EDC de 39094

C’est sans doute la première drogue du secteur. Et totalement légalisée…

Je me souviens encore de cette odeur. Cette odeur de poil d’écureuil grillé. Entêtante. Nauséeuse. Quelques plumes qui virevoltent au ralenti dans ce 9m² où câbles, sachets de biscuits éventrés et canettes de glukoz’, vides et froissée, se mêlent. La matrice n’est pas un jouet… Je balaye la pièce du regard, le glisse sur les terminaux engoncés entre des systèmes de refroidissements artisanaux. Le vaut’ vient de clamser. Il bave encore, léger filet noirâtre s’échappant de ses yeux liquéfiés. P’tin, va falloir que je trouve un autre gus pour tester mon cocktail. Je l’enjambe, fouille distraitement, éjecte quelques puces que je glisse dans une des poches de ma besace, sans doute quelques données arrachées de fréquences intimes ou des séries de 6 chiffres. Je jette un dernier coup d’œil au corps inanimé. Faut vraiment être con pour se laisser piéger entre un 0 et un 1. F’in chacun sa drogue…

Encore une loque, vautrée dans un coin. Casque vissé sur la tête, l’air hagard. Pas étonnant que certains soient si déphasés de la réalité. A force de plonger, on finit par se noyer. Faudrait leur dire de jamais sortir sans sa bouée…

Un hurlement de douleur. Des meubles fracassés. Un voisin vautour. Une matrice HS. Voilà ce qui arrive quand on a pas sa dose…

J’accroche les étoiles sans rien dire. Parfois, les mots ne servent à rien. Ma main glisse sur ses courbes, pensive. Une poche vibre. Satie. Elle a faim. Je quitte la chambre, passe par le frigo que je vide d’un gobli’. Les biscuits de ma besace suffiront.

« Ye veux te voir, toi !! Ye sais pas où ye suis. »

Une voix fluette, vers le Sud.

« Y a des corffes !! Viens voir !! »

L’Orbital, sans aucun doute. Nouveau message :

« On va youer à la marchande de sous, tu veux ? »

La frange dans mon dos, je dévisage la miss à peine entraperçue la veille à la Moule. Entre temps, des messages. Juste une liaison entre ESZD. Et me voilà en face de la gobeline.

- Tu veux combien de krédits ?
- Juste un…
- D’accord ! Un, deux, trois, quatre…

Ces mains s’agitent, actrices de son mime. Je m’approche, goblikoz’ en main. Elle me regarde les yeux pétillants, gros sourire. Il lui manque une dent.

- Une boisson qui pique !

Il est arrivé, avec toutes ses questions. Un peu relou. Une première plainte, sourde. La voix dans sa tête. La Dame. Pioupiou lui prête son casque, un peu hésitant.

- Tu me le rends après d’accord ?

La voix s’estompe. Les larmes sèchent. Reniflement. Elle file déjà. Un casque... quand même plus pratique qu'un frigo non ?

« Tu es yentil ou messant toi ? »
Je souris devant le message qui se crypte. Ca sera déjà ça de fait. La matrice saturée, j’peux pas les stocker sur l’espace de feu l’androïde. Il m’aura quand même appris quelques trucs. Mon regard se pose sur mon avant-bras cybernétique.

- Ion !!

La gobeline quitte l’attroupement pour s’accrocher à ma jambe. Je m’agenouille sous les regards curieux, sort un gobli qu’elle avale en moins de temps qu’il ne faut pour le d… pour l’écrire. La Chose s’approche. Quelques reniflettes. Satie se laisse vite distraire, s’approche du bureau, dévisage la femme.

- C’est quoi tai jouets ?
- Pardon ?
- C’est quoi tai jouets ? *montre la paire de 9mm*
- Ca ? C’pas pour les enfants…
- Yen veux un !!

Je ne peux réprimer un léger rire, ouvre une nouvelle fois ma besace et en sort un pistobille.

- Tu veux mon jouet ? Il est encore mieux !!

Satie sautille vers moi. Le jouet change de main.

- Tu dois viser la crête de Zye ! Le casque c’est 10 pts !
- Hirrrk !

Satie débouche les feutres, commence à la maquiller. Je quitte le nain pour me rapprocher de la gobeline concentrée. Un rond se profile sur la joue de l’humaine.

- Elle est yolie hein Ion ?
- Tres jolie oui. Peut-être un peu plus de couleurs autour des yeux non ?
- Laetitia être ton namoureuse ! *barbouille ses lèvres de rouge, fière d’elle*

Je sourie doucement à la remarque.

- T’sais on peut pas avoir deux namoureuses…

Satie me dévisage, yeux ronds.

- S’être Emy ton namoureuse ?

La journée s'étire à n'en plus finir, l'impression d'avoir longé le secteur de long en large. Encore une course poursuite. Le chauve. Calculateur.

« Ye suis en bas. Tu viens ? »

En bas, en bas… Le doute m’assaille. La réponse ne tarde pas à arriver.

« Dans le tunnel ! »