations, les commerçants et les industriels de Marran : c'est le pilier criminel qui les irritait.

Dans cette crispation civile qui a aboutit aux évènements de 340, les consortiums ont ainsi été des victimes collatérales : s'il fallait s'en prendre aux Trois Piliers pour mettre le grappin sur la criminalité en Empire, les diverses corporations de Marran seraient de facto intégrées dans le discours dissolutioniste, fut-ce sans raison notable.

Il faut cependant observer que la situation des corporations ne s'est pas réellement dégradée avec la fin de la doctrine d'Alleria Windrunner. On serait tenté de dire qu'il en a été de même avec le crime. Les raisons paraissent toutefois différentes : ici, les fonctionnaires n'entendaient pas spécialement intervenir dans la situation de ces grands groupes commerciaux. Il est d'ailleurs probable que ServerGuard lui-même n'y avait pas pensé lorsqu'il s'est laissé séduire par la perspective de la dissolution : les corporations, calmes et repliées sur elles-même, s'étaient faites sagement oubliées.

Ce nihilisme inhabituel pour un fonctionnariat puisant généralement, avec un certain brio, sa légitimité dans l'ancienneté de ses rîtes et pratiques pourrait surprendre si l'on reste sourd au contexte dans lequel s'est produite cette amputation de l'un des plus anciens symboles politiques du secteur.

S'il est difficile -et vain- de dire qui, le premier, a lancé les hostilités, corps de fonctionnaires et guerriers sudistes s'étaient encore enlisés dans l'un de ces innombrables affrontements qui, traditionnellement, s'achevaient par des négociations assurant la paix civile pour quelques temps. La balance militaire penchant souvent du côté des forces du troisième pilier, il faut préciser que c'est pour ce dernier que les négociations étaient les plus favorables, ce qui était une compromission insupportable pour la frange belliciste du pilier gouvernemental, sinon un aveu d'échec de l'Empire dont elle revendiquait l'exclusivité.

Prospérer dans la concorde, ou s'éteindre dans l'honneur. Que choisir ? Nous serions trop rapides a condamner la manque de discernement des fonctionnaires les plus belliqueux par la seule réalité du rapport de force : chaque perspective devait entraîner son lot de vertus impériales, de satisfaction immédiate et de regrets inévitables. La solution dissolutioniste devait sans doute apparaître, dans l'esprit de ses partisans, comme un choix idéal. L'échec et mat qui mettrait un terme à ce dilemme cornélien, celui qui conduirait à la victoire totale des fonctionnaires sur les forces intérieures.

Ces individus, pourtant, pêchaient par naïveté. Sans doute étaient-ils trop inexpérimentés pour appréhender la faisabilité de leurs ambitions, ou trop aveuglés par la haine qu'ils portaient envers ces adversaires intérieurs.

On trouvait dans le premier pilier des politiciens éprouvés, et réputés pour le sang-froid avec lequel ils abordaient les épreuves, à l'image de l'Ambassadeur en fonction. C'est pourtant dans ses allocutions, d'ordinaire plus nuancées, que l'on voit fleurir en l'an 340, dans les pas de ServerGuard, l'idée selon laquelle l'échec des forces policières contre les forces sudistes était imputable à la doctrine des Trois Piliers, qui bridait la puissance d'action du gouvernement.

Etait-il convaincu de ce qu'il affirmait ? Ou devait-ils apparaître solidaire avec la décision d'un ServerGuard sur lequel il n'avait plus de prise non plus ? Dans un cas comme dans l'autre, l'Histoire n'allait pas lui donner le beau rôle.


_PAR-DESSUS LE SMOG

"Une pièce, le soir. Sur une table, un très vieux dictionnaire, de papier jauni. Posé à côté, un sabre, court, dénudé, à la lame blanche. La porte s'ouvre, et Saartr entre.

Il s'approche de la table. Un œil jeté à la lame, au vieil opus. Saartr réfléchit, un temps. Le jour tombe. Dehors, il fait déjà sombre. Un hochement de tête; il a choisi. De sa poche, il tire un stylo. Simple, bon marché, noir. Sa main libre ouvre le dictionnaire, ses doigts parcourent soigneusement les pages. A, B, C, D...

Un néon grésille bruyamment dehors. Saartr ne s'en préoccupe pas. Ses gestes se figent. S. Son doigt parcourt le papier, il cherche le mot. Une mite s'envole, rebondit contre les carreaux sales. Le mot est trouvé. Sabre.

Saartr retire le capuchon de son stylo. Presse la pointe contre le papier. Raye nerveusement le. Une large bande noire fait disparaître le mot, puis la définition. "Sabre" n'est plus dans le dictionnaire. Il ferme l'opus. Le sabre à la courte lame blanche demeurent encore là.

Saartr comprend. L'essence précède le sens. Pour détruire le sabre, il ne suffit pas d'en faire disparaitre le nom."


Le secteur Marran semblait souffrir, depuis quelques décennies, d'une épidémie de ce qu'on serait tenté d'appeler la post-vérité, et il fallait bien s'attendre à ce qu'elle contamine suffisamment le tissu du fonctionnariat pour influencer ServerGuard.

Il faut, par post-vérité, comprendre une tendance à ne plus vouloir se confronter à la réalité des faits, mais a lui préférer une vision favorable à notre confort mental. Un réflexe cognitif qui nous pousse à nous décharger de la responsabilité, fut-elle collective, d'une mauvaise expérience pour l'attribuer à ce qui n'est pas soi.

Tel match perdu n'est pas excusé par la fatigue ou le manque d'entraînement de notre équipe favorite : c'est le mauvais arbitre qui a favorisé les joueurs adverses. Tel affrontement perdu ne peut pas s'expliquer par une défaillance du corps fonctionnaire : ce sont les Trois Piliers qui l'entravent. Un thème à succès dans le secteur Un.

La jubilation de la dissolution de 340 n'a été que de courte durée pour ses partisans : il n'aura pas fallu trois ans pour que le gouvernement ne perde le contrôle de la situation. Supprimer le troisième pilier n'avait curieusement affecté ni l'existence de la criminalité, ni sa pérennité.

Pire. En mettant un terme au projet intégrationniste d'Alleria Windrunner, la dissolution de 340 indiquait qu'il n'y aurait désormais plus de bannière impériale sous laquelle tous pourraient se reconnaître, par-delà les adversités locales.

On a pu voir, dans les allocutions officielles, le fantasme de voir renaître un fonctionnariat omnipotent, désormais libéré de ses entraves doctrinaires. Les criminels n'allaient pas être exclus de la communauté : ils étaient affranchis de l'étiquette "Impérialistes" pour mieux être reconquis, réintégrés dans le giron du gouvernement selon des conditions définies par ce dernier. Une reconquête, on le verra, qui passerait par un usage plus volontaire de la cuve et de la menotte.

Lorsque la réalité s'est imposée aux partisans victorieux de la dissolution, on suppose un atterrissage brutal. Les heurts avec la population sudistes n'ont pas décrus en intensité, et il allait être délicat pour le gouvernement de revêtir désormais ce vieux masque de la concorde après s'est prononcé aussi violemment en faveur de la mise à l'index des membres du troisième pilier. De la manière la plus cuisante possible, les dissolutionistes découvraient comment, à l'aube de la troisième ère, les Trois Piliers n'avaient pas été une faveur accordée aux populations vivant hors du fonctionnariat, mais une nécessité pour ne pas y voir emerger un ennemi de plus. On devine l'honorabilis Alleria Windrunner se retourner dans sa chape de glace.

Il serait faux de dire que la dissolution a été une défaite complète pour les fonctionnaires : malgré le chaos ambiant, certaines élites ont su brillamment tirer leur épingle du jeu. Ainsi voit-on par exemple, à la même période, se lever la limitation maximale de durée d'un mandat à l'Ambassade, auparavant fixée à douze ans. Si quelques forces gouvernementales, parmi les plus influentes, avaient échouées a redessiner le monde selon l'architecture qu'elles avaient à l'esprit, au moins pouvaient-elles se consoler dans la perspective de garder indéfiniment leur siège, fut-ce par hubris ou dans l'intérêt de l'Empire.

En d'autres temps, cette réforme aurait prit des airs de putsch, insupportables dans la mesure où il était mauvais de privilégier l'individu plutôt que l'institution. On peut supposer que l'import soudain de ServerGuard au sommet de la hiérarchie légale, quelques décennies plus tôt, a ici fait office de coup d'essai, dans la mesure où il s'est fait sans heurt ni contestation notable.


_LE VIN EST TIRÉ

"Tzen profitait de l'accalmie pour étendre, au travers de la corde tendue à sa fenêtre, un chapelet de linge humide. Quelques étages plus bas, le vent balayait les dernières effluves de violence, tandis que se dissipaient les derniers belligérants. Il n'était pas déraisonnable de considérer que le calme, entre deux tempêtes, allait revenir pour quelques cycles dans cette voie commerciale du Centre-Ville.

Quand cette espèce de machin artificiel -ServerGuard ?- s'était exprimé sur le réseau AITL, annonçant le retour d'un contrôle gouvernemental absolu sur chaque parcelle du secteur, Tzen avait été l'un des nombreux optimistes qui s'en étaient réjouis : les heurts entre truands et les forces de l'ordre devenaient fréquents en bas de chez lui, et il ne comptait plus les nuits blanches passées a trembler pendant qu'en bas, un affrontement battait son plein.

Quand, le lendemain matin, les truands sont revenus comme si de rien n'était, Tzen était resté interdit. Les cycles s'écoulèrent, puis les jours, les heptades, et ces gros-bars demeuraient là, fiers et menaçants. L'homme finit par se convaincre qu'il avait été la victime d'un canular, le sale coup d'un pirate informatique. «On a pas idée d'annoncer des trucs pareils» pensait-il, «faut pas avoir l'esprit bien net pour se moquer des honnêtes gens.»"


Quelles ont été les conséquences de la dissolution sur feu le premier pilier ? On peut observer que sur le seul plan de la présence de l'État dans la vie quotidienne des citoyens, il n'y a eu presque aucune différence notable, en dépit des ambitions affichées par les partisans de 340. Il est vite apparu, aux plus inexpérimentés, que les membres d'organisations comme le Quartier n'allaient pas quitter aussi facilement leurs oripeaux criminels pour adopter la tenue plus sobre, ici d'un technicien des Services Techniques, ici d'un greffier de la Chambre des Lois, ici d'un pigiste du DreadCast Network.

On serait toutefois malavisé d'être trop méprisant envers les dissolutionistes convaincus. Pour la plupart, il s'agissait de fonctionnaires qui se sentaient incapables, à tort ou à raison, de se mesurer à ces grandes figures sudistes, et qui se sont raccrochés à la moindre corde possible pour ne pas se noyer, fut-elle aussi illusoire que la déclaration de 340. Moins qu'une tendance à la frénésie nihiliste, on peut supposer que c'est bien un sentiment de vacuité professionnelle qui les a conduit à adhérer à un mécanisme qui n'avait de logique que dans l'esprit de ses architectes.

Comme nous l'avons déjà évoqué, il est difficile de dire si l'Ambassadeur de l'année 340 avait été complice ou victime de la décision, par ServerGuard, de mettre un terme à la doctrine fédératrice. Toujours est-il qu'il s'est trouvé dans la situation pénible, aussi évoquée, de revenir à des projets plus réalistes. Le vin était tiré, il fallait le boire. Ainsi le voit-on, dans l'une de ses déclarations suivantes, regretter que l'organisation du Quarter demeure toujours si véhémente en dépit de négociations aux conditions largement favorables à la criminalité. Des négociations, comme à l'époque des Trois Piliers.

Il est à craindre que cette dissolution échouée ne joue pas en faveur d'un gouvernement déjà affaibli par le manque d'attractivité et les situations de mauvaise gestion. Pour beaucoup, intégrer feu le premier pilier relevait du bénévolat, sinon de l'acte de pénitence pour mieux démontrer sa ferveur impériale.

Le salaire des fonctionnaires moyens est, en effet, parmi les plus bas du secteur, et il n'est pas si rare que certains postes, à l'image du soldat du Militarium ou de l'agent du Cercle de l'Orient, impliquent un important investissement financier dont la charge revient largement au postulant. Un investissement que son salaire ne pourra jamais amortir : voilà qui n'est pas sans rappeler aux amoureux d'économie l'arnaque du montage financier pyramidal.

Comment, alors, rester attractif ? Sans revenus, et sans la fierté d'être dans le camp victorieux, le premier pilier semble condamné a être spectateur de la vie du secteur sur lequel il revendiquait là une autorité totale. Cette situation tendrait même à s'auto-entretenir : en n'ayant a disposition qu'un vivier restreint de fonctionnaires, la noblesse se retrouve a piocher, par défaut, parmi des individus sans grande compétence ou sans expérience. Individus qui, par effet de nivellement, vont contribuer eux-même a sélectionner d'autres individus qui leur sont semblables.

Faut-il s'attendre, dans les décennies à venir, à d'autres naufrages similaires à la dissolution de 340 ? On peut en effet le craindre, car si le retour à la réalité a du être formateur pour une frange de la classe politique, on observe aujourd'hui que les diatribes contre un troisième pilier qui ne dit plus son nom ne sont pas terminées.

Toutefois, ne désespérons pas de voir un jour un groupe d'individus compétents et charismatiques prendre les postes de pouvoir et restaurer, par des méthodes plus adaptées à la réalité du terrain, la grandeur du premier pilier.

Après tous, ces individus auront désormais l'éternité pour la faire perdurer.

Acius I.
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24 Mars 2024
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