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EDC de Zartam~21969

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Rémanence Ep11 : Sicut Fumus

Episode 1
Episode 10
 

Spoiler (Afficher)
Merci au JD Mockingjay pour ce super poster.

 

Episode 11 : Sicut Fumus

 
 
Dreadcast, année 555
 

Le destin s’acharnait pour sa survie, il en était reconnaissant.
Guidé par l’étrange drone qui glissait dans l’air avec calme et aisance, seule source de lumière dans cet environnement terriblement mort, il descendit une échelle grinçante dissimulée dans une colonne sèche jusqu’à rejoindre le niveau de la surface, et descendit encore, jusqu’à poser son pied dans un réseau souterrain de canalisations et de coursives. D’après les bruits d’écoulement, ils semblaient longer un canal d’évacuation des eaux usées. Ils étaient dans les égouts du Sud, réputés jadis tant pour leur cercle de contrebande que pour leurs conditions sanitaires apocalyptiques.
« Chouette, un passage dans les égouts. C’est toujours la meilleure partie de l’histoire », marmonna-t-il, sa voix tremblante résonnant sur les parois crasseuses et de la fumée se formant devant son visage. L’odeur était infecte et l’air était glacial.
Ils passèrent des zones éboulées, mais dont les débris avaient été creusés pour permettre à quelqu’un de se contorsionner pour passer, ce qu’il fit. Ce chemin étriqué et accidenté par deux cent ans de guerre et de négligence le mena à travers plusieurs tunnels secondaires, le sol était recouvert d'un mucus sonore et mouvant, comme s’il respirait. Parfois, le drone faisait un écart nerveux, ce qui laissait l’homme dubitatif. Le faisceau lumineux du robot se refléta alors sur une tige métallique qui dépassait de la biomasse, et il comprit que le chemin était truffé de mines anti-personnelles ou quelque chose du genre. Il avançait à pas de fourmi dans l’ombre de son guide, considérant chaque seconde comme sa dernière.
Finalement, ils arrivèrent devant une porte. C’était un ouvrage solide, mais plutôt ancien d’après la rouille. A sa droite et à sa gauche ronronnaient deux tourelles à essence posées sur des parpaings. Leurs canons pointaient le sol, témoignant que le visiteur était le bienvenu, ou du moins, la poubelle volante qui l’avait mené ici.
Le silence dérangeant fut brisé par les grincements d’un système de fermeture complexe, et la porte s’ouvrit. Le Voyageur et son compagnon furent accueillis par la lumière aveuglante d’un projecteur, suivie d'une voie railleuse.
 

« Arrête avec ton air d'halluciné et grouille toi, le froid est en train de rentrer. »
 

Son sauveur n’avait rien de l’archétype du survivant de l’apocalypse. Certes, il était armé d’un fusil Lincoln qui avait vu de meilleurs jours, reposant sur ses jambes assises. Mais ce teint pâle, presque bleuté, cette posture courbée, ces plumes dépassant de son col, et par-dessus tout, le fauteuil roulant sur lequel il était installé, surprirent le héros à un tel point qu’il pensa un moment avoir explosé sur une mine quelques minutes plus tôt et subir une expérience de mort imminente.
Le vautour lui offrit un sourire glacial.
 

« C’est vrai que tu dois l’avoir mauvaise, de moins être capable de survivre dans cette ville qu’un paraplégique. »
 

Il renvoya son drone d'un claquement de doigt, puis fit entrer son invité et donna un ordre nonchalamment à son IA domestique.
« Marion! Verrouille la porte d’entrée et réactive-moi les tourelles. Ah, et prépare deux cafeys, aussi. »
La pièce dans laquelle ils se trouvaient, qui devait être le centre principal d’activité, disposait de tout ce dont un vautour pouvait rêver : les écrans s’empilaient sur les murs réduisant le besoin en papier peint presque de moitié, le sol était tapissé de câbles et de rallonges, protégés de part et d’autres par des plaques en acier pour faciliter le déplacement en fauteuil roulant, des racks de serveurs et autres unités centrales étaient regroupés en bloc ça et là, et différents outils disséminés dans la pièce rendaient le tableau un brin chaotique.
Le cryogénisé avait toujours eu un intérêt lointain pour l’informatique, mais en dehors de ce qu’on pouvait apprendre dans les revues de vulgarisation scientifique et de l’occasionnel deck Retro du voisin à formater, il n’y connaissait pas grand-chose. En revanche, ce qu’il remarqua bien vite, c’est que la plupart de ces équipements étaient inutilisés. Seuls l’éclairage, quelques LEDs et une paire de ventilateurs témoignaient que l’installation était alimentée. L’activité était réduite au strict minimum, le reste systématiquement éteint, par soucis d’économie, il supposa.
Les deux individus se dévisagèrent pendant un moment, puis le propriétaire des lieux joua des roues pour faire volte-face, ils rejoignirent une nouvelle pièce au plafond très bas qui semblait faire office de cuisine, salle à manger, séjour et salle de bain. Un système de purification de l’eau traversait le plafond jusqu’à un réservoir. Une autre porte fermée indiquait que le bunker avait d’autres pièces. Ils sirotèrent un cafey et entamèrent une longue discussion. Le résident se présenta comme Daryl et interrogea l’homme qu’il venait de sauver, cherchant sans doute à savoir si ce geste en valait la peine. Selim lui donna son nom et lui expliqua sans retenue la suite d’évènements qui l’avaient amené sur le toit de cette banque à une époque dont il ne pensait jamais faire partie : son association avec Castel Serté, homme d’affaires aussi notoire que mystérieux, le projet Utopie, la cryogénisation de son groupe d’amis et leur meurtre par Castel qu'il n'expliquait pas.
« Il m'a jeté de la poudre aux yeux, en profitant du désespoir général qui avait envahi l'Empire après l’Honora de la Honte. Ses calculs étaient basés sur une machine de son invention, qui selon lui simulait avec exactitude la suite... de l'Histoire. On devait dormir de l’année 388 à l’année 450, et débarquer comme des héros. Je ne comprends pas vraiment ce qui s'est passé. »
Il porta la main à sa tête, réalisant qu'il n'avait pas encore pris le temps de se poser pour y réfléchir correctement.
« A mon réveil... plus d'un siècle après la date prévue... la plupart des équipements étaient hors-service. Soit à court d'énergie, soit détruits volontairement et avec force. Tout les membres du projet étaient morts depuis longtemps dans leur caisson, sauf moi. Et lui aussi. Sa cuve était vide. C’était aussi la seule avec un écran brisé, mais son câble était en bon état tout comme celui de ma cuve. Les autres étaient sectionnés. Ce bunker ne pouvait s'ouvrir que de l'intérieur. C'est forcément lui qui a causé tout cela. Je ne sais pas quand il est sorti, mais il est forcément quelque part en ville. »
Le vautour affichait un intérêt malsain pour les cuves de cryogénisation privées. Selim s’en rendit compte, ayant appris à lire le langage corporel pendant son temps au Conseil et à la DAI. Il n’avait cependant aucune raison de faire preuve de secret, mais il n’avait non plus aucune raison de s’attarder sur le sujet. Vint le tour de Daryl de répondre aux questions qui lui étaient posées. Il s’avéra être un très vieux rebelle, bien renseigné sur les évènements qui avaient plongé la ville dans son ultime ère : l’Ere de la ruine.
« Il s'en est passé des choses, en presque deux siècles. C'était pas une guerre, pour moi, ce qu'il s'est passé, c’était plus un genre... de massacre. Tout le monde a bien déconné, et la Rébellion a été rasée de la carte, et l’Empire est mort, et Dreadcast tout entière est morte, tu vois.
T'es parti te geler les fruits au bon moment, les choses ont dégénéré peu après, autour de l'an 400. Pour faire simple, imagine que le S9 s'est mis à pondre des cyborgs dignes d'un holo-film d'horreur. Mais le genre assez flippant pour faire peur au S1, S3 et S7 réunis. Tu me suis jusque là ?
C'était le chaos. Y'a eu des expéditions pour investiguer sur tout ça, qui ne sont pas revenues. Niveau alliance, tu peux imaginer que l'Empire et la Rébellion se faisaient la gueule, et le S7 était trop occupé –et trop loin- pour jouer les médiateurs. Tiens, tu vois ce poster? C'est la dernière, et la plus grosse hypocrisie inter-sectorielle jamais conçue. Ainsi qu'un échec, en prime. Allez, je vais être généreux, un semi-échec. »
 
 
« La Coalition. »
 

Il cracha le nom, plein de dédain.
 

« Mais ça, c'est qu'une partie du problème. En plus des cyborgs, y'avait des...créatures, de grandes silhouettes complètement noires, les « Slenders », qui se sont mises à attaquer la forêt, à fusionner avec. Les champis géants ont commencé à expulser une fumée noire et épaisse. Les bestioles de l’extérieur ont adopté la même teinte et sont devenues plus agressives. C'est à peu près à cette époque que le smog est devenu opaque, et que la ville a été privée de lumière jusqu’à aujourd’hui. L’air était irrespirable pendant des années.
Après ça... les secteurs sont tombés les uns après les autres. Les horreurs du S9 ont lancé un assaut total sur le S3, elles passaient par-dessous et par-dessus les murs : on s'est fait massacrer, le S7 était déjà trop occupé à se défendre lui-même, et les zimpettes nous ont lâché à notre sort avant de faire péter une bombe dans notre centrale. Hmhm, t'as bien entendu. Le SR est devenu un cratère. Et je peux remercier Marion pour avoir survécu à ça.
Des vagues de réfugiés se sont entassées devant les portes du S1. Ils venaient du S3 en ruines et du S7, qui venait tout juste d’être écrasé dans un étau, à la fois par ce qui restait de la faune extérieure, et par les armées d’horreurs. L’Empire a finalement ouvert ses portes parce qu’il avait besoin de chair à canon pour défendre ses murs, mais c’est au même moment que quasiment tout le monde a perdu la foi en son idéologie respective.
Le tout combiné, Thallys s'est mise à restreindre les cuves à quelques privilégiés : trop de morts, plus assez d'énergie. Je suppose que les clones des survivants ont reçu à l'arrache des modifications biologiques, puisque je devrais déjà être mort de vieillesse depuis plusieurs décennies.
On peut pas vraiment dire qu’on a gagné la guerre. Un jour, le courant s’est coupé. La matrice s’est… arrêtée, comme si quelqu’un venait d’appuyer sur un gros bouton rouge. Plus rien ne fonctionnait. On n’a plus vu le moindre cyborg depuis. Mais aussi le moindre deck, communicateur, terminal, digicode… les gens ont perdu leurs statuts, comptes en banque, entreprises, cercles… les vautours ont perdu la boule. Moi j’ai collecté le matos inutile, fabriqué ma propre mini-centrale, détourné quelques lampadaires… et j’ai construit mon propre réseau.
Juste après, tout le monde a commencé à s’entretuer au lieu de s’entraider pour reconstruire une civilisation. Pour le pouvoir d’abord, puis pour leur survie. Les androïdes se faisaient démonter vivants dans la rue pour leurs générateurs. Certaines personnes ont commencé à manger d’autres personnes, puis ont changé… »
« Les rôdeurs », Selim commenta.
« Voilà. Depuis, ceux qui restent vivent comme des rats dans les ruines de la ville. Il y a quelques groupes semi-organisés qu’on appelle les factions, et des sans-fac’ comme moi. Une fois par heptade, un type sort du centre de clonage, sans plus. Si c’est un nouveau, il est dévoré par les rôdeurs, ou tué dans un affrontement entre deux factions qui se l’arrachent, ou s’il est chanceux, recruté dans l’une d’entre elles. Si c’est un vieux survivant, il sait quoi faire en général pour rentrer auprès des siens. »
Sa rhétorique se rompit alors, et son regard se perdit à quelques milliers de kilomètres de là, à une époque d’aventures et de souffrance… de perte et de regret. Le cryogénisé respecta cela, mais il n’avait pas terminé avec ses questions. Il en posa bien d’autres, sur la ville, ses dangers, ses factions. Il l’interrogea sur le devenir de sa corporation, mais Daryl n’en avait pas entendu parler depuis un autre âge.
« Ils s'étaient relocalisés au nord de la ville après la guerre, parmi les débris des méga-corpos de la Haute-Ville. M'étonnerait pas qu'ils se soient fait décimer, c'est un des pires endroits de la ville. »
La discussion devenant redondante, il changea abruptement de sujet.
« Tiens, tu sais quoi ? J'ai un deal à te proposer, du genre gagnant-gagnant : je te donne de quoi survivre plus de 5 minutes à la surface, moyennant services. T'en es ? »
Selim devait partir, il accepta. Daryl attrapa un calepin pour griffonner rapidement quelques notes dessus.
« Il faut que j'aille récupérer des filtres à eau chez un marchand. Un tankeur des Blasons Gris qui se fait appeler le Mort-Né. Mais c'est relativement compliqué de sortir quand on n'a plus ses jambes pour courir, et mes drones sont trop précieux. Si tu me fais la commission, je pourrais glaner quelques infos sur ton Castel. »
A l’aide d’une télécommande, il alluma quelques écrans donnant une vision en temps réel des lampadaires de la zone, et témoignant du petit monopole qu’il avait réussit à saisir graduellement sur l’une des ressources les plus précieuses de son époque : la lumière bleue. C’était grâce à ce pouvoir de négociation inhabituel qu’il avait pu sécuriser quelques amitiés parmi les quelques factions ouvertes au dialogue, Selim devina.
« Tiens, t'as l'adresse, et la commande exacte. Faudra être rapide et l’intercepter. Le marchand saura de quoi il s'agit, dis-lui que tu viens de la part de M. Korbelt. »
Selim regarda l'adresse, qui était en fait un cercle rouge sur une carte représentant la zone dans laquelle on « pouvait » tomber sur le Mort-Né à une certaine heure de la journée. C'était en direction du centre du secteur, à côté de ce qui était appelé jadis le CIPE.
« Il ne demandera pas de paiement en échange ?
- T'occupes pas de comment je gère mon business. Dis-lui simplement que tu viens de ma part, le reste est déjà réglé. »
Sa voix changea, descendant d’une gamme.
« Et si tu veux repartir avec du matos militaire de premier choix, tu vas me donner l'endroit où je peux trouver les cuves dont tu m'as parlé. »
Selim haussa des épaules et lui indiqua l’emplacement des ruines de West Lab sur la carte. Le vautour afficha un sourire inquiétant pendant la moitié d’une seconde. Son regard glissa sur les cernes noires de son invité.
« Si tu veux passer la nuit ici et attendre demain pour repartir, je peux te laisser ma chambre, je dormirai avec la frangine. Sois pas stupide, Marion t'a à l'oeil. »
Selim haussa les sourcils.
« Je ne savais pas qu'une autre personne vivait ici. Je veux dire, en plus de ton IA Marion. Elle ne peut pas se charger de la commande ?
- La frangine est hyper fatiguée en ce moment. »
Le visage de Daryl était indéchiffrable.
« Marché conclu, dans ce cas. Avec un peu de chance j'en apprendrai plus de la part de ce marchand. Mais d'abord, un somme. »
Il se dirigea vers sa chambre désignée. C’était une pièce au papier peint jaune dotée d’un lit très sommaire, avec quelques aménagements pour une personne paraplégique. Au fond de la pièce, une porte donnait sans doute sur la chambre de la « frangine ». La porte était dans un état déplorable. Exténué, il retira son trenchcoat moisi, plus à l’aise dans son pyjama fluorescent de la West Corp, puis il s’allongea, mais garda les yeux bien ouverts pendant au moins une heure.
Des bruits de fauteuil roulant et de matériel chutant au sol continuèrent de résonner pendant un certain temps depuis la grande salle, puis Daryl finit lui aussi par aller se coucher. Quand il ouvrit la porte de la chambre de « frangine » pour y passer la nuit, une odeur cadavérique envahit la première chambre. La pestilence était telle que Selim sortit instantanément de sa somnolence pour garder le contrôle de sa bile. L’hôte n’en avait cure, semblait-il, et referma la porte derrière lui, nullement gêné. Selim, quant à lui, décida d’ignorer l’univers dans son ensemble et finit par s’endormir. Il ne fit pas de beaux rêves.
Quelques heures plus tard, il était debout. Ne voulant pas perdre de temps, il se dirigea vers l’autre porte, habillé et équipé, et frappa, puis plaqua son oreille contre celle-ci.
« Ouais, ouais, rendors-toi, j'm'en occupe. »
Selim n'avait entendu aucune question être posée à travers la porte. Après quelques grognements, que l'on pouvait supposer dus à l'effort de grimper sur son fauteuil roulant, Daryl ouvrit. L’odeur abjecte était toujours présente, s’échappant de la pièce obscure.
« Tu pourrais être un peu plus discret que ça. Tu te casses déjà? »
Le voyageur avait suffisamment d'indices pour s'apercevoir que les choses ne tournaient pas rond ici. Pas vraiment curieux d'en apprendre plus sur les secrets de son hôte, il redoubla d'empressement.
« Comment je fais pour sortir d'ici ? Pas envie de marcher sur une mine en chemin, ou d’être dévoré par le blob des égouts.
- L’ascenseur. Je t'ai mis un peu de matos à l'entrée. Allez, bon vent. Marion, occupe-toi de raccompagner mon invité. »
Daryl Korbelt grogna de fatigue et retourna ensuite dormir auprès de la défunte.
 

 
Pendant ce temps, quelque part entre les systèmes Gamma Cephei et 16 Cygni…
 

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