EDC de Tinuviel~1924

Nous étions heureux à l’usine, je la considérais comme ma deuxième maison, un refuge, et j’y avais trouvé une sorte de famille.

Je l’ai quittée pourtant cette usine, pour aller travailler aux Cadavres Exquis… La proposition qu’on m’avait faite était trop tentante, je devais donner une réponse rapidement. Je n’ai pas pris le temps de réfléchir, juste le temps de prévenir Neri et les autres et j’ai accepté.
Gérer un bar demande plus d’implication que d’être une simple employée, et c’est avec enthousiasme que je me lançais dans ce nouveau travail. J’étais moins disponible, mais je m’arrangeais toujours pour passer le soir à l’usine où je retrouvais avec bonheur mes habitudes : je préparais des litres de café et du thé pour Dawne (je crois que j’ai renoncé à la convertir au café, c’est un cas désespéré…). Et j’attendais aussi avec impatience le moment où Bodom entrerait dans la salle de repos.

C’est le moment le plus difficile, dire ce que je me suis tu pendant tant d’années… On se tournait autour depuis si longtemps. Au fond de moi, je savais ce que je ressentais et ce que lui aussi devait ressentir, mais pour rien au monde je ne l’aurai avoué…
Il a fallu qu’un soir je manque me faire tuer… Mes imprudences habituelles... Parfois, il me semble que j’étouffe, à ce moment là j’ai besoin de prendre des risques, je veux sentir le danger, le narguer. Je ne sors même pas armée et j’arpente les rues, observant, écoutant. J’aime savoir ce qu’il se passe et j’aime aussi le moment où je me trouve face à un inconnu et que mon instinct me dit de fuir. Pas la peine de jouer les héros je sais me défendre mais face à des personnes suréquipées je sais bien n’avoir aucune chance. Cette habitude désespère Neri… Et a bien failli me coûter la vie. J’étais bloquée, dans une impasse, aucun moyen de replis. J’ai juste eu la chance de trouver un appartement ouvert, où j’ai pu me réfugier et appeler Neri.
Elle n’est pas venue seule, ils étaient tous là et je n’oublierais jamais le regard qu’il avait lorsque j’ai ouvert les yeux.
C’est ce soir là que j’ai su vraiment que je ne pouvais pas continuer ainsi. Il nous a fallu encore quelque temps pour nous déclarer… que de temps perdu.
Que de temps perdu car nous n’avons eu qu’une seule journée ensemble, une journée où enfin on ne faisait plus semblant, une journée de bonheur.
Le lendemain tout était fini. Ce n’était qu’un rêve. Après tout est ce que les rêves durent dans une ville comme la notre ? Ils ne font que passer, il faut juste savoir en profiter.
Il n’est plus là.
Mais il me reste Neri, Dr et Dawne. Il faut donc continuer, faire comme si de rien n’était. Rien que pour Dawne d’ailleurs, son désespoir, son regard si plein de colère et d’incompréhension quand elle a appris la nouvelle. Je lui ai promis qu’elle ne serait plus toute seule, je prendrai soin d’elle et toutes les deux, nous serons plus fortes. Elle a besoin de moi tout comme j’ai besoin d’elle. Elle travaille au bar avec moi maintenant et elle a déjà lancé son premier cocktail.
Alors je vais cacher ma peine et rire comme avant, recommencer à dire des bêtises, et me débrouiller comme d’habitude, après tout c’est ce que j’ai fait pendant des années, je ne devrais pas avoir trop de mal…
« Je me presse de rire de tout de peur d’avoir à en pleurer » Voilà c’est comme ça qu’il faut mener sa vie. Que personne ne sache ce qu’il y a dans mon cœur, ne plus se faire d’illusions…