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EDC de DREYER~53827

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[1.2] Don't Dream Baby Girl

Attention, cette fiction est réservée à un publique majeur et averti.
Possibles scènes de sexe, de violence, de cannibalisme et d'autres joyeusetés dans ce genre, sans vouloir tout vous spoiler.
Les commentaires sont évidemment les bienvenus !

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Chapitre 2
Vers un passé troublé

Il est passé cinq heures quand c'est elle, enfin, qui quitte la chambre numéro sept du bordel. Le jour ne devrait plus tarder à se lever, mais pour l'instant, le ciel est aussi noir que du charbon. Par la fenêtre teintée du couloir, Sanja devine sans mal la pluie au bruit qu'elle fait en frappant durement la vitre. La fine veste rouge qu'elle porte sur le dos ne la protégera de rien, alors, résignée, elle descend les marches étroites qui mènent au rez-de-chaussée du bordel. Sur son passage, une danseuse encore dénudée lui adresse un signe de tête en guise de salut : la soirée se termine seulement pour bon nombre d'entre elles.
« J'espérais ne jamais te revoir ici ma jolie Sanja.
- Merci Ruby. Je t'ai vue danser, tu t'es améliorée depuis l'an passé. »
Des sourires fades s'échangent en même temps que ces mots creux, avant qu'elles ne reprennent chacune leur route. Ruby se glisse sous un rideau foncé dissimulant l'entrée des vestiaires tandis que la prostituée, elle, s'en va rejoindre le Kobolde dans l'ambiance tamisée du bar à strip-tease. Assis au comptoir, ce dernier boit une coupe de Champkro, le regard perdu sur les innombrables bouteilles d'alcool où se reflètent les lumières stroboscopiques du lieu à présent d'un calme reposant.
« Tu m'attendais ? »
La jeune femme avise un court instant le tabouret aux côtés de l'homme et bien qu'elle sente toujours les tremblements dans ses jambes, elle préfère encore rester debout, s'épargnant d'inutiles souffrances ressenties si elle s'était assise.
« Comme avant ma jolie. Tu veux quelque-chose à boire ?
- Non, merci. Je n'ai plus de cigarettes, en revanche...
- Viens, je t'en offre une. »
D'un geste placide, le petit rouge vide son verre et le redépose sur le comptoir à côté de sa sulfateuse. Comme à son habitude, il se laisse glisser du tabouret pour poser ses pieds au sol et suivre Sanja, qui se dirige vers la sortie de service par-dessus laquelle grésille un panneau Exit bien moins criard que les autres luminaires éclairant d'habitude l'endroit. C'est le Kobolde qui ouvre la porte, pressant la barre métallique horizontale sur laquelle il évite bien soigneusement de poser ses mains.
Le vent de l'autre côté de la porte lutte pour la garder fermée, mais Krok remporte le duel. Un courant d'air glacial traine avec lui un peu de pluie qui s'immisce sans gêne par l'entrebâillement, heurtant durement les deux individus qui passent à contre-sens.
« Quel temps pourri.
- A-t-on jamais connu autre chose que la pluie ? »
Il secoue négativement son museau, laissant la porte claquer dans son dos. Bien qu'il ait vu la peine se dessiner fugitivement sur le visage de Sanja, il évite soigneusement d'en faire mention puisqu'elle est déjà parvenue à recomposer son masque de quiétude déroutante. D'une poigne délicate, il saisit son poignet et l'attire sous l'abri quelques pas plus loin, entre deux conteneurs aux odeurs partiellement camouflées par le froid ambiant.
« Tiens. Ce sont des People's Den, j'ai changé de marque.
- Je te manquais tant que ça ?
- Tu parles. Ta belle gueule manquait à tout le monde. Mais on aurait...
- Préféré ne jamais me revoir ici. Je sais. Ruby, Cristal, Saphir, toutes les filles m'ont dit la même chose.
- Il n'y a guère que Greg pour être heureux de ton retour. »
L'échange de cigarette se fait durant la discussion. C'est Krok qui allume les deux tiges en craquant une allumette, obligeant l'humaine à se pencher un peu tant la différence de taille entre les deux individus est grande. Ils profitent d'un instant de silence pour savourer les premières bouffées de nicotine, s'enveloppant d'un nuage grisé bien vite balayé par les bourrasques qui se précipitent dans la ruelle étriquée.
« Tu ne vas vraiment pas me raconter ce qu'il s'est passé avec...
- Non.
- Il faudra bien que tu...
- S'il te plaît, ne m'y oblige pas. A y penser, à en parler. Ne...
- C'est bon. Désolé. Je suis...Sanja, ne pleure pas. »
Le visage rougi de la femme se détourne, elle fait mine de regarder au bout de la rue déserte. D'un geste de la paume, elle essuie l'unique larme parvenue à quitter le bord de sa paupière.
Le ciel noir de gris s'éclaircit lentement mais sûrement, si bien que les voitures qui passent au loin éteignent unes à unes leurs phares, semblant rendre la ruelle plus sombre : un instant, bien qu'ils y soient tous deux habitués, ils lèvent le nez vers le ciel, cherchant à savoir si celui-ci ne leur ferait pas l'affront de supprimer le jour pour rester nuit quelques cycles de plus.
Dans le dos de la femme, le Kobold mâche le filtre de sa cigarette, le regard à présent planté sur la chevelure un peu en pagaille de Sanja. Elle pourrait sans mal deviner les pulsions meurtrières qui dansent dans ses yeux et le font soupirer par les nasaux un long filet de fumée, le tout en tapotant nerveusement de la griffe sur la gâchette de l'arme qui ne le quitte jamais.
« Je vais rentrer.
- Tu veux que j'appelle un T-Cab ? Avec le temps qu'il fait, et ta nuit...
- Ça ira, je te remercie. On se revoit ce soir, Krok.
- Non, demain soir. J'ai pris ma soirée aujourd'hui. Enfin tu as compris. »
Ils échangeant un nouveau regard, mutique d'un côté, interrogateur de l'autre. Mais si questions il y a, elles resteront imposées et sans réponses. Se dressant sur la pointe de ses bottes crottées, Krok flanque une léchouille sur la joue de la belle, espérant lui arracher au moins un sourire. Bien qu'il naisse sur ses lèvres, ce dernier n'est pas aussi joli qu'auparavant, ne gagne pas un instant ses pommettes, encore moins ses yeux. Factice. Une de ces mimiques truquées qu'il se doute devoir subir encore longtemps, quand bien même cela lui brise le cœur. Pour cette fois néanmoins, il la laissera partir ainsi, sans être parvenu à l'entendre rire une seule fois. Les talons hauts de la prostituée claquent le sol quand elle s'éloigne : le bruit résonne plusieurs fois contre les murs de la ruelle avant que Sanja ne quitte celle-ci, bifurquant à droite en adressant un dernier regard au Kobold.
« Allez, rentrons. C'est pas un temps à rester dehors. »
S'adressant aussi bien à lui-même qu'à son arme, Kork balance son mégot dans une flaque d'une pichenette hasardeuse. Le ciel est plus gris que noir, à présent. Il était temps. Le jour se lève. Et quel jour...
Quelques rues plus loin, Sanja avance, le regard à nouveau vitreux, la cigarette oubliée se consumant nonchalamment entre ses doigts engourdis par le froid. Elle connait le chemin par cœur, ses pieds la portent, elle se laisse faire : sur pilote automatique comme si elle était une vulgaire boîte de conserve robotisée. Parfois, elle s'est imaginée n'être que ça et l'idée la réjouissait. Plus jeune, elle était même persuadée d'être un androïde, jusqu'au jour où du sang a coulé en abondance de ses veines et que le doute ne fut plus permis. Elle aurait aimé, pourtant. Ça, comme tant d'autres choses. Ne pas avoir à sentir le froid, ni la pluie dont elle tente vainement de se protéger en traversant les rues. Sans parler de la douleur.
Par chance, la prostituée ne vit guère loin de son lieu de travail. Même secteur, même quartier, même état de délabrement avancé, à se demander comment la façade tient encore debout : comment l'immeuble tout entier fait pour ne pas s'effondrer à chaque coup de tonnerre. Il arrive que lorsqu'une détonation se fasse entendre dans la rue, le plâtre du plafond tombe tel de la neige dans tout son appartement. Pourtant, elle ne l'échangerait contre rien au monde. Plus maintenant, du moins.
Un quart de cycle à peine sous la pluie, mais la voilà trempée, misérable. Bien loin de l'image surfaite que se font d'elle les hommes qui la désirent, intrigante et sexy une fois éblouissante grâce à l'ambiance rougeâtre de la chambre numéro sept. Elle ne ressemble à rien présentement, frigorifiée, ses bras maigres serrant les pans du présumé imperméable qui ruisselle sur le carrelage en morceau du hall de son immeuble. D'autres sont passés par-ici avant elle, apportant la pluie avec eux : le sol glisse, ses talons s'encrassent entre les carreaux dans une mélasse d'eau et de ciment en miette. Même là, il fait froid. Il fait froid partout dans le bâtiment pour être exact. Les vitres du rez-de-chaussées sont inexistantes, remplacées par quelques morceaux de bois d'un côté, de vieux sacs poubelles troués de l'autre. Le vent siffle et bat les pans de ceux-ci, faisant résonner chaque claquement dans toute la cage d'escalier : des détonations continues. Il doit faire bien blanc, sur le sol de son appartement.
« Bonjour, Berto.
- Mmh. »
Bougon derrière la seule vitre valable des lieux qui protège un cagibi d'un mètre sur deux, un nain massif et désagréable dont la fonction n'a jamais été bien claire pour les habitants des lieux répond de son éternel gargarisme. Il ne lève jamais les yeux sur Sanja que lorsqu'elle descend les escaliers, pas lorsqu'elle les monte : sans doute parce qu'elle est bien plus belle en allant au travail qu'en revenant de celui-ci. De loin, il lui préfère à ces moments-là les innombrables actrices porno qu'il reluque sur un vieux deck, à la vue de tous et sans la moindre gêne.
« Rmmh, eh, la pute ! »
Le pied sur la première marche, Sanja s'immobilise. Si elle recevait un crédit chaque fois que quelqu'un l'appelait ainsi, elle n'aurait plus à faire ce travail. Mais elle s'en moque bien, de l'appellation comme de la richesse, de bien d'autres choses aussi.
« Quelqu'un a demandé à te voir.
- Quelqu'un ? Qui ?
- Sais pas. »
De la patience, Sanja se fait violence pour en avoir. Inutile de discuter, demander des précisions : ils ont déjà eu ce genre de conversation plusieurs dizaines de fois et pas une seule il n'a daigné apporter la moindre information. Elle n'a pas le courage de quitter cette marche, faire demi-tour et insulter copieusement ce simulacre de concierge. Ses dernières forces, elle se les garde précieusement pour les quatre étages qu'il lui faut grimper afin de rejoindre son home sweet home. Néanmoins, alors qu'elle atteint enfin le couloir lugubre où se cache dans l'ombre sa porte d'entrée, Sanja lance un vague coup d'oeil par-dessus son épaule, un espoir douloureux la traversant tel un pieu : Et si son mystérieux visiteur, c'était lui ?

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Fictions
30 Novembre 2016
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