EDC de Kael-Vornex

Mes premiers pas sous la tutelle de Kröm, dans l’annexe militaire

Je ne m’attendais à rien de précis, ce jour-là.
Quand Tadzio m’a glissé le nom de Kröm, je n’ai pas su s’il s’agissait d’un avertissement ou d’un conseil. Peut-être les deux à la fois. Comme souvent avec elle, les mots portent des doubles fonds.

Kröm.
Le nom seul sonne comme une enclume. Brutal. Inflexible. Une syllabe rugueuse qui pèse dans la gorge quand on l’entend. Quand je l’ai vu pour la première fois, j’ai compris que le mot n’était qu’un pâle reflet de ce qu’il incarnait.

Deux mètres vingt de densité. Deux cent dix kilos d’une présence qu’on ne contourne pas.
Des yeux ambrés, presque dorés, et une peau d’un bleu profond, comme frappée de nuit. Le genre de créature qu’on croit sortie d’une légende guerrière et qui, pourtant, est bien réelle. Imposant jusqu’au silence. Pas besoin qu’il parle beaucoup : sa stature parle pour lui. Son silence aussi.

J’ai senti en un instant que je n’aurais pas voix au chapitre.
Ce n’était pas une collaboration. C’était une soumission.

Mais je n’ai pas fui.

L’annexe militaire est un lieu étrange pour renaître.
Un cube de métal et de sueur où les nouveaux comme moi viennent s’entraîner, se façonner. Certains pour survivre. D’autres pour exister. Moi ? Je crois que je suis là pour me retrouver, après des années de sommeil. Pour me prouver que je suis encore un corps, que j’ai encore une volonté.

Kröm est devenu mon coach. Mon fardeau. Mon repère.

Il me donne des ordres, jamais d’explications. Il attend, sans émotion visible, que j’exécute. Il mesure mes gestes, pas mes efforts.
Parfois je me demande s’il voit en moi autre chose qu’un pantin désarticulé.
Je ne suis qu’un souffle de vent dans sa tempête.

Et pourtant… il ne m’a pas lâché.

Chaque séance est une épreuve.
Mon agilité est faible. Ma force, ridicule comparée à la sienne. Mon endurance, incertaine. Mais ce qui me reste, c’est la volonté.
Celle-là, je la sens grandir à chaque fois qu’il me regarde de haut, sans un mot d’encouragement.
C’est peut-être là qu’il teste vraiment : pas les muscles, mais ce qu’il y a derrière. La flamme. La ténacité. La capacité à encaisser sans céder.

Je ne peux rien lui dire. Il est trop au-dessus.
Mais dans le silence imposé entre nous, quelque chose se construit.

Je ne sais pas encore ce que je deviendrai.
Mais je sais déjà que je ne suis plus celui qui est entré ici.
Mon dos se redresse un peu plus. Mon regard ne se baisse plus aussi vite.
Et parfois, quand je suis au sol, les bras tremblants, le souffle court, je crois l’entendre…
Une inspiration profonde. Presque imperceptible.
Peut-être un signe de reconnaissance.
Ou de tolérance.

Kröm ne parle pas. Mais il enseigne.

Et moi, dans son ombre, j’apprends.
À tomber. À me relever. À devenir.
Pas un clone. Pas un autre troll. Mais quelqu’un qui tient debout.