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EDC de 25869

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Echo

Le pavé avait volé dans le ciel, fendant la fumée et les cris, pour s'écraser contre la visière renforcée d'un policier.
« I'm tired of being, I'm sick of my scene », hurlent les hauts-parleurs.
Un vieux groupe punk-rock que mon arrière grand-père écoutait souvent. Complètement hors contexte, je me retrouve projeté en enfance. Pavé mémoriel. L'odeur de l'herbe coupée, l'odeur de l'été, partout.
« 'Cause I remember
One time, something to live for ».

Mes souvenirs forcent le passage alors que j'ai besoin de toute ma concentration. Des images de vacances estivales se superposent au présent. Une décharge électrique vrille sur ma gauche. Un jeune gars s'effondre dans la mare, celle où nous allions chercher des têtards avec mon frère. Je stoppe ma course et secoue la tête. Le jeune gars tressaute, la mare a disparu. Le trottoir sur lequel il gît est gris sale, une couleur qui tranche avec le noir poussiéreux du ciel. Quelqu'un me bouscule et je manque de m'effondrer sur le foudroyé. La panique, partout. Je me penche et le relève à bout de bras. Il bave un peu. Je lui met une gifle, puis une deuxième plus forte. Une explosion retentit quelque part devant. La foule revient. Je ne sais pas ce qu'il y a au bout de cette rue, mais visiblement ça a donné envie à tout le monde de repartir en arrière au pas de course. Une deuxième explosion, plus près, explose le rez de chaussée d'un immeuble. Les sirènes hurlent mais ne couvrent pas totalement le « tic tic tic » des chenilles du tank. C'est donc ça. Ils en sont réduits à nous envoyer des tanks. Plus rien ne compte.
« Now so long ago.
Faces always are changing; ».
Le jeune gars s'est réveillé lorsque la vitrine d'à côté a volé en éclat. Il a semblé peiner à retrouver sa conscience mais il est quand même parti en courant. Dans la bonne direction. L'instinct de survie. La musique continue à se frayer un chemin au milieu du chaos. Je fais comme tout le monde, je repars dans l'autre sens. Je piétine des corps inanimés, je ne suis même pas sûr qu'ils soient tous morts. Une flaque de sang boueux manque de me faire chuter mais quelqu'un me rattrape, comme dans un concert. Je revois mon arrière-grand père dans son fauteuil, avec ses mots croisés. Je l'entends me raconter des concerts de rock, des pogos. Même ma naïveté de gamin peine à y croire, et pourtant tout est vrai. Ce même vieil homme qui cherche un mot en cinq lettres dans un fauteuil sans âge est monté sur une scène bourré pour se jeter dans un public qui n'en demandait pas tant. C'était avant, avant que nous décidâmes tous, spontanément et au bout d'une longue déchéance, de nous renier en tant qu'espèce. De ne plus en avoir rien à foutre de rien. La décadence se fit alors de plus en plus réelle, la bêtise prit la forme de cartouches tirées au nom d'aucune bannière et perforant les poumons de victimes anonymes. Des faire-valoir. L'Etat envoit les chars aujourd'hui, comme le mois dernier dans l'est du pays. Une guerre contre lui-même, je ne suis même pas sûr que le président ait donné son accord. Reste-t-il un président ? Un Etat ? Qui peut remporter un conflit sans belligérants ?
« Lies and disguise for the things we know.
One time, something to live for. ».
J'approche du point de non retour. Des sacs de ciments sont éparpillés un peu plus loin et nous sommes cernés des deux bouts de la rue. Il y a encore plusieurs centaines de personnes. Pris au piège, « en tenaille » comme dirait Chaudard. Mon arrière-grand père aimait bien Chaudard. Je n'ai jamais bien compris de qui il s'agissait mais cela faisait sourire mon grand-père. Je sors une bombe artisanale de mon sac et l'envoie aussi loin que je peux. Le bruit de son explosion se fond au milieu du capharnaüm ambiant. Les nuages pleurent de la cendre. Je fais de même. Il y a encore des gens autour pour piller ce qui peut l'être. Je les envie, ce sont peut être les derniers à croire que tout cela cessera. Les derniers à ne pas voir que nous sommes arrivés en bout de course. Il n'y aura pas de cessez le feu, pas d'armistice, pas de paix. Il n'y aura plus que du sang et de la suie, de la poudre et des éclairs. L'écran ultra-plat ne retransmettra plus aucune émission et personne n'aura plus d'argent pour s'en offrir un. L'argent volera de lui-même, dans le silence, quand tout sera fini. Après la pluie, la poussière et les bombes, avant que les oiseaux de recommencent à chanter, je suis sûr que des billets de banque choieront mollement au sol. Notre testament, aux blattes, aux rats. Je cherche une issue, à droite, à gauche, en vain. J'aperçois le champignon, loin à l'horizon. Quatre jours et il est toujours là, défigurant le ciel. Un peu pâle ce matin, je pense qu'il est proche de la fin lui aussi.
« Somehow I've lost my way.
Those times I pissed away now
Echo in my darkest days. »
Mon premier feu d'artifice. J'ai peur. Tout ce bruit, toutes ces lumières, je ne comprends pas. Des gens partout, serrés les uns contre les autres. Les explosions qui n'arrêtent pas, du rouge dans le ciel. Du vert aussi, du bleu, du jaune. Une douleur dans la poitrine. Les couleurs disparaissent. Les gens tombent sur moi qui suis déjà au sol. La fumée n'a plus la même odeur, mes souvenirs s'estompent sous les balles. J'entends le char arriver de derrière. Le bouquet final.
« Echo in my darkest days. »

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Pages blanches
08 Avril 2015
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