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[Fiction] La descente

En l’année 223 .4 de notre ère, chaque chose avait trouvé sa place dans le système de consommation dreadcastien. Jusqu’au temps qu’on vous vendait en pilules, ce temps que vous ne gaspilleriez pas, ce temps d’avance. Le Temps, infini, qui s’écoulait dans vos corps de facture humaine et dont vous vouliez sans cesse accélérer la course.
Tout allait plus vite, trop vite. La mort précédant la vie, médicament prescrit de nos mains. Une ride? Une cuve. Une maladie trop invasive? Une cuve. Un voisin trop encombrant? Il cuve.
Le crime se vendait à grande échelle, branche underground du marché extrêmement productive. Service existant depuis des temps immémoriaux, aussi utile à nos ancêtres oubliés qu’il l’était à tout un chacun dans la ville bénie du vice. Et, justement, la conduite de l'androïde la guidait avec assurance à son cugé.
Lieu culminant de la basse ville, soigneusement camouflé en un club huppé où se rendaient avec bonne grâce les fortunés, les haut placés, ceux qui savent tout, ignorant que leur cocktail fumant avait été servi par l’une d’entre elles.
Le bâtiment n’avait rien du point de ralliement d’une criminalité profonde, trés profonde, mais tout du lieu de perdition par excellence qu'affectionnaient tant les dreadcastiens en mal de sensations. Le building avait l’apparence tranquillisante du luxe, le mauvais goût mais onéreux, vendeur. Ses vitres fluorescentes ressortant crûement dans le décor noirâtre du bas de la rue du Déanétique lui donnaient des airs de mirage.
La rue du Déanétique, la plus longue de la ville, chemin de béton synthétique ralliant l’annexe militaire à la haute ville dans un serpentement interminable, aussi long que leurs bras pouvaient l'être.
La synthé-femme arrivée à destination adressa un signe de la tête entendu aux voituriers postés devant l’immeuble auxquels elle confia la carte de son coupé dont les portes finissaient de se refermer automatiquement, et s'avança vers l’entrée. Récupérant au passage l’appareil holographique minuscule que lui tendait la main de géant du videur, elle le glissa sous sa cape dans une ondulation de velours noir. Le troll lui adressa un salut respectueux en lui ouvrant la porte au vitrage blindé, de rigueur dans tel établissement, et elle s’engouffra dans la frénésie nocturne avec un frisson glacé.
Décadence. Il n’était ici question que de décadence. Le peuple venait y trouver le secours salvateur de l’oubli dans un océan d’alcool, de poudres, de pilules et de ladyboy du meilleur acabit. Ses pensées soigneusement étouffées par une musique au beat poussé à outrance sur laquelle ondulaient lascivement les corps généreux des plus belles danseuses.
Plusieurs nobles s’étaient montrés ce soir là et elle leur donna du « Lord » et du « Lady » avec un sourire enjôleur et sa voix de sucre avant de se diriger vers le bar en distribuant des bises aux habitués qui croyaient la connaître. Ne pas éveiller les soupçons est la règle principale. Elle prit place avec la grâce des félidés et commanda sa ration de la journée. Un mélange d’azote, de protéines et d’acier liquide, le carburant habituel des androïdes de son calibre. Les transformistes.
Elle dissimula une grimace en engloutissant à moitié le liquide âpre avec le talent que confère l'habitude et, le verre en main, se dirigea tranquillement vers le fond du bar, méprisant ses étages scabreux aux chambres multiples. Son visage mécanique affichait la certitude d’une destination alors que l’angoisse prenait ses entrailles artificielles avec l’illusion parfaite d’un sentiment réel. Faire preuve d’assurance est la seconde règle.
La porte était quelconque, aucune inscription n’interdisait son passage, aucun signe ne la distinguait des autres. Ne pas éveiller l’attention, toujours. Les clients avaient trop à faire pour se préoccuper de ce qu’il pouvait bien se passer de l’autre côté, on y veillait fermement.
Un effleurement tactile suffit à la faire disparaître et elle prit une longue inspiration avant de franchir le seuil de l’ascenseur, oubliant un instant qu'elle n'avait aucunement besoin de respirer. Sa main trouva d’elle-même le chemin de l’appareil holographique dans les plis de velours et le porta à sa vue. Son corps lui étant devenu tellement étranger au fil de transformations qu'elle laissa échapper un remerciement. L’hologramme s’afficha, traits finement ciselés aux courbes abstraites contenant en son cœur une pilule qui prit réalité dans sa main. La déglutition fut pénible.

L’heure de l’implant avait sonnée.
Son corps réduit à un simple mécanisme ne tarda pas à embrasser le sol, continuant sans passager sa descente aux enfers.

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Fiction
15 Septembre 2013
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