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Malaise enraciné


Le visage élancé du vieil Elfe reflétait dans le miroir de la petite salle de bain silencieuse, d’expression impassible, se fixant lui même au rythme d’une respiration soutenue. Bras tendus sur le rebord du lavabo, son nez arrivait maintenant à quelques centimètres du contact, de ressentir le froid de la glace lui faisant face. Le crépitement des néons renvoyait encore un peu plus la pâleur sur sa peau, presque maladive, dans une atmosphère électrique et contrastée par l’état impeccable de la pièce et du bourdonnement continu.

Il resta quelques instants immobile, sans but, ni idée, guidé par la seule motivation de l’instant à se sentir différent de ce qu’il était réellement.

Une main passée sur les traits tirés de son visage pour récupérer ses esprits, et le voilà transporté dans la pièce adjacente, sans aucun souvenir de ces dernières secondes, comme il peut arriver parfois. Elle était là… inerte, allongée, endormie le long du canapé rouge et luxueux qui n’avait que si peu d’importance à ses yeux : ce n’était qu’un canapé.

L’Elfe leva le coude et entama la lecture assurée, de la lettre qu’il avait pris soin de rédiger quelques jours plus tôt dans la plénitude dominante de sa bibliothèque.

« Ce n’est pas la première fois que je fais danser ces mains sur une feuille de papier pour te mêler quelques mots. C’est avec bien moins de pragmatisme que je le ferai cette fois.
.
Il est probable que cette démarche aurait été inconcevable au vu de la situation actuelle, de ton absence depuis deux siècles, et qu’elle soit motivée par la seule force de la réponse que tu m’as déjà accordée, une fois. Sans cela, je ne pourrais concevoir avec certitude la véracité de ton existence, matérialisée par ce que je garde le plus précieusement du monde. Oui, au fond, c’est une histoire de lettre, entre nous.
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Mon retour à la vie n’aura pas été celui escompté, pour te servir à nouveau et y apporter une bien modeste contribution. Je n’ai pas su trouver les mots pour transmettre ta parole comme j’aimais tant le faire auparavant. Tu es si idolâtré, aujourd’hui, que la pensée dominante du secteur Marran aurait considérée comme de l’hérésie les mots que j’aurais porté à ta faveur.
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Quelques criminels notoires arrêtés, un mandat à la gestion de l’économie du secteur, la rédaction de quelques écrits variés, la réhabilitation d’un lieu pour l’expansion d’une communauté, une expédition impériale, l’ébauche de quelques textes juridiques, ou encore un savoir partagé via les structures éducatives, rien de très transcendant pour l’Imperium, pas autant. Peut-être est-ce le goût amer du simple fait de l’expérience, après tout? Peut-être que ce passage aura une autre résonnance pour ceux ayant croisé le cours de mon existence… Avec le temps, j’en doute.
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Et puis, j’y ai découvert des personnalités, tantôt arrogantes, perdues, ou dépassées, et aussi fascinantes, mystérieuses et attirantes. Jamais, je n’avais ressenti de telles émotions me traverser le cœur, toujours guidé par la raison. Un défi de les contrôler, les maitriser, entrainé par ce désir du plongeon dans leur esprit, à l’exploration des profondeurs de leur Histoire. L’une d’entre elle m’aura marquée, à jamais. »

Il releva la tête au dessus des deux feuilles superposées, parcourant de son regard les courbes de ses hanches comme l’on suivrait avec nonchalance un écureuil se déplacer en toute quiétude, puis murmure ces quelques mots pour lui-même d’une voix posée et d’un ton si détaché que la question lui était sûrement déjà apparue avant ces écrits :
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« A qui dois-je m’adresser aujourd’hui pour être lu… »
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« Il y aussi tant à redécouvrir entre ces murs, et pourtant… les principaux enjeux n’ont d’autres intérêts que les conflits d’un monde bipolaire dans lequel il peut être ambitieux de se faire une place à qui défend sa propre idéologie.
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Les occupants du Secteur Orion revendiquent pour la plupart leur aversion à l’Imperium et incarnent l’affrontement, alors qu’ils disposent d’une structure hiérarchique semblable à la notre, si ce n’est que la dominance incontrôlée aliène le désir des puissants, à celui des autres. Est-ce cela, la liberté ?
.
Ici même, dans ce secteur, je ne ressens que trop cette pathologie à la soumission d’une élite élue… non ! choisie !… à la méritocratie qui n’en porte que le nom puisque cooptative, et l’impossibilité d’agir selon ses propres pulsions. Est-ce cela, la poursuite de "ton Oeuvre" ?
.
La révolte alors, quelle finalité ? En groupe, elle ne serait qu’aboutir à une nouvelle forme de société hiérarchisée, pour un résultat similaire. Seul, c’est l’extermination physique, ou pire, celle d’une vie sociale détruite, par une généralité qui se croit détentrice de la puissance impériale qui est tienne.
.
Merci pour tout, pardonne-moi,
Il ne me reste que la fuite… »

De sa main tremblante habituellement agile qu’il referme violemment, le papier se crispe pour se replier en boule. Le claquement de son zippo retenti avant l’embrasement quasi instantané du papier dont quelques bribes retombent vers le sol, dégageant une fumée blanche si peu irritante pour les yeux fragiles de l’Elfe, qu’il suit d’un regard attristé le nuage se former devant lui.

Du désir irraisonné comme celui d’un ancien drogué au Kronatium qui aurait trouvé en cela une substitution bienveillante aux maux d’une Cité en décadence, au désespoir de sa somptuosité d’autrefois, murmure entre ses lèvres :
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« Allez… Un dernier Skiwi. »
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Informations sur l'article

Prise de conscience
08 Novembre 2014
1213√  16 11

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◊ Commentaires

  • Zalaniz (135☆) Le 08 Novembre 2014
    wouahhh.
  • Kambei~7880 (258☆) Le 08 Novembre 2014
    Je découvre à peine ta plume en même temps que ce texte et j'aurais l'envie égoïste d'en demander d'avantage. Mais puisqu'il semble que ces lignes soient une sorte de conclusion, je vais me contenter de te remercier pour ce moment. Très agréable lecture, touchante et travaillée.
    Merci.
  • Chérachum (29☆) Le 09 Novembre 2014
    Des mots sans artifice, posés avec finesse, des phrases claires qui font naitre de bien belles émotions à leur lecture. Merci.
  • Ianouf~43673 (48☆) Le 10 Novembre 2014
    Passe par là, hoche la tête silencieusement, et dépose une étoile.
  • Xaios~41544 (430☆) Le 11 Novembre 2014
    *
  • Soweto (35☆) Le 12 Novembre 2014
    @Dye Merci du clin d'oeil, j'adore smiley

    Merci à vous tous, pour ces commentaires.
    Bien vu, ID7880.

    J'en profite donc pour remercier ici l'ensemble des joueurs du SI (essentiellement) avec qui j'ai passé du temps, n'ayant pas eu le plaisir de RP avec ceux du SR. J'ai passé d'excellents moments, très variés, selon les personnalités de chacun des personnages, et de RP différents. Je ne ferai pas de remerciements particuliers, j'espère que tous se reconnaitront.

    Plus globalement, merci à tous les joueurs (MJ et autres responsables), qui font que ce jeu reste (est redevenu, en fait, depuis que je l'avais quitté il y a quelques années), très agréable. Et ce malgré les altercations courantes sur le forum, où il serait plus judicieux de passer son énergie à RP qu'à polémiquer ^^

    A bientôt peut-être, ou peut-être pas…
  • AGRAMF (230☆) Le 13 Novembre 2014
    J'aime beaucoup l'avant dernier paragraphe sur le SI (en bonne confusion^^).* A bientôt.
  • Asuka~37618 (0☆) Le 16 Novembre 2014
    "Je n’ai pas su trouver les mots pour transmettre ta parole comme j’aimais tant le faire auparavant. Tu es si idolâtré, aujourd’hui, que la pensée dominante du secteur Marran aurait considérée comme de l’hérésie les mots que j’aurais porté à ta faveur."

    Réminiscences d'un temps passé et peut être révolu? Qui sait, mais au moins pas pour tous!
    A très bientôt Soweto, gardien de la lettre.
  • Soweto (35☆) Le 23 Novembre 2014
    Il n'explique pas si c'était mieux avant, ou moins bien, juste que c'était différent. Et il peut toujours s'adapter, certaines choses restent ancrées. Ce n'est pas une critique… car il y a encore tant à faire. Juste les pensées d'un vieil Elfe qui ne trouve plus sa place en fonction de ses croyances passées. A très bientôt, peut-être.