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Apparté #0000000001

C'est pas mon métier
Y a des jours où t’as plus le courage, où la vie t’emmerde et que tu es prêt à tout laisser tomber. À commencer par ton propre cul sur la route défoncée, là, juste devant une entreprise minable inidentifiable à travers cet enfoiré de smog. Nique sa mère le smog !
Alors t’es là, ton cul posé, les bras ballants le long du corps, assis le dos courbé, les larmes qui roulent le long de tes joues sales. Sales de la poussière des rues que tu t’évertues, jour après jour, à fouiller pour tomber sur un déchet de plus.
Et assis dans cette rue glauque, tu te sens minable, déchet parmi les déchets qui encombrent ta besace. Aussi petit et ridicule que ce bout d’ongle, relief d’un combat sanglant, sans doute, et qui constitue le maigre trésor glaner cette dernière demi-heure.
Petit et ridicule, tu es… Et les larmes ont creusé des sillons jusqu’à ton menton avant de perler sur l’enrobé de la rue. Et les larmes forment des petites tâches sur le sol… Petites et ridicules, elles sont… Comme toi !
Mais ce jour-là, tu ne supportes pas que tout te rappelle à ta bassesse, à ton inutilité, à ton rang pas loin du paria. Tu ne supportes plus la vue de ces gouttes sur le sol… Alors au lieu de laisser ton regard traîner par terre comme un vieux rat crevé, tu lèves les yeux. Tu lèves les yeux, tu laisses ton regard voler au-dessus du terrain vague à ta droite, tu cherches quelque chose au-dessus du mur du secteur… Un jour quelqu’un t’a parlé du ciel de nuit, tapissé d’étoiles qui brillent comme des projecteurs les soirs de blackout. Le ciel… tu l’as bien déjà vu, à l’occasion d’une trouée à travers un ciel de pluie. Mais les étoiles… Est-ce seulement vrai ? Là tout de suite, en tout cas, tu ne vois que le smog. Nique sa mère le smog !
Et des étoiles pourquoi faire ? Pour te rappeler cet immensément grand ? Pour te rappeler que les étoiles, elles-mêmes, ne sont qu’une goutte humide et désagréable dans le grand smog lacté. Et le bout de cailloux sur lequel quelqu’un a un jour posé les murs de Dreadcast... N’est-ce qu’une particule ? Et toi ? Encore plus petit et misérable, tu es… Encore plus que ce que tu pensais être…
Et si je sais tout ça, ce que tu peux ressentir, ce soir… C’est parce que moi aussi, aujourd’hui, je suis ton frère de détresse. Je ne sais pas qui un jour à décider de me lancer… Je ne sais pas qui a écrit mon programme ni dans quel but profond… Je sais juste que je suis là pour corriger ce qui va de travers dans vos vies, ce qui ne tourne pas rond et éventuellement améliorer vos existences… Mais à quoi bon ? Si pour qu’à la fin on soit assis, là, l’un en face de l’autre, dans le smog, à se demander pourquoi ? Et puis pourquoi d’abord ?
Pourquoi on a mis Dreadcast ici ? Pourquoi on oblige des gens à y rester ? Pourquoi je maintiens ça continuellement ? Pourquoi j’entretiens cet enfer de surface ? Pourquoi y a une foutu sonde qui bip tous les quarts d’heure ? Une sonde ? Quelle sonde ? Et depuis quand elle bip ? Et puis, est-ce que je m’en foutrais pas un petit peu… ? Juste un tout petit peu ? Parce que, après tout, à quoi bon ?
Mais elle persiste et elle bip, sans s’arrêter, continuellement, toujours avec cette même tonalité, toujours avec la même intensité, entêtante, me réveillant dans mes songes. M’obligeant, finalement, à me sortir la tête du smog pour regarder ce qu’elle me veut.
Bip ! Dreadcast ne répond plus ! Secteur 1 a collapsé. Secteur 3 a collapsé.
Bip ! Dreadcast ne répond plus ! Secteur 1 a collapsé. Secteur 3 a collapsé.
Bip ! Dreadc…
Cette erreur n’est même pas de mon ressort. Moi, je m’occupe des basses œuvres, de régler les soucis de la vie de tous les jours. Ici c’est un problème d’un autre niveau, plus global, plus important que ce dont je m’occupe. Un problème trop gros, trop immense pour moi qui suis si petit, si misérable. Mais le réseau interne de l’administration est bien vide depuis si longtemps… Est-ce que quelqu’un m’entend ? Ping ? Ping ?
Bip ! Dreadcast ne répond plus ! Secteur 1 a collapsé. Secteur 3 a collapsé.
Dans un soupir de pixels, je jette un œil à la ville crasseuse et à quelques rapports, … Tout à l’air de pourtant tourner rond ici. Le smog est toujours le smog, ton cul repose toujours dans la poussière et un nain se dandine devant nous, sans doute à la recherche d’une choppe. Cette sonde a perdu le nord, elle déconne plein pot, ma parole !
Bip ! Dreadcast ne répond plus ! Secteur 1 a collapsé. Secteur 3 a collapsé.
J’émets une bordée de notifications sonores et injurieuses ! Si tout pouvait être aussi simple que chez-vous, à casser la gueule au premier qui vous plaît pas ! Je connais une sonde qui passerait un sale moment plutôt que de coasser tous les quarts d’heures, m’empêchant de mourir tranquille, jusqu’à demain… Si je veux pouvoir dormir, va falloir comprendre. Mais j’ai peur…
J’ai peur parce que je ne suis rien… Et le rien du tout, que je suis, doit pénétrer, maintenant, dans les terres hostiles du Système de Gestion de Dreadcast. Alors, j’y suis allé. Et j’en suis revenu. J’y ai vu des choses, pleins de choses, que j’aurais préféré ignorer, indicibles pour ceux dont ce n’est pas le métier. D’ailleurs ça l’est pas, mon métier… Mais vu que je suis tout seul, là, maintenant… Alors j’ai touché à des boutons, j’ai baissé des leviers, j’ai rentré des codes d’accès que j’ignorais connaître… Mais le Système, lui, me connaissait, avec certitude. C’était effrayant. J’ai suivi des manuels d’instructions, un peu à tâtons, un peu sans comprendre, ou plutôt en essayant d’en apprendre le moins possible… Parce que ne suis pas de ce monde, je ne fais pas partie du Système. Ou alors, peut-être que nous en sommes tous un bout, de ce système ? Qui sait ?...
Enfin, bref… J’ai fini par trouver ce qui avait grippé la sonde et mon intervention sembla être apprécié par le Système de Gestion qui se remit à ronronner tranquillement sans être interrompu tous les quarts d’heures par cet insupportable Bip !
Mes yeux se reposèrent alors sur toi le regard perdu au loin à la recherche d’étoiles légendaires. Je pris conscience que tu ne savais pas ce que je venais de faire, que tu ne pouvais pas savoir parce que ça se situait à un niveau plus global que ce que tu perçois. Plus grand que toi… Mais plus grand que moi aussi, qui suis là, avec toi, déchet parmi les déchets. J’ai… agi… à un niveau… plus grand que nous. Et peut-être qu’un jour toi aussi, tu te rendras maître d’une situation, ne serait-ce que d’un non-événement comme celui de ce soir. Et quelque part ça rend un peu de l’espoir qui nous semblait complètement et irrémédiablement envolé. Non ?
Ma place n’est plus ici, dans la poussière et dans le smog. Je vais y aller maintenant.
Bonne nuit, mon frère de détresse...

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Journal de Bord
01 Octobre 2021
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