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Le plus grand des secrets

Ceci est ma vision personnelle de la vérité DreadCastienne, et n'a bien entendu aucune valeur IG ou ailleurs.


Le petit homme entra timidement dans la pièce crument éclairée par la lumière des néons, et s'avança jusqu'à une chaise libre à la table. Brun, le nez surmonté de grosses lunettes à l'épaisse monture noire, il avait déjà le front largement dégarni malgré son jeune âge. De physique ingrat, sa blouse blanche étant pourtant immaculée et impeccablement repassée et ses chaussures en cuir impeccablement cirées. Tendant un doigt, il désigna le siège et demanda l'autorisation de s'asseoir à la personne déjà assise à la table. Cette dernière acquiesça d'un signe de tête, soufflant une bouffée de tabac à l'odeur âcre. Une tasse de café fumant était posée sur la table entre eux.
Avec l'impression de déranger, le petit homme s'assit, et cligna des yeux en regardant son supérieur. Le chef avait facilement une dizaine d'années de plus, mais était bien plus avenant, son visage rieur cependant marqué de rides d'expression et de pattes d'oie au coin des yeux.Dépourvu de lunettes, il arborait une luxuriante chevelure châtain, où un peigne aurait eu du mal à se glisser.
Bonjour, murmura-t-il si bas qu'on avait peine à l'entendre.
Salut, répondit le chef, nonchalamment assis sur sa chaise, sa cigarette calée entre ses doigts jaunis. Premier jour, hein. Cyril, c'est ça?
Le novice fit signe que oui de la tête.
Moi c'est Eric. Tu verras, le centre de clonage, c'est le paradis. Surtout ici, au niveau moins vingt-trois. On a tout ce qu'on peut rêver. Alcool, tabac, accès illimité à la matrice, et toutes les femelles humaines ou synthétiques que tu peux rêver. Et l'argent, t'as même plus à y penser. Normal, vu que t'es ici à vie.

L'homme eut un sourire mi-amusé mi amer, et reprit une taffe pour dissimuler son expression. Un petit blanc s'installa passagèrement.


Alors comme ça, t'as la passion des clones?
Oui, j'ai tout appris sur le sujet, mais j'avais jamais pu les étudier en vrai. C'est fascinant!
Le petit homme gloussa, fermant à demi les yeux dans un large sourire.
Mais dites-moi, les gènes combinés par l'IA, sa banque de données, pourquoi on peut pas la voir? On a le plus haut niveau d'accès, pourtant?
Eric le regarda un moment, tenant sa cigarette entre ses lèvres, avec l'expression de celui qui sait, mais qui prend le temps de dévoiler l'info au compte-goutte.
C'est parce qu'il n'y en a pas.
Hein? Le nouveau eut un regard surpris.
Aucune, rien, zéro. On a pas de stock.
Comment ça? Le petit homme semblait tomber des nues.
Mais.. mais comment on fait alors? D'où vient le matériel génétique?

De l'extérieur.
La phrase avait été dite sur un ton volontairement neutre, faisant par opposition l'effet inverse dans l'esprit de l'auditeur.
De l'extérieur? Cyril ouvrit de grands yeux, répétant sans comprendre.
Ouais. Vu que t'es là pour toujours, je peux bien te le dire. T'es "habilité". En fait, les clones au départ, c'est des personnes biologiques, nés par fécondation sexuée.
Le petit homme remonta ses lunettes sur son nez, buvant les paroles de son chef.

Le CalTer, c'était une archologie. Tu sais, ces trucs qui fonctionnent en autarcie, et qui s'ouvrent que quand ils arrivent à destination. Ou jamais, selon qui dirige à l'intérieur. Là, c'était un vaisseau de colonisation, chargé ras la gueule de joyeux explorateurs qui ont quitté leur monde. Ils ont pas choisi, en fait. On les a foutu dehors, exilés, histoire de se débarrasser de leur présence encombrante sur leur planète d'origine. La lie de l'humanité, dans un vaisseau-poubelle.
Petite pause fumette, et reprise.
Quand ce joli monde s'est écrasé ici à cause d'une défaillance technique, le monde était pas vraiment habitable, et le système de survie du vaisseau allait lâcher. Dehors, l'air était pas respirable, et y avait pas un brin de vie. Alors ils ont sorti tout le matos, et ont bâti des terraformeurs et des abris de surface en un temps record. Y a jamais eu de guerre ou ce genre de conneries. Le climat pourri, c'est les usines à air qui modifient le climat à l'échelle planétaire. Forcément, ça prendra du temps. Ils ont aussi recréé une soupe primordiale dans le peu d'eau à la surface, et laissé germer. La vie a poussé à toute vitesse, accélérée par les rayonnements cosmiques que l'atmosphère ne renvoie pas encore dans l'espace. Tu suis, jusque là?
Heu.. oui, je crois. Il rajusta une nouvelle fois sa monture. Mais.. les gènes, alors?
J'y arrive. Avec le temps, la population s'est hiérarchisée, et répartie en spécialités. Ouvriers, agriculteurs, chefs, et criminels... Normal, c'était pas des saints à la base. Les premiers colons ont donc envoyés les frêres Enclism ici, avec mission de bâtir une colonie particulière, loin du lieu du crash. Tu vois quel genre?
Cyril réfléchit intensément, puis son regard s'éclaira, et il leva un doigt.

Oui! ..euh, en fait non.
La lumière disparut dans le regard. Eric eut un petit rire.

Ils ont bâti une prison pour leurs indésirables. Les bannis qui bannissaient à leur tour... Hujan a eu un cas de conscience, il allait tout raconter pendant son discours, et on l'a fait disparaitre. Mieux valait qu'il soit un martyr qu'un traitre.
Le petit homme semblait ébahi. Son chef l'observa un moment, puis reprit.

Tu vois en fait, DreadCast c'est rien d'autre qu'une foutue prison. On empêche les gens de rejoindre l'épave avec une légende idiote qui veut que ce soit pour respecter la volonté de l'Empereur. Mais même ceux qui répandent cette connerie sont des prisonniers, aussi. Pire, ce sont des gardiens involontaires qui tiennent en respect des moins chanceux qu'eux. De temps en temps, les colons remettent un peu d'ordre depuis l'extérieur, quand ils voient que ça menace de vouloir sortir. Un météore par ci, un leader rebelle par là, et c'est reparti pour des dizaines d'années. Et les nouveaux criminels de secteur, c'est vraiment les grands perdants dans l'histoire. Ils se font doublement emprisonner, et ils en redemandent, pour gagner le droit de régner sur que dalle, une richesse illusoire, un trou dégueulasse fait pour les isoler de la vraie vie.

Le novice semblait considérer tout ça, visiblement dépassé.
On pourrait sortir, alors? Quitter la ville?
Ouais. On pourrait. Faudrait juste que tout le monde arrête de se tirer dessus et de bosser dans des directions différentes. Que tout le monde fasse la paix une bonne fois pour toute, et décide de retourner au CalTer. En fait, c'est dangereux entre ici et la colonie, mais sur le reste de la planète, y a rien, juste de la poussière et de la place à l'infini. Toute façon, même si on allait là-bas, jusqu'aux terraformeurs, ils voudraient pas de nous. On se ferait exterminer à vue. C'est un aller sans retour.
Et donc, on est tous des criminels, avant? Même moi? Comment on se retrouve ici?
Eric acquiesça.
Même toi. Après, y a des degrés. On est tous mélangés, les voleurs, les traitres, les faussaires, les meurtriers, les violeurs... C'est pour ça qu'on a quand même des gens civilisés, et aussi des vrais psychopathes dans les citoyens. Les gens sont amenés devant les portes de la ville, un par un, par la colonie. On les prend en charge tout de suite, et ils viennent ici, au moins vingt-trois. Leur ADN est scanné, intégré, et on le modifie en méta-race au besoin. On ne conserve dans le clone que les souvenirs à partir des murs, mais on n'efface pas les facultés intellectuelles profondes. Grâce à ce résidu, les gens savent parfois parler une langue inconnue, ou connaissent des choses que personne ne comprend en ville. Les histoires de NI-Na comme quoi y a rien avant, c'est juste des conneries, comme l'origine de la cité. On a tous eu une vie ailleurs, un jour. La rébellion et l'Empire, c'est une vaste blague.

Eric fit une nouvelle pause, le temps de souffler la fumée, regardant un moment les néons blafards. Cyril considérait la tasse de café qui ne fumait plus, et se demanda s'il pouvait la boire. Puis il eut une intuition.
Et le corps de la personne, on en fait quoi?

Recyclage. Rapide et sans douleur. Tu verras, tout à l'heure.
D'accord.. Comment tu sais tout ça, toi?
Obligé, vu que c'est nous qui nous occupons de récupérer les vrais "nouveaux arrivants". On pourra jamais le répéter à personne. Et puis de toute façon, ça servirait à quoi? 'suis très bien ici, moi. J'ai tout ce que je peux vouloir, et même plus, y a juste à claquer des doigts. Franchement, j'ai pas envie de faire la révolution.
Le chef baissa un peu les yeux, et prit un air triste.
En plus... On est déjà morts. Je veux dire nos vrais "nous", ceux qui ont servi à faire notre clone. Alors.. à quoi bon...
Oui.. Le petit homme tendit la main vers la tasse de café froid, et la tira doucement vers lui pour la boire, comme ferait un enfant irrésistiblement attiré par un jouet. Eric se recroquevilla sur sa chaise, remontant les genoux sous son menton, et écrasa sa cigarette par terre avant de s'entourer les jambes de ses bras et de fermer les yeux, se balançant doucement.
Cyril le regarda un court instant, content d'avoir obtenu sa récompense, et se leva, adressant un sourire à son chef prostré.


Merci pour le café, c'est la fin de la pause. A tout à l'heure, hein!


Et le petit homme retourna travailler sa tasse en main, souriant, sans un regard en arrière.

Informations sur l'article

Instantanés
23 Septembre 2014
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◊ Commentaires

  • Oeclyde (491☆) Le 23 Septembre 2014
    J'aime bien cette vision presque omnisciente, un peu comme le casier dans Men in Black.
  • L-X~19531 (1540☆) Le 23 Septembre 2014
    Assez terrible et horriblement cynique. A la fois si proche de la "réalité" et si folle...