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EDC de 20754

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4. Vae Soli

♪♫musique d'ambiance♪♫

La goutte perle lentement. Elle se fraie laborieusement un passage au fil de la tempe de l'humain. Celui-ci se tient droit face à la lourde porte sécurisée. Les bras croisés, Stilicon Oakenshield semble stoïque sous les lumières éblouissantes du couloir menant au Siège Impérial. Attitude commode pour garder contenance et assurer un maintien, camouflage d'émotions utile pour qui veut ne veut pas donner à voir.
Si la parole nous enchaîne, on est toujours maître de ses silences.
Si le geste est un signe, croiser les bras revient à rester immobile.
L'immobilité, c'est le silence. Il le sait.
Le sang reflue dans ses tempes, guidant la sueur qui glisse jusqu'à...rien. D'un geste rapide de l'index et du majeur de sa main gantée, Stilicon s'essuie la partie latérale du crâne : la sueur disparaît.
L'attente peut reprendre, et il ne montrera pas de faille sous Son regard.
Les portes s'ouvrent sur le Bureau. Un silence, encore. Mais celui-ci n'est plus agité de l'angoisse de l'attente. Non. Ce silence là est lourd, assourdissant, funèbre. C'est du moins ainsi que le ressent le jeune humain tandis qu'il laisse errer la paume de sa main le long du siège de Son porte-parole. Des noms lui viennent à l'esprit, qui se bousculent dans un écho sans bruit. Certains ne sont que des informations obtenues lors de ses recherches, d'autres sont des affects connus par une contemporanéité qu'il délaisse à cet heure.
Stilicon pose son regard sur le Siège. C'est à cet instant qu'il sent le Sien posé sur lui.
Deux siècles ont passé. Des âmes ont passé. A lui de donner un peu de la sienne, ou de la perdre définitivement. Non, il n’œuvrerait pas pour lui, mais seulement pour Lui, et le dessein qui l'avait animé. C'est du moins ce que pense lord Oakenshield, tandis qu'il murmure quelques mots ressassés depuis la veille, en marchant lentement le long du bureau de l'Ambassadeur :
"A toi qui t'avance et siège au nom d'Imperator,
Dépose tes envies, délaisse tes amis,
Méprise les flatteurs ainsi que l'inertie.
Pour être digne de Lui, sois prêt à avoir tort,
Et tranche d'une voix ferme, serein sous Son regard."


Le nouveau Legatus Imperatoris s’assoit, le regard fixe, sans ciller.
A-t-il ce qu'il voulait ? Il ne se pose pas la question.
Sait-il ce qu'il voudrait ? Il aurait bientôt ses réponses.
Stilicon scrute ses mains gantées posées sur les accoudoirs du fauteuil. Il replie les doigts, les paumes ouvertes et tournées vers lui. Ce n'est qu'ainsi qu'il sent vivantes ces mains qu'il a voilé. Privées de sens, elles limitaient ses envies. Sa cilice était visible par tous, mais qui s'en souciait, ou même le comprenait ?
Et pourtant les questions, les appels, les plaintes et les récriminations ressurgirent en lui, comme un appel à ce qu'on désirait qu'il soit. Il entendait les voix d'hommes et de femmes qui bousculaient sa route en de douces amitiés qu'il accueillait avec un calme froid.

"Vous n'êtes pas drôle, Stilicon".
C'est un fait.
"Allons, on vous en accuse : autant le faire !"
Non.
"J'aurais désiré plus..."
Comme tout un chacun.
"A trop vous hisser, on ne vous voit plus."
A trop se rabaisser, on ne voit que l’égout.
"Tu es d'une probité révoltante."
Je le veux.
"Tu veux donc être si différent ?"
La foule est une somme d'erreurs qu'il faut corriger. (1)
"Je ne suis pas d'accord !"
Non, vous êtes choquée.
Le déni et le refus l'insupportaient. Pourtant, la fuite et le divertissement sont l'axiome de l'Humanité rescapée, cloîtrée dans une Cité qui n'a pour horizon que les murs la séparant de la mort.
La brute fuit l'ennui en hurlant, arme au poing, dans une violence qui n'est qu'un oubli de la vacuité de sa vie. L'indolent pacifiste recule, s'abritant dans la naïveté, la mièvrerie et la ouate d'idées superflues. Le cynique fume, boit et ricane, désarticulant un esprit aigre dans un dédain sans risque, quand il donne aux acteurs les misérables leçons du spectateur. Le fanatique renferme son esprit et le replie dans l'inviolabilité d'un sanctuaire délétère, où tourne un syllogisme sans fin et sans couleur. L'inconséquent se perd dans un rire salvateur, afin de nier la difficulté en s'épargnant l'obstacle, délaissant le sérieux pour éviter le vrai et la peur.
Oui, l'Homme fuit. Et il n'aime pas regarder son propre visage.
C'est peut-être pour cela que Stilicon évite de fixer l'écran de contrôle éteint devant lui.

Vae soli ! (2)
Stilicon s'est souvent demandé qui il était vraiment. Il avait renoncé à une réponse univoque. Il était ce qu'on voyait de lui, et chaque individu projetait sur son nom des émotions diverses, allant de l'affection la plus charnelle à la détestation la plus violente.
Il savait qu'il n'était qu'un homme. Il savait qu'il était faillible. Il savait qu'il fallait un espoir pour l'Humanité. Tout le reste découlait de la réponse à apporter à cette triple équation.
"Je dois devenir l'homme que je suis. Faire ce que moi seul peux faire. Devenir sans cesse celui que je suis, être le maître et le sculpteur de moi-même."
Ceux qui le pensaient imbus et hautain ne voyaient qu'une surface. Le passé et la mort hantaient cet homme qui ne restait de marbre que parce qu'il se sentait poussière dans le creux d'une main titanesque. Stilicon a vécu la gloire et la chute de noms célèbres, il a lu l'Espoir et Son départ, il a vu les ruines et l'Enfer périphérique enserrant l’Humanité. Il avait une conscience du temps diluée, longue, profonde, que sa jeunesse physique ne lui avait pas épargné. Pour lui, la Vie et le Destin de l'Humanité étaient tragiques, et cela le résumait tout entier.

Sic Transit Gloria Mundi.(3)
L'Ambassadeur effectua les premières réglages. Il repoussait avec une certaine difficulté l'instant où se trouveraient concrétisées des années d'efforts et de recherches. Répugnant à se donner en spectacle à des journalistes qui ne le comprendraient sans doute qu'à moitié, il décida d'enregistrer seul l'appel qu'il allait lancer. Une conviction jetée à l'écho de la Cité. Il était allé loin pour une raison peu banale : il croyait en ce qu'il disait.
Il voulait un espoir. Un élan. Une ferveur enthousiaste portée par une vague humaine qui trouverait un but au delà d'un comptoir de bar, pour frapper la digue de murs trop hauts pour être abattus.
Ses mains ne tremblaient pas tandis qu'il s'adressait seul à la multitude, dans le silence d'un bureau.
♪♫"Frères et sœurs impérialistes ! Je viens à vous à la lumière des récents évènements, pour lancer un appel à la raison..."♪♫
***
L'allocution était enregistrée. Eumée, l'I.A. domestique de l'Ambassadeur, retravaillait les données et traitait la mise en forme technique. Il disposait de peu de temps avant que n'arrive l'inéluctable afflux de félicitations, d'insultes, de doléances, de questions ou de menaces.
Oui décidément, il avait trop repoussé cet instant.
Non pas celui d'une prise de fonction ; pas plus que celui d'un appel à l'Unité Impériale, si nécessaire lui semblait-il.
Non. Il avait repoussé le temps du savoir et de la vérité. Le jeune lord retira alors ses gants et put trembler à son aise tandis que ses doigts s'approchaient du Terminal de Sécurité et d'Archives de l'Ambassade Impériale.
L'écran s'alluma. Tant mieux : il ne verrait pas son propre reflet.
Comme tous les autres, Stilicon fuyait une réalité.
Spoiler (Afficher)
(1) Citation de F. Nietzsche.
(2) "Malheur à l'homme seul !" l'Ecclésiaste, chapitre IV, verset 10.
(2) "Ainsi passe la gloire du monde."

◊ Commentaires

  • Kambei~7880 (258☆) Le 08 Septembre 2012
    Un texte puissant qui ne trahit pas la musique qui l'accompagne. Le premier qui donne envie d'être impérialiste. Chapeau!
  • Zartam~21969 (680☆) Le 08 Septembre 2012
    Les rôlistes au pouvoir !
  • Krix_Thuil~20861 (74☆) Le 08 Septembre 2012
    Tout simplement énorme , comme toujours, Continu ljd, un plaisir de te lire !
  • L-X~19531 (1540☆) Le 08 Septembre 2012
    Parfois, je t'aime...