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EDC de 20754

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1. Omnis homo mendax


Le panache de fumée ocre obscurcit le ciel et le fog descendu fait de la ruelle un couloir brumeux où l'on ne se repère qu'aux raclements de gorge de pauvres types.
Il y a bien le vrombissement de quelques overboards et les cris rageurs d'un hère qui voit une ombre disparaître, quelques crédits en poche.
Il y a bien la lueur de néons clignotant dans un concert lumineux, pathétique et discordant. Il y a bien, de temps à autres, quelques coups de feux.
Et puis il y a un pas. Lent, Régulier, lourd.
L'homme s'avance. Son visage fermé semble se confondre avec la monotonie du décor. Les traits sont durs, le regard apparemment inexpressif. Il ne vit pas dans l'instant présent et la puanteur du lieu qu'il traverse glisse sur lui sans l'atteindre. Il n'est pas ailleurs : il est dans ses souvenirs.

"Hey Stil'! Viens donc, j'vais te décoincer un peu!
- J'ai à faire."
En fait, Stilicon Oakenshield n'avait rien eu à faire. Ou plutôt il n'en avait rien à faire du Troll qui lui avait fait cette proposition. Il avait menti en somme. Peu importe, ça n'avait pas grand chose à voir avec le mensonge de ce même Troll, qui quelques jours plus tard fuyait nuitamment par les Souterrains, pour ne plus revenir.

L'homme trébuche, son pied glissant dans un liquide noir et épais. Mieux vaut ne pas savoir ce dont il s'agit. L'escalier métallique aux barreaux luisants offre l'avantage de quitter plus rapidement un sol malsain. Chacun de ses pas résonne dans un léger crissement qui se répercute sur les murs des taudis de la rue de la Propagande. Enfin il arrive au niveau de la plate forme surplombant les terrasses des immeubles alentours. On l'attend.
Une silhouette se dessine dans la pénombre, auréolée des froides lumières des gratte-ciels se dressant plus au nord, en Haute Ville. Ses vêtements sont ternes, ses mouvements sans grâce, sa voix désagréable. L'homme se dit que celle qui semble être une femme est aussi tortueuse et sale que la ruelle qu'il vient de quitter.
"En retard, militaire...
- J'avais à faire."
Il ne sait pas si la grimace qui se dessine sur le visage est un signe ironique, ou la satisfaction d'une remarque à vocation commerciale. Peu importe, la femme sort déjà de la sacoche l'objet lourd et long qui s'y trouve, le métal luisant soudainement sous le tissu synthétique.
Le voilà...avec cela, vous allez pouvoir traîner dans le Quartier Sud sans problème...
- En bon état? Fonctionnalités?
- Le FI 2615 ? Léger, extrêmement maniable, adapté aux gauchers comme aux droitiers, démontable en sept pièces, ne craint pas l'humidité, indétectable aux rayons X, idéal pour les interventions rapides et discrètes. Vous voulez de la puissance de feu ? Batterie en titane, magasin rotatif permettant de tirer 30 coups de 3 à 300**. Comment ils disent déjà à Armacham ?...un instrument de paix pour faire la guerre...ou quelque chose qu' approche.
L'humain soupèse l'arme, dédaignant la trafiquante qui a visiblement appris par cœur une notice. Il entrouvre les lèvres tandis qu'il s'apprête à regarder la femme.
"50 000 crédits. Non négociable. Je suis pressé M. Oakenshield...
- Je n'ai que 39 000 crédits sur moi...
- Vendu."
L'homme acquiesce, saisissant d'un geste l'arme qu'il place dans sa sacoche dorsale. D'un rapide pianotage sur le terminal enserrant son poignet, le militaire effectue le transfert. Un léger tintement indique que la femme l'a bien reçu. Elle opine de son visage encapuchonnée.
"Un plaisir M. Stilicon.
- N'en rajoutez pas."
Déjà le militaire se détourne, et poursuit son chemin sur la plate-forme métallique. Peu de couleurs, peu de passage. Une fois retourné sur la rue de Déanétique, il croise un petit être écailleux accompagné d'un Troll surmontant un cadavre qui disparaît déjà. Les deux humanoïdes regardent un étage du gratte-ciel.
"Méchante gerbe!"
La vie est une comédie. La mort aussi. Et les rues sont des caniveaux géants pleins de sang.*
La marche de l'homme continue et ses pas le mènent dans des rues désertes. Quelques portes poussées et un digicode plus tard, le voilà dans un appartement miteux. Un vieux cube cabossé semble faire office de poste d'holovision, celle-ci était resté allumée. L'homme ne voit que son semblable s'agiter frénétiquement, une joie artificielle illuminant son visage aux traits corrigés par une chirurgie plastique.
"La tourte d'écureuil Zlatora comblera tous les palais..."
L'homme pose son colis sur le lit monoplace, encore recouvert d'un plastique de nettoyage automatique. Changement de chaîne:


Une femme apparaît un bref instant. Froide, Rigide et hautaine. Elle parle de l'Imperium, elle parle de danger, elle parle d'hérésie, elle parle de solution, elle parle de châtiment. Elle parle.
L'homme retire le tissus du FI, et éteint le poste.
Pour la première fois, l'homme esquisse un sourire. Il jette un œil aux deux arbalètes métalliques, froides et silencieuses, accrochées sur le mur décrépi au dessus du lit. Ses mains gantées prennent en main l'instrument de mort nouvellement arrivé.
"Instrument de guerre au service de la paix, pas l'inverse, pourriture..."
Il chasse de son esprit l'amertume d'avoir du recourir à cette même pourriture.
Il caresse l'arme, impressionnante, nouvelle, séduisante dans son apparence comme dans les opportunités qu'elle promet. Il pivote, plisse un œil...et ouvre le feu sur le panneau cramoisie où figure une poupée gynoïde aux courbes prometteuses et mensongères.
La pièce s'illumine d'une lueur de feu et de mort...un bref et unique instant. Un voyant rouge éclaire le menton du militaire.

"Mun. 0"
"Mun. 0"

L'homme plisse les yeux. Il presse de nouveau la détente. Lumière. Détonation. Silence.
"Mun. 0"
"Mun. 0"
"Mu..."

Stilicon vérifie le chargeur. Plein, ou presque. De son regard à la pupille changeante, il remarque le diamètre un peu trop grand, et l'élargissement improvisé du conteneur. Le militaire entrouvre la batterie, d'un geste de qui sait manipuler instinctivement une arme. Du cylindre de titane se dégage une faible lueur bleutée. Une inscription:
FI Arm., n°77671.
Stilicon Oakenshield pâlit. Il comprend. Son pouls se ralentit, et son regard se porte à nouveau sur les arbalètes fixées au mur. D'un geste, il rallume le poste. L'émission s'achève, et l'on parle de la nécessité d'abattre l’infâme et le dissident.
Omnis homo mendax. "Tout homme est menteur".
C'est la seule vérité qu'il ait entendu.
Il laisse tomber l'arme vétuste grimée en haute technologie.
Spoiler (Afficher)
* clin d’œil à Watchmen
** clin d'oeil au ZF-one du 5ème Élément

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