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EDC de 57233

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L

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Droit comme un i au pied de cet immeuble, il en scrutait lentement la façade défraîchie. Ce n’était ni le jour ni la nuit, mais la rue baignait dans une douce et jaunâtre lumière. Quelques éclats à terre créaient sur les trottoirs défoncés un sol étoilé et l’air était chargé de gaz en tout genre, qui se mêlaient aux poussières et à l’humidité. Cette brume opaque dansait, tourbillonnante, au rythme de vents fourbes. Le visage fermé, les bras ballants, il resta un moment à ne rien faire, regardant sans voir, écoutant sans entendre, insensible au froid. Des effluves sulfureuses et des odeurs de chairs brûlées l’avaient guidé jusqu’ici. Tendant doucement le bras, il écrasa ses doigts sur une plaque gravée qu’il dépoussiéra, mêlant au glouglou hydraulique d’une canalisation proche les frottements de ses pulpes métalliques sur la surface de carbone. Un instant, la ruelle résonna tristement. Un journal en boule lui passa entre les jambes, poursuivi par un bruit de papier froissé.

Il pressa sa main sur un bouton grippé et, après quelques marches brisées, s’engouffra d’un pas lourd dans le sas qui barrait l’entrée. Rapidement, la cabine pivota sur elle-même dans une projection de vapeur et de crissements inutiles, fermant un alliage de métal sur l’extérieur bruyant et vicié. Avançant sur les dalles où cliquetaient ses pieds, il souleva une fumée noire et suffocante, réveillant les fantômes de meubles décomposés. Un néon titubant projetait dans ce nuage des rais pâles et aveuglants, affichant par à-coups le motif entrelacé du carrelage. Il suivit à tâtons un mur lézardé par l’abandon et le silence et découvrit un trou dont il enjamba les parois dentelées. Plongé dans une petite pièce sombre et froide, il y laissa résonner le ronronnement de ses moteurs encrassés. L’âcre odeur de la cendre et une nuit charbonneuse cachaient une échelle : il s’approcha d’un pas et agrippa fermement les premiers barreaux.

Tirant sur ses bras et poussant sur ses jambes, montant mécaniquement, il s’extirpait peu à peu des nuées noires du rez-de-chaussée. Il gravissait pour gravir, sans raison et sans but. Son ascension saccadée aurait duré éternellement si une ouverture nouvelle, là, à quelques mètres, n’avait brisé les ténèbres d’un jet rayonnant. Se hissant jusqu’à elle, il s’engouffra en elle et découvrit un hall lumineux et blafard, jonché de bris de verre et de morceaux de plafond. Il se redressa dans un froissement étrange, couvert de particules ternes et de copeaux cendrés, son buste comme un adret, son dos tel un ubac. Regardant droit devant, la poitrine agitée d’une respiration feinte, il s’approcha d’une baie aux carreaux sales et, posant ses paumes à plat sur l’armature de métal, il plissa les yeux pour observer la Ville.

Ses yeux furent d’abord écrasés par une blancheur candide et des rayons ardents. Il protégea d’une main ses pupilles rétrécies, plissant le front derrière ce pare-soleil de fortune et, petit à petit, des tours apparurent, émergeant dédaigneuses d’un grand tapis de brumes, minaudant de leurs pointes et étincelant des vitres. Elles furent suivies de quelques ombres floues et de halos fluo qui zébraient dans le smog comme des comètes mourantes. Caché si haut et si loin, dans sa bulle de lumière cernée par la noirceur, il aurait pu pleurer, s’il avait ressenti. Si haut et si loin, il ne pensait à rien, engrangeant des données pour faire des statistiques, suivant des yeux la Vie pour y trouver une proie. La tour d’observation qu’il venait de trouver n’était qu’un lieu d’étude. Il parcourait la Ville et y promenait son corps mais son esprit jamais n’y vit belle métaphore. Il resta quelques heures, planifiant son parcours, absent à lui-même. Puis il redescendit sans regarder jamais si les choses alentour méritaient qu’on les aime. Droit comme un i au pied de l’immeuble, il s’éloigna lentement sous le bruit de la pluie et poursuivit sa route, sans se retourner.

Informations sur l'article

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09 Octobre 2015
1006√  17 7

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◊ Commentaires

  • Wilde~54358 (255☆) Le 09 Octobre 2015
    Une narration qui rend ces terres esseulées très vivantes. J'aime toujours autant l'ambiance que tu dépeins.
  • L-X~19531 (1540☆) Le 09 Octobre 2015
    Beau verbe, beau texte.
  • Nefer~54050 (141☆) Le 09 Octobre 2015
    Comme un planteur arrangé : plein de sensations. *
  • Astaa~40027 (268☆) Le 09 Octobre 2015
    Long, chiant, hyper-descriptif et ciselé a l'épithète près.
    Tout ce que j'aime. * smiley
  • Ethayel~30165 (769☆) Le 10 Octobre 2015
    Une narration de grande qualité, c'est fou.
    Je n'avais aucun mal à vivre le récit comme un passage de film que l'on regarde à l'instant.
    Bravo. Vraiment.

    ☆ plus que méritée, cela va sans dire.
  • Ludwig~55451 (246☆) Le 15 Octobre 2015
    Du grand art, il n'est même pas utile de le préciser.
  • Kambei~7880 (258☆) Le 07 Novembre 2016
    Et un an après, il y a encore quelque pour aimer lire cela...