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Cacher

Petit Swizr est devenu grand.

Il arpentait la ville tant et si bien qu'il n'y avait sans doute aucun endroit qui lui restait inconnu. Les tuyaux de chantier, les palissades enfoncées et les trous de souris les plus étriqués témoignaient tous d'avoir un jour été foulé du pas trottinant d'un Swizr en quête de nourriture, de trésors, ou d'aventure.
Et pourtant, il grandissait.
Sa silhouette pouponne était reconnaissable parmis toutes, même les autres kobolds, et les câlins étaient monnaie courante dans une interaction avec le chapardeur, son odeur bien vite oubliée. Il trouvait souvent sa place, et malgré les coups de pieds tout aussi fréquents, c'était une bonne vie pour un petit kobold qui ne manquait de rien.
Et pourtant, il grandissait.
Il ne s'était jamais battu. N'avait jamais rien fait de violent et vivait ainsi très bien, défiant une ville où la violence était reine par sa simple force de caractère, ou peut-être sa lâcheté monumentale. Les outriliens étaient des cousins, les trolls des kobolds surdimensionnés sans poil, les gnolls, eux, en avaient. Les orcs étaient de solides perchoirs, les humains de parfaits sujets pour les farces que lui et ses compères prenaient un malin plaisir à jouer tous les jours. Les nains étaient drôles car petits et bougons, quand aux kobolds, eh bien, il était le kobold dominant.
Et derrière chaque grand kobold se cache une grande kobolde.
Il ne se rappelait plus quand il l'avait rencontré, ni comment. Les deux se ressemblaient tant qu'on aurait pu croire un lien de parenté, et depuis ce jour ils étaient inséparables. Dans les meilleurs coups, les quêtes de nourriture gratuite ou les attaques de reniflettes, leurs noms résonnaient souvent dans des éclats de rire, et pourtant chacun d'eux était bien différent à sa façon.
Elle était farfelue, bricoleuse et parfois tête brûlée, sous la couardise salvatrice qui flattait leur instinct de survie. Lui, était également farfelu, mais n'avait surtout pas la moindre notion de propriété. Ramasser un objet était courant, qu'il fut à terre ou dans une poche, et avec les années, il était connu comme le loup blanc. Certains industriels témoignaient notamment d'une hausse de vente de coffre forts lors des ruées folles de Swizr. Les légendes circulent sur d'immenses jungles dans des appartements, remplies de trésors farouchement protégés.
Elle était d'un brun épais, lui était vert, aux couleurs variantes comme si une lumière invisible léchait ses écailles d'une ombre colorante, sombre, puis clair, puis sombre, sa petite taille l'aidant à se masquer en terrain découvert, alors qu'elle était plus solide, plus droite, plus humaine en quelque sorte. Et c'était sa femelle.
Et pourtant, il grandissait.
Il était le kobold dominant. LE kobold, et assurait fièrement cette tâche en prenant peu à peu la place des autorités. Les débuts furent rudes, mais le gouvernement en place finit par céder face aux forces non armées de la terrible Force Verte, la Haute Ville étant le dernier bastion à tomber aux mains de ce qui serait désormais connu comme la Loi Kobolde. Partout dans les rues, les comportements changèrent, les regards se faisaient plus inquiets, et chacun portait en lieu et place de la carte d'identité autrefois réglementaire le nouvel accessoire indispensable. Un steak.
Lors de leurs razzias, les offrandes pleuvaient, les idoles vivantes sautaient de genoux en genoux pour récupérer leur dû, et chaque soirée des deux compagnons finissaient inévitablement sur le dos, le ventre gonflé et le sommeil rapide.
Et pourtant, il grandissait.
Il y avait les mauvais jours, les nouveaux qui ne le connaissaient pas, les coups, les attaques. Parfois, il fut tué, et revint comme si de rien n'était, gardant sa générosité infaillible et son amour pour tout ce qui brille, amassant un trésor de mythes et de légendes quand il n'était pas en train de manger avec sa compagne, certains amis partaient, d'autres venaient, le monde bougeait et Swizr, lui, restait le même, un phare, une lueur sur laquelle se guider pour découvrir le monde. Il était partout, il écoutait partout, et peu de gens pouvaient se targuer d'une discussion discrète qu'il n'avait pas enregistré. Les sudistes espionnaient le nord, via Swizr, le nord les sudistes. Les impérialistes espionnaient les rebelles, via Swizr, et les rebelles les impérialistes. Il devenait incontournable.
Et pourtant, il grandissait.
Quand il ne mangeait pas, il jouait, le travail était loin, et peu se souviennent encore de Swizr en activité soumise à salaire, plus nombreux sont ceux qui le revoient faire commerce dans la rue de choses trouvées, volées ou créées.
Immature au possible, tout ce que le secteur impérialiste prônait rebondissait sur la conscience du petit reptile, l'illégalité n'étant même pas choquante tant l'innocence qui la justifiait faisait fondre les coeurs les plus durs.
Et pourtant, il grandissait.
Chaque retour changeait quelque chose. Il parlait mieux, courait moins, ne volait pas tout le monde, ou simplement se promenait de façon différente. Des petits riens, imperceptibles, qui, accumulés, ne seraient visible qu'avec un arrêt sur image dans le film de sa biographie.
Aujourd'hui, il avait grandi.
Le petit Swizr était à peine plus grand, mais s'était principalement redressé. Si sa courbure le faisait autrefois presque toucher le sol de ses petites pattes, il se tenait aujourd'hui presque droit, ses mains pendant non plus devant lui, mais plus bas, à hauteur de ses hanches. Il était moins reptilien, et même ses pattes se zébraient moins, courbées en harmonie avec sa nouvelle carrure, plus légère. Il pouvait s'asseoir, ce qui aurait choqué une ancienne connaissance, vu la réputation du pelucheux de se tenir simplement debout sur les tabourets qui peuplaient ses lieux de passage.
Il était moins frêle. Oh, il restait fragile, un souffle d'orc lui aurait fêlé une côte sans soucis, et l'on pouvait sans peine faire le tour de ses biceps avec le pouce et l'index, mais les petits bâtonnets laissaient bel et bien place à des biceps, des avants bras un semblant musclé.
Ses écailles abdominables s'étaient étirées, plus larges, moins nombreuses, moquant les muscles humains dans le même schéma d'humanisation qui s'était mis en place depuis tant d'années déjà. Il avait pris des épaules, et son dos était bardé d'une couche plus sombre, plus solide, alors que l'avant s'était éclairci d'un vert pomme agréable au regard, bien plus doux que le vert forêt qui le recouvrait intégralement.
Pourtant, les couleurs étaient désormais fixes. Il ne changeait plus. Le vert pomme restait ainsi dans les coins sombres, et le camouflage, même léger, n'était plus à l'ordre du jour, encore un changement survenu lentement mais survenu tout de même.
Il était cependant une chose qui témoignait de son passage à la vie d'adulte. Son visage.
La longue gueule carnivore du reptile semblait tronquée, bien plus renfoncée, animale et plus humaine à la fois, son regard s'était fait perçant, l'orange caractéristique qui avait effrayé tant de monde en se promenant dans la nuit laissait place à un dégradé vert le jaune vif, jusqu'à encercler le contour de ses pommettes de liserets dorés, de tranchées chaudes, peignant les courbures de son squelette.
Il s'était coloré, avec le temps. Le regard revenait désormais à admirer ce qui fut autrefois appelé un coucher de soleil, une vision oubliée du smog urbain, dont la splenduer éclatante, dont les rides écarlates en étaient presque envoûtantes. Il était désormais hypnotisant à voir, attirait le regard, et si sa beauté pouponne le faisait aussi bien avant, il était désormais difficile, impossible de passer à autre chose, face à l'éclat de maltais, de navel, de blond.
La protubérance osseuse sur son visage s'était réduite, de plus en plus, jusqu'à n'être plus qu'une plaque osseuse sur l'arête de son front, soigneusement parée de bijoux de cuivre brillant semblable à de l'or terni, allant de pair avec les nombreux bibelots pendant au cornes et aux oreilles de l'enfant grandi.
Et de cette protubérance avait jailli une nouvelle merveille de la nature, les plumes vertes ayant chutées jusqu'à la dernière pour un panache de couleur chaleureuse, blond vénitien, auburn, et même bleuté, couleur ciel à eau turbulente, sublime au regard et bien plus agréable au toucher que le duvet rugueux qui trônait sur lui.
Même son odeur avait changé, un symbole de plus qui s'effondrait, troquant les poubelles des coupe-gorges pour un musc aux hormones, aux allures de parfum animal presque envoûtant, que beaucoup n'auraient jamais cru sentir en voyant arriver le petit être.
Et pourtant...
Et pourtant, il grandissait.

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Ça se prononce "Swizr"
17 Mars 2017
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