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[Irl - Hommage] La Puce




On aurait dit une petite vieille trop jeune, ou une petite jeune trop vieille. Peut-être y avait-il un peu des deux : elle donnait l'énergie d'une jeune à une vie pour laquelle la plupart l'auraient jugée trop vieille. La Basse-Ville est un peu comme ça ; elle dévore beaucoup chez ses habitants, et à terme, comme la prostitution ou les consommations, ils semblent ne plus avoir d'âge.


Elle, elle était une fille de la rue. Elle le disait, la Puce ; j'suis une fille de la rue. Je saurais plus comment vivre autrement. Alors, elle réclamait de la méthadone, puis des coups de main, de temps à autre, et on les filait, sans trop y croire, elle n'y croyait pas trop non plus, mais ça lui faisait plaisir, et à nous aussi du coup. C'était sans doute ça qu'elle recherchait, surtout, ces instants partagés, et si ça lui allait comme ça, alors, pourquoi pas.


Tout le monde l'appelait la Puce, alors, c'était parfois une surprise de se rappeler qu'elle avait un autre nom. On aurait pu sans doute l'appeler trois-pommes, ou Carapils, je n'ai pas souvenir de l'avoir croisée sobre, par contre ce titre de Fille de la Rue lui allait, c'était indéniable. Ca tenait presque de la sorcellerie ; elle traversait les artères d'un pas hésitant, parfois à reculons, et les voitures crissaient, tempêtaient, mais ne l'écrasaient pas, et elle, souveraine dans son indifférence.


Un regard de travers et elle montait dans les tours, et elle était prête à y aller, peu importe son mètre quarante, j'ai pris tant de coups, je m'en fous, et les gens grognaient et se détournaient, ou la crise de nerf s'échouait en une longue conversation-maquillage avec des inconnues, alors que le mascara débordait sur ses joues. De la sorcellerie, vraiment. Cela venait de son sang, qu'elle disait, un gitan, une espagnole, j'ai le sang chaud moi.


Et si ce n'était que le sang, encore. Douze fois, la nuit dernière, qu'elle nous avait dit avec un sourire égrillard, nous les petites, on a de l'appétit, j'ai dû le réveiller pendant qu'il dormait. Elle ne semblait pas si insatisfaite, la Puce, dans la benne à ordures qui lui servait dernièrement de refuge. Mais des fois elle craquait. Marre des coups, de la conso, du trottoir, de la conso, de l'alcool, de la conso, des enfants en famille d'accueil, mis à l'écart, et de cette foutue brune qui lui collait aux veines comme un mauvais sang.


Alors, c'était un soulagement, imaginez, un soulagement, quand on a appris qu'elle était morte de sa belle mort. Pas d'overdose, pas d'agression, juste cinquante années d'usure et des poussières. Trop vieille. Trop jeune. Une pincée d'hypocrisie sur son soupçon de folie. La dernière fois, elle nous avait fait un câlin avant qu'on ne se sépare, un de ces câlins qui fleurent bon l'alcool et où les mains s'égarent aux fesses (elle avait cependant l'excuse de la taille). Prenez soin de vous.


Je ne suis pas une fille de la rue. Je ne suis qu'une habitante un peu à part de la haute-Ville, qui connaît les usages, les recoins et les âmes qui hantent les ruelles délaissées par ceux qui ne viennent que pour s'y délasser à peu de frais. Une visiteuse. Mais je crois que nous, celles et ceux qui visitons, laissons aussi, parfois, une petite part de notre âge et de notre humanité à l'appétit vorace de la rue. Pas de cuve pour toi, de sortie du frigo à prévoir.


Certaines nuits, quand j'erre dans tes anciens repaires, je peux entrevoir ton spectre qui s'accroche encore aux murs gris. Cela me faisait mal, avant. Maintenant, j'en souris, un peu mélancolique, abandonnant sur place quelques mots de mémoire. Sans doute que la Haute Ville voudrait vous effacer, mais je puis garantir que vous n'êtes pas oubliées. Puis je repars, regagnant les vivantes qui poursuivent leur voyage entre les bâtiments et les mauvais clients.


Au revoir, la Puce.




Spoiler (Afficher)
J'ai longtemps hésité avant de poster cet hommage. Pourquoi le faire sur Dreadcast plutôt que dans la vie réelle ? Comment le partager sans paraître moralisatrice, ou racoleuse ? Je n'ai pas de réponse exacte, parce que les choses me sont floues à moi-même. Sans doute que, d'un côté, je pense qu'un jeu au cadre urbain dystopique peut nous rendre plus empathiques au cyberpunk de la vie quotidienne.

D'un point de vue égoïste, peut-être est-ce ici que je crois trouver des personnes auxquelles livrer ce devoir et mémoire et cette catharsis sans fausse pudeur et sans honte. Si, ne serait-ce que dans l'univers du jeu, vos pions, qu'ils soient nobles, sudistes ou rebelles, entrevoient de temps à autres les Puces qui se terrent dans la Basse-Ville, j'aurai déjà l'impression d'un souvenir préservé. Merci à vous.

Informations sur l'article

Irl
07 Juillet 2017
1706√  27 5

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◊ Commentaires

  • Hécate (219☆) Le 07 Juillet 2017
    "Sans doute que, d'un côté, je pense qu'un jeu au cadre urbain dystopique peut nous rendre plus empathiques au cyberpunk de la vie quotidienne. "

    C'était un hommage touchant, que ce soit le fond, ou la plume, ça laisse un sourire amer.
  • Jinta~58437 (734☆) Le 07 Juillet 2017
    Touchant, c'est le mot.
  • Benjamin~53404 (161☆) Le 07 Juillet 2017
    *
  • Norah~50792 (375☆) Le 11 Juillet 2017
    Ne te justifie pas de cet hommage. Il est beau, il est là. Et c'est tout ce qui compte, d'un sens.
  • ID41931~41931 (0☆) Le 05 Janvier 2019
    au revoir, la puce.