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📚 Encore, en-corps 📚


Ils sont vivants ! Ils sont hors de moi ; je les traque ardemment. Ils se terrent, ils rampent, grouillent, Ă©chappent de peu Ă  ma vigilance. Ils me font perdre la raison. Pourquoi chercher au-dehors ce qui sourd de mon esprit fĂ©cond ? PaupiĂšres baissĂ©es, je hausse les Ă©paules. J’élude dĂ©libĂ©rĂ©ment la rĂ©ponse.

L’éloquente plume se mue en rĂąteau mutique, quĂ©mandant quelque reliquat verbal d’une bouche Ă©cumant de lyrisme. Pourquoi renoncer Ă  mon honorable statut quand je dispose des fruits dont je pourrais jouir ? Le dos se voĂ»te de lassitude et les yeux se voilent d’incertitude.

Soudain, je m’arrĂȘte et m’insurge contre mon interlocuteur Ă©tonnĂ© : « Ma peau est poreuse ! » PiquĂ© par mon laconisme hautain, il me dĂ©laisse froidement sans s’excuser.

Je dĂ©ambule, l’Ɠil hagard, la dĂ©marche titubante. Je scrute les lĂšvres humectĂ©es, sonde les Ăąmes dĂ©licates, fuis les visages racornis ; j’anticipe les dĂ©sirs, j’étire mes lĂšvres scellĂ©es par l’amertume, en vain. Nul ne s’arrĂȘte, nul n’apprĂ©hende mon appĂ©tence lexicale. Mes dents claquent, mon cƓur cogne comme le poing d’un ivrogne invĂ©tĂ©rĂ© abjurant et reniant son culte Ă©thĂ©rĂ© devant son mĂ©decin perplexe.

Nul garrot n’entrave mes dĂ©lires, nul cordon de sĂ©curitĂ© ne m’isole du charnier destinĂ© Ă  mon moi fragmentĂ©. Hallucination tactile causĂ©e par un dĂ©faut de contention de la pensĂ©e, racornissement d’une gangue excoriĂ©e par les aspĂ©ritĂ©s d’un sein en dĂ©samour.

SitĂŽt libĂ©rĂ©s du nid de ma conscience, les mots volatiles renoncent aux cimes opalescentes de mon cƓur abandonnique. Enlaidi d’une perpĂ©tuelle nuditĂ©, l’arbre n’arbore plus son luxuriant feuillage qui protĂ©geait jadis ses hĂŽtes, fidĂšles, discrets et mĂ©lodieux. Dans cet hĂŽtel patibulaire de l’impĂ©cuniositĂ© littĂ©raire, j’assiste, hĂ©bĂ©tĂ©e, Ă  la liquĂ©faction de mon moi translucide. Mes productions spontanĂ©es, bave d’une indigente limace, scintillent de dĂ©rision. Les fruits fermentĂ©s suintent dans leur passoire acide. Les mots sauvagement rĂ©sĂ©quĂ©s de leur pulpe charnue sont broyĂ©s en une purĂ©e Ă©jaculatoire, exonĂ©ration complĂšte d’un sphincter enflammĂ©.

LibĂ©rĂ©e du mauvais objet, je ne me sens pas pour autant protĂ©gĂ©e. Ma chair redoute le sabotage des mots barbares ; j’implore toute bouche gourmande de fondre sur ce friand effeuillĂ©. Le mieux-ĂȘtre fantasmĂ© se gausse de moi. Le rĂąteau enfiĂ©vrĂ© s’échine Ă  collecter les couennes des langues alentours. « Des mots, des mots, je vais en accumuler tellement que je m’en ferai une enveloppe protectrice et plus rien ne pourra me violer par effraction ! »

La besogneuse emprisonnĂ©e s’extĂ©nue et s’apprĂȘte Ă  confectionner une Ă©toffe Ă  l’insu de tous. Ses enjĂŽleuses chatteries lui valent quelques Ă©paisseurs supplĂ©mentaires qu’elle coud avec mĂ©ticulositĂ©. Quand la chaleur des mots dĂ©robĂ©s lui enveloppe le corps, elle remercie avec humilitĂ© les cƓurs prolixes.

Sur le chemin du retour, ses lÚvres répÚtent les mots apaisants qui font corps avec elle. Les bourrasques de vent malmÚnent sa robe effilochée.

Seul compte pour ce cƓur haletant l’écho du vent complice : encore, encore, en-corps


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A la lettre
14 Septembre 2014
1644√  10☆ 1◊

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