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EDC de Alice~51211

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Havre

(☺)
Je vois un corps gris, hâve, qui titube. Je regarde la pluie s'effondrer sur la cité. La chaleur des plumes tarde à réchauffer mon humeur. La lumière est tamisée derrière un volet décrépi ; la chambre est familière, vieille comme le monde, et une mélasse indicible l'imprègne. Je peine à m'en extraire, et mes yeux s'égarent, mon regard, je pleurerais bien, mais je n'en ai pas vraiment envie. Ce n'est pas l'envie qui manque, celle d'avoir envie.
J'ai dormi toute la journée. Il a doucement quitté mes bras blancs, je l'ai vu sur les caméras. Il n'a rien fait, d'abord, est sorti, ensuite, au travail, sans doute. Mais je reste là à gésir, et j'ai glissé mon corps dans le creux qu'avait laissé le sien, au fond du matelas mou. Mon corps l'est, lui aussi, mou, et tiède, mais j'ai cette vague douleur dans la poitrine, quand je respire, c'est sans doute l'ennui, ou bien la haine. Le sommeil me caresse doucement, comme un ressac incessant, spectral. Il me prend sans préavis.
Je devrais sans doute aller travailler, mais les gens m'ennuient comme l'informatique. Je n'ai pas la force d'enfiler mon tablier de tenancière, ce soir, je reste en sous-vêtements, personne ne me voit. Les couvertures m'offrent un plafond à mon échelle, la chaleur, aussi. Je songe ; j'aimerais un animal, un rat, ou un écureuil. J'ai trop chaud, sous la couverture; je sors, mais juste la tête, inspire l'air limpide. Un animal avec des poils, toujours là. Je ne peux pas monopoliser Ren. J'y suis déjà dépendante. Plus dure sera la chute.
De toute façon, je ne veux pas l'ennuyer. Il est déjà très occupé. Dans mon havre, ou j'ai replongé le chef, la lumière de l'AITL m'éblouit. Des annonces publicitaires. J'ai du mal à lui parler de mes problèmes, réellement. Je lui ai tout de même dit que je n'aimais pas grand monde. Sur les lignes bleuâtres, un homme s'ennuie, entre les messages officiels. Mes doigts lui offrent un accusé de réception, puis j'éteins l'appareil. Les deux, d'ailleurs. Je m'essaye au sommeil, extirpe mes pieds des couvertures, et l'air froid du dehors me chatouille un peu.
Ca va et toi ? La question reste en suspens. Je ne sais pas quoi répondre. C'est une question difficile. Je plonge mon visage dans les oreillers, pas trop longtemps ; quelques secondes durant lesquelles j'ai l'impression de ne plus savoir communiquer. Pas évident, je réponds. Je retourne le coussin, il est très frais, de l'autre côté. Tant pis pour le pourquoi qui va suivre, je le contournerai. C'est trop dangereux, dehors, trop fatiguant, le cynisme est trop loin, au placard, je n'arrive plus à m'en enduire. Je ne peux pas sortir sans, alors je reste.
Je me demande si mon humour est vraiment efficace, là bas, derrière le comptoir. Je lui envoie un message, allume la lampe, une vague lueur rouge. Je passe le temps, converse ; un moment, je plaque le communicateur contre ma joue, j'attends qu'il vibre. Malheureusement, ça n'a aucun intérêt, je suis déçue à la réception du message. J'hésite à aller sur le canapé, mais l'idée manque d'attrait. Le juke-box est trop loin, lui aussi. Je m'efforce de me faire quelques amis, c'est compliqué comme la matrice ou la cuisine, le bricolage. Je préfère dormir.
C'est juste un passage à vide.

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La Marmoréenne
12 Mai 2016
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